Serge Ravanel - L'Esprit de Résistance (1995)
Au début du tome III des Mémoires de guerre, de Gaulle évoque son premier tour de France et sa mise au pas des éléments de la Résistance qui lui semblent aller dans le sens de la confusion... Version contradictoire de Serge Ravanel, mis en cause pp.21-22. Brillant polytechnicien et homme d'action infatigable, spécialiste des évasions spectaculaires, il est devenu à Toulouse le chef régional des FFI. Mais ses sympathies communistes indisposent de Gaulle, qui voit en lui un chef de bande ou de soviet. Le général de Gaulle va demeurer à Toulouse les 16 et 17 septembre. Sa visite va se transformer en drame. Nous l'avions accueilli avec joie, avec respect, avec dévouement. Nous tenions à la disposition de son gouvernement l'immense potentiel de forces que représentait la Résistance. Notre désir était de le mettre au service du pays à reconstruire. La France était dans un état de délabrement dramatique. Nous attendions de De Gaulle qu'il nous fixe de nouvelles tâches. Nous espérions donc une séance de travail. | De Gaulle et Ravanel à Toulouse le 17 septembre 44 |
Il passa en revue les officiers de mon état-major. Des hommes méritoires, courageux, dignes. Il n'eut aucun geste d'amitié à leur égard. Pire, il les humilia. Il ne posait qu'une seule question. Toujours la même : « Quel était votre grade dans l'armée ? »
Un peu plus tard, je le vis en tête à tête. J'eus en face de moi un homme qui refusait d'écouter. Il était venu «mettre de l'ordre ». Il m'annonça qu'il enverrait le général Collet prendre le commandement de la région. Par hasard, j'avais déjà entendu ce nom. Je lui demandai donc :
– Celui qui s'est fait une réputation pour avoir maté les Druzes au Moyen-Orient ?
Il ne répondit pas. Un symbole...
Le 16 septembre 1944 à Toulouse, de Gaulle a commis une faute grave. Il s'en est pris à la force de mobilisation et à l'enthousiasme que nous incarnions.
Ce jour-là, j'ai vu pleurer des hommes de cinquante ans.
Le lendemain, il assista à la prise d'armes organisée en son honneur. Nos troupes étaient fières de défiler devant lui. Je revois nos unités de guérilleros espagnols, bombant le torse, affublés de casques allemands peints en bleu.
Dans ses Mémoires de guerre, de Gaulle écrira :
Le 17 au matin, avec une solennité calculée, je passai la revue de tous les éléments. En prenant le contact direct des maquisards, je comptais susciter en chacun d'eux le soldat qu'il voulait être. A mesure que j'abordais les rangs, un certain frémissement me faisait voir qu'on m'avait compris. Puis le colonel Ravanel fit défiler tout le monde. Le cortège était pittoresque...
De Gaulle avait raison. « Pittoresques », nous l'étions sûrement. Mais était-ce bien l'essentiel ? « Solennité calculée. » Tout était-il donc « calculé », chez lui ?
Quel gâchis ! Ceux qui ont vécu ces deux journées en parlent encore avec tristesse. Des milliers de personnes avaient pourtant acclamé le général de Gaulle, symbole d'une France redevenue libre et renouant avec la République.
Mais nous avions également découvert qu'il se méfiait de la France des forces vives, prêtes à monter à l'assaut du ciel. Il préférait lui substituer une France d'exécutants qui allait tourner le dos à l'esprit d'initiative et de responsabilité qui avait animé la Résistance.
Nous avons cru d'abord qu'il avait un compte particulier à régler avec la Résistance toulousaine. Avions-nous effectivement commis de graves erreurs pour mériter une telle rebuffade ?
Par la suite, nous avons appris qu'il avait adopté une même attitude de défiance à Lyon et à Marseille. A Paris, il refusa de rencontrer, ès qualités, le Conseil national de la Résistance. Le renvoi de D'Astier de La Vigerie répondait à la même logique. Le général de Gaulle raisonnait avec la Résistance en termes de rapports de forces plutôt que de coopération.
A Toulouse, il avait voulu faire un exemple. Sans doute parce que la Résistance y était bien organisée, active et dynamique.
En fait, c'est l'ensemble de la Résistance qu'il voulait émasculer. Il y parvint sans difficulté.
© Le Seuil, 1995, pp. 15-16