Hernani 1830
Articles de La Gazette nationale ou Le Moniteur universel


Mercredi 17 février

L'ouvrage généralement attribué à M. Victor Hugo, Hernani, dont la représentation au Théâtre-Français est si impatiemment attendue par tous les amis des lettres auxquels on promet qu’elle présentera la solution d’une question si vivement agitée, est annoncée comme très-prochaine : on croit qu’elle aura lieu samedi ou lundi au plus tard, et l’on sait déjà qu’il n’est plus possible de se procurer des places.

Nous remarquons que l’affiche ne donne pas à cet ouvrage le titre de tragédie, mais celui de drame ; circonstance qui modifie et qui simplifie singulièrement la question sur ce qu’on nomme le classique et le romantique, si même elle ne la déplace pas tout à fait

On dit encore que la pièce aura pour second titre : l’Honneur castillan, titre imaginé pour mieux motiver le dénouement extraordinaire de ce drame, et les détails de mœurs dont il est semé.

 

Vendredi 26 février

Dès six heures, quoique le spectacle ne dut commencer qu’à sept, la salle du Théâtre-Français était remplie d’une foule empressée d’assister à la première représentation du drame d'Hernani. Des mesures nouvelles d’ordre avaient été prises, des issues plus commodes pratiquées : au lever du rideau la salle était comble.

Nous avons déjà fait remarquer l’importante concession que l'auteur avait faite, en ne présentant point son ouvrage comme une tragédie, mais comme un drame, et en motivant le dénouement par ce second titre, l'Honneur castillan : c’était ainsi sous un point de vue nouveau que l’ouvrage devait être envisagé ; on ne pouvait plus lui opposer les règles dramatiques admises, puisque l’auteur déclarait que son ouvrage appartenait à un genre qui n’en a jamais eu de bien déterminées.

Quoi qu’il en soit, et sans développer encore aucune opinion sur le drame dont il s’agit, considéré sous le rapport littéraire, et nous bornant à retracer ce qui s’est passé, nous nous empressons d’annoncer qu'Hernani a obtenu un succès d’éclat, si on en doit juger par les applaudissemens et les cris d’enthousiasme qu’il a excités, et par les acclamations qui ont salué le nom de l’auteur, M. Victor Hugo, lorsque ce nom a été proclamé : ces applaudissemens ont constamment couvert les signes d’improbation qui ont quelquefois éclaté à certains endroits de l’ouvrage, où tout, beautés et défauts, sort de la ligne ordinaire, où les caractères, les situations et le style ne s’élèvent et ne s’abaissent jamais à un médiocre degré.

L’ouvrage est joué d’une manière très-remarquable, et la mise en scène est d’une richesse et d’une exactitude dignes de tout éloge.

 

Samedi 27 février

D. Juan d’Aragon, noble castillan, injustement condamné par Ferdinand, roi d’Espagne, a péri sur l'échafaud. Très-jeune encore, proscrit lui-même, dépouillé de ses biens, privé de ses honneurs, son fils a juré de venger sa mort. Ferdinand n’est plus ; mais son petit-fils D. Carlos lui a succédé sur les trônes d’Aragon et de Castille : c’est sur lui que doivent tomber les coups du proscrit. Caché sous le nom d'Hernani, Juan se met à la tête d’une bande de montagnards révoltés qui désolent la Catalogne. Jamais encore il n’a pu rencontrer son ennemi. Il attend donc cette occasion si désirée, que le hasard doit bientôt lui offrir. Telles sont les pensées terribles qui agitent Hernani lorsqu’il voit la belle Dona Sol, nièce et pupille du duc de Rouy Silva. Où le chef des bandits a-t-il vu cette jeune femme ? quelles circonstances ont pu rapprocher deux êtres que leur position devait séparer, et faire naître leur amour ? On l’ignore, car l’auteur a oublié de nous l'apprendre. Quoi qu’il en soit, Hernani et Dona Sol s'adorent. Une vieille gouvernante protège leurs tendres rendez-vous, et chaque jour le bandit dérobe à ses camarades quelques instans qu’il vient passer auprès de sa belle, dans le château du duc de Silva, qui, nouveau Bartholo, aime aussi beaucoup sa pupille, et se dispose même à l’épouser. Mais un autre amant n’a pu résister aux charmes de la nièce du duc : c’est D. Carlos, le roi d’Espagne, à peine alors âgé de vingt ans, prince amoureux de son plaisir, grand coureur d’aventures, sérénades et estocades sons les balcons de Saragosse ; ravissant volontiers les belles aux galants, les femmes aux maris, le tout s’il faut en croire certaine chronique de Avala, dont M. Victor Hugo a eu soin de nous citer un passage, sans doute afin que nous ne trouvassions pas les faits et gestes et le langage de son Carlos un peu bien surprenans. Bref, le roi est instruit qu’un homme rôde chaque soir sous les fenêtres de dona Sol ; il l’a vu même entrer par la croisée ; il ne serait pas tâché de connaître son rival. Tels sont les détails jetés dans l’avant-scène ; voilà tout ce qui s’est passé lorsque l’action commence.

Nous sommes chez le duc de Silva. — L’heure où Hernani doit arriver près de son aimée est sans doute près de sonner, car la vieille Bertha, la confidente de dona Sol, attend avec impatience que les pas du cavalier se fassent entendre. On frappe. Hernani ? non. Un inconnu enveloppé d'un large manteau ; D. Carlos. La vieille veut appeler au secours. Le roi ne voit d’autre moyen d’apaiser cette duègne que de lui offrir d’une main une bourse pleine d’or, et de l’autre de faire briller à ses yeux la lame d’un poignard. Le choix n’est pas difficile : la duègne répond à toutes les questions du prince. Un bruit se fait entendre : c'est dona Sol qui sort de son appartement. Le roi veut rester ; mais comment, sans être aperçu ? en se blotissant dans une armoire. Il y était à peine, quand Hernani se présente. Nos amans réunis ne songent qu'à jouir des instans de bonheur que la duègne leur ménage. Au doux propos d’amour succèdent de petits reproches. Hernani a surpris le duc embrassant sa nièce. Bon !

Un baiser d’oncle au front, presqu'un baiser de père,

N’importe Hernani ne saurait souffrir les privautés que se permet le vieillard avec la jeune fille, et encore moins qu il veuille l’épouser. Spectre glacé !

Pendant que d’une main il s’attache à la vôtre,
Ne voit-il pas la mort qui l’épouse de l’autre :
Vieillard va t'en donner mesure aux fosseyeurs.

Mais qui donc veut faire ce mariage ? On dit que c’est le Roi, répond dnua Sol. A ce mot la fureur d’Hernani éclate : il révéle à son amie quel est son sort ; qui poursuit sa vengeance ; quels malheurs pèsent sur sa famille : quel destin lui serait réservé avec un homme tel que lui. Chef de bandits, dont la tête est mise à prix, que peut-il lui offrir ? L’exil, la proscription, l’échafaud. Il n'a reçu du Ciel jaloux, que l’air, l’eau, la dot qu’il donne à tous. N’importe : dona Sol veut le suivre. Les périls, Ia misère, rien ne l’effraie : elle ne saurait vivre sans Hernani. Quand vous n’êtes pas là

Vous me manquez : Je suis absente de moi-même.

Vraiment généreux dans son infortune, Juan veut la dissuader de se lier au sort d’un brigand. Carlos, qui se trouve trop à l’étroit dans son armoire, sort ; mais il n’a pas assez entendu ce qu’on disait pour savoir qu'Hernani est le chef des brigands de la montagne. Furieux, I'amant de dona Sol, force l’inconnu de se défendre. A peine ont- ils croisé le fer, que le duc arrive. Si Hernani a dû être étonné de trouver un homme dans I'appartement de sa belle. Quelle ne doit pas être la surprise de Silva quand il en aperçoit deux :

Je crois que sur mon âme
Nous sommes trois chez vous ! C’est trop de deux, Madame !
.....
C'est donc à dire
Que je ne suis qu’un vieux dont les jeunes vont rire :
li vous faut un hochet, vous prenez un vieillard.
Cette fille, je l’aime... (Il reconnaît alors le roi.)

Carlos, pour donner le change au duc, dit qu’il venait lui apprendre la mort de l’empereur Maximilien. Silva se confond en excuses envers son souverain, et une petite discussion s'engage entre eux sur les princes qui ont le plus de droit à l’Empire, sur les prétentions du Saint Père. Ayons l'aigle, dit Carlos, et puis nous verrons

Si je lui laisserai rogner les ailerons.

Carlos, tout en s’occupant de si hauts intérêts, dans un moment assez singulièrement choisi, il faut en convenir, a entendu dona Sol donner pour le soir un rendez-vous à son amant. Il y sera le premier. Tout cela c’est fort bien ; mais Silva désirerait connaître l'autre cavalier qui ne dit rien. Le roi, voyant l’embarras de son rival, déclare que ce cavalier est de sa suite. Oui, dit Hernani : de ta suite. J'en suis.

Jamais chiens de palais, dressés à suivre un roi
Ne seront sur les pas plus assidus que moi.

Mais ce qu’ils demandent, tous ces grands de Castille ce sont des titres creux. Ce que je veux, moi, c’est ce qu’un poignard vengeur,

En y fouillant longtems peut prendre au fond d’un cœur.

Carlos, tandis que Hernani a quitté le logis du duc pour rejoindre ses camarades, attend impatiemment avec quelques jeunes débauchés comme lui, l’heure du rendezvous donné à son rival heureux :

Je viens tout doucement dénicher sa colombe.

Les trois coups sont frappés dans la main. Dona Sol descend. Quelle est sa surprise lorsqu’elle se trouve dans les bras du roi ;

Ce n’est pas ton bandit qui te tient, c’est le roi.

Offres brillantes, promesses, grandeurs, elle rejette tout avec indignation ; elle préfère la misère, l’exil avec son bandit, plutôt

Que d’être impératrice avec un empereur.

Carlos veut l’entraîner :

Vous verrez bien
Si je suis roi d’Espagne et des Indes pour rien.

 

Dans ce moment, la jeune fille s'empare du poignard de Carlos, qui, un pue effrayé d'abord, se rassure bientôt.

J'ai là, pour vous forcer trois hommes de ma suite.

Vous en oubliez un, s’écrie Hernani qui arrache dona Sol des bras du prince et se fait connaître. Vous portiez la main sur celle jeune fille : c’est d’un lâche ! Je ne suis pas roi,

Mais quand un roi m'insulte el me brave et me raille,
Ma colère va haut et me monte à sa taille.
.............
Je vous hais ! Je vous hais ! Oui je te hais dans l'âme.

Défends-toi. — Je suis voire seigneur et roi. Frappez-moi ; mais pas de duel. Assassinez-moi. Faites. Je ne veux pas

Annoblir ton poignard du choc de mon épée.

Hernani brise alors son épée ; et le roi lui promet (sans doute pour reconnaître ce mouvement de générosité ) qn’aussitôt rentré dans son palais ducal il le fera pendre. En attendant, je te mettrai au ban de l’empire quand je je serai empereur. — J’y suis ; d'ailleurs, je me réfugierai en France.

Et quand j’aurai le Monde ?

HERNANI
Alors j'aurai la tombe.
Me me rappelle pas, futur César romain,
Que je t'ai là chétif et petit sous ma main,
J'écraserai dans l’œuf ton aigle impériale.

Le roi sort, et Hernani, effrayé de l’avenir que le sort lui prépare, ne veut pas entraîner son amie dans sa perte. (Encore la même situation.)

Non : ce serait un crime
Que d’arracher la fleur en tombant dans l’abîme,

inutile prière. Dona Sol ne le quittera pas !

Je veux ma part de ton linceul.

En attendant, elle va s’asseoir sur une pierre, et Hernani, étendu à ses pieds, soupire les plus tendres amours. Par malheur le tocsin se fait entendre, les troupes sont à la poursuite des montagnards, et l’amant aimé de Dona Sol ne peut se dispenser d’aller partager les périls de ses compagnons.

Tandis que brigands et soldais sont aux mains, l’auteur nous conduit dans un château fort que possède le duc de Silva, à quelques lieues de Saragosse. Là, le vieux châtelain, revêtu des plus riches habits, n’attend pius que le moment de s’unir à sa jolie pupille, et tous deux devisent sur leur destinée future. Dona Sol paraît triste, et Silva convient que peut-être il est un peu vieux, mais l’amour

Fait oublier le corps en rajeunissant l’âme.

Néanmoins quand je vois, dit-il à sa nièce, un jeune pâtre lui dans ses prés verts, moi dans mes sombres allées, je donnerais mon vieux palais, mes forêts, mes châteaux, mes ruines,

Pour sa chaumière neuve et pour son jeune front.

Tu peux le voir aussi, toi, et songer que je suis vieux ; mais, crois-moi, ces cavaliers frivoles, semblables aux jeunes oiseaux,

Ont un amour qui mue ainsi que leur plumage.

Au lieu que les vieux moineaux ont l’aile plus fidèle, moi je t’aime un époux, en père, et puis encore de cent autres façons. En voyant ta jeune prunelle,

Je ris et j’ai dans l’âme une fête éternelle ;

et puis le monde trouve si beau de voir une jeune fiile

Qui daigne encor souffrir
L’inutile vieillard qui n’esl bon qu’à mourir.

Toutes ces jolies choses occupent faiblement dona Sol, qui ne songe qu’à son bandit, lorsqu’on annonce l'arrivée d’un pèlerin qui demande l'hospitalité : on apprend aussi que c’en est fait d’Hernani, du lion de la montagne. Les brigands sont dispersés et leur chef est mort. Ah ! sans moi ! s’écrie dona Sol. Le duc ordonne qu’on introduise l’étranger, el engage sa pupille à aller se vêtir de ses habits de noce.

Je veux la voir parée ainsi qu’une madone.

On se doute bien que le prétendu pèlerin n’est autre qu’Hernanj, échappé comme par miracle à la poursuite de ses ennemis. Pressé par le duc, de dire son nom, il refuse. Silva se repent même de l'avoir interrogé sur ce point :

... Quant à ton nom, tu te nommes mon hôte ;
Qui que tu sois, c’est bien....

Dans ce moment, dona Soi entre richement parée. Hernani, à l’aspect des apprêts de ce funeste hymen, se fait connaître. Sa tête est mise à prix : mille carolus sont promis à qui le livrera. Le duc l'engage à se taire... Quelques-uns de ses gens, séduits par l’appât d’une telle récompense, pourraient le dénoncer.. .. Mais cet aveu que le délire arrache à Hernani, ne le conduira pas à sa perte.

Mon hôte, je le dois protéger en ce lieu,
Meme contre le roi, car je te liens de Dieu.

Et même pour que personne ne soit tenté d’essayer une trahison, le vieux duc va lui-rnême fermer les portes de son château, et laisse sa jeune future faire à l’étranger, qu’il ne reconnaît pas, bien qu’il l’ait assez bien envisagé la veille ou deux jours avant, les honneurs de la maison. Hernani éclate d’abord en reproches. Quoi ! dona Sol l’a si tôt oublié ! Déjà elle va se parer des bijoux qu’elle tient du vieillard. Regardez au fond de l’écrin, dit-elle à son amant. Que trouve-t-il ? Un poignard : celui qu’elle arracha à D. Carlos, et dont elle devait se frapper si elle eût été obligée de suivre Silva à l’autel. Aux reproches succèdent le repentir, les larmes, les protestations d’amour,

Ah ! je voudrais savoir, ange au Ciel réservé,
Où vous avez marché, pour baiser le pavé !

et il se jette aux genoux de son amie ; et pour la troisième fois il lui répète de ne pas s’attacher au sort d’un proscrit. Le duc entre :

Voilà donc le paiement de l'hospitalité.
.........
Tu fais cela pour nous et nous ceci pour toi.

Eh blen oui, lui dit Hernani, j’ai voulu souiller ton Jit. Mais

J'ai du sang ; tu feras très-bien de le verser,
D'essuyer ton épée et de n’y plus penser.

tu feras ensuite jeter le cadavre à la porte et laver le plancher. Au milieu de cette situation terrible, le son du cor retentit au loin. C’est le roi qui, instruit du refuge que Hernani a trouvé chez le duc, vieut exiger qu’on lui livre ce brigand. Je veux sa tête

Ou bien la tienne.
Entends-tu mon cousin ? — Eh ! qu’à cela ne tienne.

Détaillant alors tous les hauts faits d’armes, les actions généreuses, les sentimens d’honneur qui remplissent la vie de ses nobles aïeux, dont les portraits ornent le salon, et arrivant au sien. . . Ce portrait est le mien ; veux-tu donc, ô roi !

Qu’on dise : ce dernier d’une race si haute
Fut un traître et vendit la tête de son hôte !

J'ai promis la tête du prisonnier ou la mienne. Je donne celle-ci : prends là. Carlos voit bien qu’il ne vaincra pas cette généreuse résistance.

Sols fidèle à ton hôte, infidèle à ton roi.

Bien : je t’estime, duc ; mais jusqu’à ce qu’il te plaise me livrer ce prisonnier,

J’emmène seulement ta nièce comme otage.

Prends-la donc et laisse moi l’honneur. Et voilà la pauvre dona Sol obligée de suivre Carlos. Une fois débarrassé de tous ces importuns, Silva ne songe plus qu’à tirer vengeance d’Hernani. Le jeune homme refuse de se battre contre son bienfaiteur. — Prenez ma vie, plutôt, elle est à vous ; mais qu'avant d’expirer, je voie encore une fois celle que j’aime. — Ah ! bien oui : Tu ne sais pas ? Quoi ? — Le roi vient de l'emmener. — Vieillard stupide, tu l’as laissée partir. Eh bien....

Je le vengerai, duc, après tu me tueras.

— Mais alors, comme aujourd’hui, te laisseras-tu faire ?

Oui duc. — Qu’en jures-tu ? — La tête de mon père !

Prends ce cor. Dès qu’il se fera entendre, ma vie est à toi. —J’y compte. — Ce dessein bien arrêté, le duc se rend à Aix-la-ChapeIle avec Hermani. La route est longue. N’importe, la ligue s’assemble dans le caveau où se trouve le tombeau de Charlemagne. L’électeur de Trêves a prêté ce lieu soulerrrain aux conjurés auxquels Silva et l’amant de dona Sol ne lardent pas à se réunir. Carlos les y précède, car il rêve déjà l’empire. Les trois plus puissans princes de I'Europe briguaient cette couronne impériale que Maximilien avait portée pendant vingt-six ans. Carlos avait pour lui la qualité de petit-fils de Maximilien : son titre d'Allemand. Les partisans de François Ier rappelaient ses victoires, son courage chevaleresque, la franchise de son caractère, sa générosité, sa fidélité à sa parole. Le pape engageait les électeurs à faire tomber leur choix sur un membre de leur collège. Henri VIII était aussi un concurrent redoutable. Carlos n’ignorait pas cependant ce qui se tramait contre lui. Il veut connaître les conjurés ; un de ses courtisans les lui nomme. — C’est d’abord Pellès Giron qui, dit-on, a grandement à se plaindre de Votre Altesse :

On dit qu’il vous trouva chez madame Giron
Le soir que vous veniez de le faire baron.

L’évêque d’Avila.

Est-ce aussi pour venger la vertu de sa femme !

Le comte d’Alava prétend que vous lui avez refusé le collier de l'Ordre.

Si ce n’est qu’un collier qu’il lui faut, il l’aura.

— Harreau. — Ces Harreau

Ont toujours fait doubler la solde du bourreau
.......
Le bourreau peut compter sur l’aille de mon bras
...........
Je coudrai, s’il le faut,
Ma pourpre impériale au drap de l’échafaud.

Carlos reste ensuite seul devant le tombeau de Charlemagne. S'il est élu empereur, trois coups de canon seront le signal de la nomination ; en attendant, il se livre à de longues théories sur l'empire, la papauté, le néant du monde et des grandeurs humaines ; amplification de cent vers au moins, souvent riche de la plus belle poésie, et dont le fond appartient à Bossuet en très-grande partie, et même à Béranger. Mais, je le répète, ce monologue est fertile en vers très-beaux, en images largement tracées. Suivant Carlos, l’empereur el le pape sont tout, et le Ciel,

Dont ils ont tous les droits,
Leur fait un grand festin des peuples et des rois ;
Le Monde au-dessus d’eux s’échelonne et se groupe ;
Ils font et défont ; l’un délie et l’autre coupe ;
Il sont parce qu'ils sont,

Et l'Univers contemple

Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l’empereur.

Après avoir rappellé tout ce que Charlemagne a fait de grand, Carlos arrête ses regards sur son monument.

Il fut grand et pourtant cette tombe est la sienne :
Tout est-il donc si peu que ce ce soit là qu’on vienne.

Il entre dans le séjour funèbre et bientôt les conjurés arrivent. Qui doit frapper ? Le sort désigne Hernani. Vainement le duc le presse de lui laisser cette joie. Trois coups de canon se font entendre ; Carlos est empeur: il sort du mausolée.

Messieurs, allez plus loin, l'empereur vous entend....

Les conjurés sont interdits. L’empereur appelle ses soldats, ordonne qu'on désarme les traîtres, et bientôt reçoit des députés de la chambre dorée, la couronne el le globe. Le Roi de Bohême et le duc de Bavière lui rendent hommage.

Jusqu’à présent l’action première a disparu; c’est depuis le commencement de l’acte une autre pièce dans la pièce. L’auteur cherche à la rattacher en ramenant dona Soi effrayée de voir Hernani au milieu des conjurés. J’ai toujours son poignard, lui dit-elle. Hernani s’en saisit. L’empereur veut connaître le dessein des conjurés. — Que voulez-vous faire ici ?

Nous gravions la sentence aux murs de Balthasard,
Je viens rendre à César (montrant le poignard) ce qu’on doit à César.

Charles-Quint ordonne qu’on s’empare des traîtres, mais qu’on ne prenne que ce qui peut être duc ou comte. Hernani s’avance alors ;

Puisque mon front n’est plus au niveau de ton glaive,
Puisqu’il faut être grand pour mourir, je me lève.
Je suis Jean d’Arragon.

Mon père fut assassiné par le tien. Je voulais me venger.

Don Carlos de Castille,
Le meurtre est entre nous affaire de famille.

Couvrons-nous, grands d Espagne.

Oui, nos têtes, ô Roi,
Ont le droit de tomber couvertes devant toi.

Il redit alors et les malheurs de son père et ses titres et l’illustration de sa famille. Charles, après un instant de réflexion et revenu à des sentimens généreux, enfin laissant présager ce monarque qui 34 ans plus tard devait ensevelir dans la solitude et le silence sa grandeur, son ambition et tous ses vastes projets qui, pendant la moitié d’un siècle, avaient rempli l’Europe d’agitations el d’alarmes, rend à Juan d’Arragon ses titres, ses biens et l'unit à dona Sol.

Moi seul je reste condamné ! s’écrie le duc. Mais, comme l’empereur, je n’ai pas pardonné. Et on devine déjà qu’il fera usage du cor. En effet, D. Juan retourne heureux, avec sa douce compagne, habiter un de ses châteaux. A l’issue d’un bal brillant où l’on avait vu circuler un masque dont la présence, la démarche sombre, avaient intrigué tout le monde, Hernani presse la jeune épousée de venir prendre un instant de repos. Mais dona Sol n’est pas fâchée de contempler la lune, d’entendre chanter le rossignol. Tandis que nos deux amans sont ainsi plongés dans une délicieuse extase, dans les plus agréables rêveries, le son du cor retentit dans les jardins. Dona Sol paraît enchantée. Mais la terreur s’empare de l’âme d'Hernani... Plus de bonheur.... Il ne s’est pas trompé : Silva n’a pas renoncé à sa vengeance ; il lui faut le sang de son hôte. Hernani déclare qu’il n’obéira pas. — Je m’y attendais : c’est vrai ; tu l’as juré sur la tête de ton père.

Cela peut s’oublier : la jeunesse est légère.

Ces derniers mots rappellent Hernani à l’honneur de son serment, et le duc lui offre le choix entre le poison et le fer. Hernani prend le poison. Dona Sol accourt, apprend celle funeste résolution. C’est une folie selon elle (et c’est là la critique la, plus vraie de tout ce 5e acte). Hermani lui annonce que rien ne saurait I'rrêter. Dans ce moment elle voit entre ses mains la fiole qui contient le poison, s’en saisit et boit. Hermani éclate en reproches.

Ne le plains pas de moi, je t’ai gardé ta part.

En effet, il en reste assez pour portai la mort dans le seul de son amant ; tous deux expirent dans les con vulsions, el le duc ue soit plus rien de mieux à luire que de se poignarder.

J'éprouve le besoin de revoir cet ouvrage une seconde fois pour asseoir un jugement sur l’ensemble de cette étrange composition, sur ses beautés réelles, sur ses bizarreries, sur ses défauts, et le degré d'influence qu'elle peut avoir sur l’art dramatique parmi nous. Bornons-nous à dire en ce moment que l'exagération paraît en être le caractère dominant ; que si des traits nombreux sont empreints d’une véritable grandeur, une foule d’autres n’appartiennent qu’à l’enflure ; et qu’enfin, s'il est vrai que l’auteur ait déjà consenti à de nombreux sacrifices dans le dialogue, il en est d’autres encore qui ont été indiqués par le mouvement général d’une salle d’ailleurs si favorablement disposée, que si les applaudissements ont eu lieu avec une vivacité presque frénétique, les protestations n’out pu être témoignées que par le silence.

Qu’il suffise aujourd’hui de constater le succès étourdissant d’un ouvrage monté avec un soin admirable, avec une grande richesse de décors, de costumes, et qui doit exciter une vive curiosité. Le jeu entraînant de Firmin dans le rôle de Hernani, le charme qu’il a répandu sur certains passages, la manière animée dont il a conçu son personnage, el I'incomparable talent de Mlle Mars (dona Soi) dans le 5e acte, l’intelligence et l’énergie de Joanny, dans le rôle du duc, garantissent à cet ouvrage un long cours de représentations des plus productives.

***

Nous sommes invités à annoncer que la recette de la première représentation de Hernani s’est élevée à 5,134 francs. Jamais, jusqu’à ce jour, première représentation n’avait eu lieu au Théâtre-Français devant une si forte recette.

 

Dimanche 28 février

Avant que plusieurs représentations de Hernani aient donné à l’opinion générale le moyen de se prononcer sur ce drame, avant que le public ait pu porter un jugement libre, indépendant et définitif, également éloigné d’un aveugle enthousiasme et d’une partialité contraire aux progrès de l’art, nous croyons être agréables à nos lecteurs en mettant sous leurs yeux les divers résumés que, provisoirement, les journaux de ce matin ont fait, comme nous, succéder à l’analyse développée de l’ouvrage. Complètement désintéressés dans la question, et pouvant nous déclarer avec sincérité sine ira et studio, nous les citerons au hasard dans l’ordre où ils se présenteront à notre main. Ce n’est cependant pas tout-à-fait ce hasard qui nous fera terminer par la transcription de la note la plus favorable au drame, et sans doute la plus agréable à son auteur.

« On n’ose guère, en conscience, se prononcer définitivement sur un ouvrage comme Hernani, et surtout sur un ouvrage de M. Victor Hugo, après une représentation où les applaudissemens les plus bruyans semblaient ne vouloir laisser place qu’à l’admiration, ou tout au moins à la louange. Il y aurait à craindre, en hasardant ainsi une opinion irrévocable, d’approuver outre mesure, ou de blâmer mal à propos. C’est donc aux représentations suivantes, plus calmes et plus sérieuses, qu’il est raisonnable d’en appeler. Mais disons, dès aujourd’hui, que le succès a été brillant ; qu'Hernani, au milieu de ses bizarreries, donne partout des preuves de la haute vocation poétique de M. Victor Hugo : la trace du poète dramatique s’y montre-t-elle aussi visiblement ? C’est une question moins facile à décider. » (National.)

« L’effet de cette représentation fera époque dans les annales du Théâtre-Français. Le succès, comme l’affluence, a été prodigieux. Les beaux endroits, et ils sont nombreux, ont reçu des applaudissemens unanimes. On a remarqué des longueurs, et le public les a signalées par son silence, deux ou trois fois même par un sourire un peu bruyant, et qui, prolongé, aurait pu ressembler à des murmures. Dans les momens d’enthousiasme, un ou deux sifflets timidement hasardés, ont été repoussés par la masse des spectateurs. Une critique calme et réfléchie relèvera dans cet ouvrage des fautes indépendantes du système aventureux dans lequel il a été composé, des fautes qui, à mon gré, ne peuvent être justifiées par l’indépendance la plus absolue de la méthode mais aussi elle marquera peut-être à l'attention du public quelques-unes de ces beautés neuves et délicates qui échappent au brouhaha d’une première représentation, et qui ne peuvent guères de prime abord être démêlées autrement que par l’instinct d'un goût pur et long-tems exercé. » (Journal des Débats.)

« Il y aurait quelque intérêt dans ce tissu d’incidens absurdes et invraisemblables, comme il y en a dans un conte des Mille et une Nuits, s'il n’était ralenti par des digressions, des tirades d’une longueur démesurée et des détails puérils. Le précepte ad eventum festina est un de ceux dont M. Hugo se soucie le moins. On ne peut méconnaître à travers tout cela des lueurs de génie, des pensées fortes et profondes ; mais, grands dieux ! de quelles formes sont-elles revêtues ? Je n’ai pas donné la centième partie de ce que ce drame renferme de barbare, de trivial et de révoltant par l'étrangeté de l’expression. Je demanderai ensuite quel est le but de I'œuvre de M. Hugo ? A quoi bon ce sang, ces poignards, ce poison, ces fureurs, et toutes ces atrocités, s'il n'en ressort aucune étude du cœur humain, aucune moralité, rien qui puisse perfectionner I'homme, rien même qui agrandisse le domaine de l’art ? Quant à la séance d'hier au soir, c’est une représentation que I'auteur s’est donné la satisfaction d’offrir à ses amis. Les bravos furieux, les trépignemens frénétiques, les exclamations folles ne lui ont pas été épargnés. Les spectateurs étaient au niveau des acteurs, qui ont joué comme des épileptiques. Je ne puis donc dire si la pièce a vu du succès. J’attendrai, pour cela, la première représentation : on dit que ce sera la cinquième. » (Gazette de France.)

« Nous demandons pardon au lecteur d'une si sèche analyse ; mais il a fallu lui faire connaître la marche d'un drame qui est assez compliqué, sans cesser d’être fort clair. Dans un prochain article nous examinerons le système du poète ; nous essayerons de faire sentir ses beautés d’un ordre supérieur dont cet ouvrage est rempli, aussi bien que les défauts assez graves qu’on regrette d’y rencontrer. Nous dirons cependant que, malgré la froideur d’une partie du quatrième acte, la pièce est extrêmement attachante, et qu’on en suit les nombreux évènemens avec un vif intérêt : l’émotion s’accroît d’ailleurs par les beautés d’un style qui n’est certainement pas sans tache, mais dont quelques-uns des défauts même jettent encore un éclat qui éblouit. » (Le Temps.) »

« Il en est de la littérature comme de la politique : elle a aussi ses révolutions ; pour arriver à des réformes salutaires appelées par tous les bons esprits, elle est condamnée à dépasser le but en voulant l’atteindre. Serions-nous arrivés à cette période déplorable, où les girondins littéraires doivent tomber sous les coups de la Montagne en fureur ? Heureusement, il ne s’agit que d'immolations passagères et fictives, et les victimes, comme le phénix, pourront renaître de leurs cendres ; heureusement encore, les sacrificateurs ne seront pas sacrifiés à leur tour ; ils n’auront à redouter, des réactions qu'ils préparent, que les vengeances de la satire et la flagellation du ridicule.

Hernani est devenu le signal et le drapeau de la nouvelle ligne qui appelle un combat à outrance ; et pour être plus sûre de la victoire, elle a recouru à des moyens qui, jusque-là, avaient échappé aux plus illustres guerriers. Oubliant, peut-être parce que c’est le vieux Corneille qui l’a dit, que

A vaincre sans péril on triomphe sans gloire,

les ligueurs se sont exercés en champ clos, et ils avaient pris des précautions pour pénétrer seuls dans la lice ; les hommes d’armes en fermaient les issues à quiconque ne portait pas inscrit sur sa bannière : Hernani. Si, par hasard ou par miracle, quelque faux frère est entré dans l’enceinte, la visière baissée, force lui a été de se renfermer dans l’inaction et le silence ; s’avisait-il de laisser échapper un mouvement, un geste, un son qui peignissent autre chose que l’admiration et l’enthousiasme, mille cris et mille bras s'élevaient soudain pour le réduire au néant. Les chevaliers Hernaniens, cuirassés et armés de pied en cap, n’ont donc combattu que des fantômes et des moulins à vent, et leur victoire n’a pas été moins glorieuse que celle de Dom Quichotte. »

Suit l’analyse critique du drame. (Constitutionnel.)

« Je n’entreprendrai pas de suivre la marche de l'action du drame de M. Victor Hugo ; mais plusieurs situations bien exploitées d’ailleurs, ne nous ont pas paru assez motivées, elles perdent ainsi quelque chose de leur effet dramatique. L’intérêt manque peut-être aussi d’unité ; et je regarde encore cette condition, cette règle, si l’on veut, comme inviolable au théâtre. On voit que le drame de M. Victor Hugo soulève bien des questions de critique, et qu’une œuvre aussi importante ne peut être jugée tout d'un coup dans un feuilleton.

Quant au style, c’est là surtout que M. Victor Hugo s’est montré novateur souvent heureux. L’énergie familière de Corneille, le vers naturel de Molière, le vers trouvé par ses personnages se rencontrent dans le dialogue de M. Victor Hugo. Esprit studieux et méditatif, ce jeune poète sait admirablement exposer une pensée, en faire sortir tout ce qu’elle contient de vrai et de saisissant ; mais dans ce travail d’écrivain, il abuse quelquefois encore de celte fécondité de développemens blâmables au théâtre, quand ils dépassent les forces de la passion, quant ils exagèrent un sentiment vrai et naturel. »

Quoi qu'il en soit de nos critiques, le drame de M. Victor Hugo est plein d’avenir et de grandes promesses. L’union signée hier entre ce jeune poète et le public est à nos yeux un heureux évènemnet. Le public fera des concessions au poète, le poète saura céder aussi au bon sens du public. Nous pensons que le drame d'Hernani excitera au plus haut point la curiosité, et qu'il est destiné à un long succès. » (Messager des Chambres.)

« De la hardiesse dans la conception, de la bizarrerie qui est presque toujours de la force, des situations développées avec art ; des pensées mâles, des idées pleines de charme qui se pressent à chaque scène, de la poésie palpitante d’énergie et de vérité ; un monologue, celui de Carlos, au quatrième acte, où il y a plus d’idées neuves que dans cent pièces qu’on a vues depuis cent ans ; telles sont les qualités que l’on peut signaler dans cet ouvrage, où on désirerait plus d’ordre, plus d'enchaînement, des moyens plus neufs, plus de rapidité dans les développemens. Le premier acte et le dernier sont incontestablement les meilleurs, surtout le premier, et il y a là un succès de vogue. On demandait aux romantiques un succès ; M. Victor Hugo vient de répondre. La carrière est ouverte, élargissez-la. » (Courrier des Tribunaux.)

« Oui, mes petits enfatis, je vais vous conter une histoire, écoutez bien. — Papa, est-elle vraie ? — Je n’en sais rien. — Ce n’est donc pas une histoire, c'est un conte ; est-il amusant ?—Dame, vous en jugerez. Je commence. » (Suit l’analyse en forme de conte, souvent interrompue par les questions naïvement critiques de l’enfant.) « Mais, papa, pardonne-moi, ton conte n’a pas le sens commun. — C’est possible, mon fils ; mais je te répète que je n’en suis pas l’auteur ; et puisqu’il faut te le dire, je viens de te faire l’analyse d’une nouvelle tragédie du Théâtre-Français. — Quoi ! de ce théâtre où tu m’as mené voir lphigénie qui m’a tant fait pleurer, et Pourceaugnac qui m’a tant fait rire ? — Précisément ; encore t’ai-je fait grâce de bien des détails, car la pièce dure quatre grandes heures.—Ecoute, papa, j’ai une idée. — Parle. — Je soupçonne que l’auteur d'une pareille pièce est un peu fou.— Il y a des instans où l’on serait tenté de le croire ; cependant je serais le plus fier et le plus heureux des pères si le Ciel l’avait donné le talent, le génie de ce fou-là... mais sous la condition que tu en ferais un meilleur usage. » (Drapeau-blanc.)

« La longueur de cette analyse, dans laquelle nous ne croyons avoir omis aucune circonstance importante, nous laisse bien peu de place pour adresser à M. Victor Hugo quelques observations critiques. La représentation lui aura certainement fait sentir la nécessité d’abréger plusieurs scènes où la moitié de ses personnages garde le silence pendant que l’autre moitié parle, presque toujours en beaux vers, mais un peu longuement. La fable qu’il a imaginée, même en acceptant tout ce qui est fondé sui des traditions espagnoles plus ou moins certaines, n’est-elle pas trop romanesque ? Enfin, M. Hugo ne pense-t-il pas que quelques expressions tout-à-fait familières, que certains vers systématiquement prosaïques, contrastent singulièrement avec l’élévation soutenue du style des trois quarts de l’ouvrage?

Nous rendrons compte de nos impressions, ce qui sera probablement un crime irrémissible aux yeux de certains fanatiques à qui chaque hémistiche arrachait hier un cri d'enthousiasme . et que le plus léger murmure transportait d’une sainte fureur. C'est avec plus de calme qu'un poète comme M. Hugo doit être jugé. Il ne verra dans nos remarques, nous en sommes certains, qu’une preuve d’estime pour son talent, qui nous paraît appelé à de hautes destinées. La vérité ne blesse que les hommes médiocres.

Nous aurons certainement occasion de revenir sur ce drame, qui, malgré des dléfauts graves et que nous n'avons pas dissimulés, pourrait bien faire une grande fortune. Mais, encore une fois, la question littéraire, bien ridicule au surplus, qui s’agite depuis quelques années, est toujours au même point. Les incontestables beautés de la nouvelle tragédie appartiennent essentiellement à l’ancienne école de Corneille. » (Courrier Français.)

« On peut voir par celte analyse combien la fable de ce drame est défectueuse. C’est une suite de scènes pour la plupart fort belles, il est vrai, mais enchaînées les unes aux autres comme des chapitres de roman et sans gradation d’intérêt. La situation qui forme le nœud de la pièce nous paraît d’une extrême invraisemblance. Quel que soit l'Honneur castillan, il est difficile de croire qu’il porte un homme jaloux et implacable (le dénouement le prouve assez) à immoler son ressentiment, et à livrer celle qu'il aime à un prince jeune et galant, pour sauver les jours d’un hôte, chef de bandits, qu’il a surpris aux pieds de sa maîtresse, et violant ainsi lui-même les droits de l’hospitalité ? Que penser aussi de cette singulière capitulation qui rend à jamais le duc maître de son rival. Tout cela peut être nouveau, extraordinaire, mais il est impossible d’y voir une action naturelle. Il importe peu que le fait soit historique ou non.

Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable,

et au théâtre, la vraisemblance est la seule vérité qui puisse produire quelque impression. Au reste, ce n’est point dans un article écrit à la hâte et lorsqu’on a déjà beaucoup de peine à recueillir ses souvenirs qu’il est possible d'entrer dans les détails d’une critique raisonnée. On ne peut rendre compte que de l’impression générale qu'on a reçue. Celle impression la voici : Le drame de M. Victor Hugo nous a paru une œuvre tout à part, bisarre, incohérente dans son ensemble, dépourvue d’un véritable intérêt dramatique, offrant des scènes d'une hardiesse souvent heureuse, des pensées sublimes, des mouvemens qui étourdissent, enlèvent l'admiration, mais laissent le cœur froid. C’est un ouvrage qu’il faudrait entendre acte par acte pour en aprécier toutes les qualités ; à quelques négligences près qui tiennent à un système, les détails sont d’une grande beauté : ils suffiront dans la nouveauté au succès de ce drame ; mais il est à craindre que le tems ne ternisse peu à peu leur éclat, que le fond seul reste, et qu’alors... Mais cet ouvrage est le premier de M. Victor Hugo ; croyons qu'avant d’être oublié, Hernani sera effacé par de véritables chefs-d’œuvre. » (Journal du Commerce.)

« Je n’ai pu donner que l’esquisse des faits principaux et de la marche de l’action. Les uns sont nombreux et intéressans ; l’autre est vive et continue. Elle pourrait l’être davantage toutefois. Les développemens auxquels l’auteur s’est livré dans la peinture des caractères, des passions et des sentimens, sont bien souvent prolixes et surabondans, exaltés et exagérés hors de toute mesure, mais il résulte pourtant de l’ensemble de la représentation, un intérêt et des effets tout-à-fait neufs. Les caractères rudes et passionnés, sont dessinés avec hardiesse, et soutenus avec talent. L’intrigue est romanesque, mais attachante. En dépit de quelques bizarreries, le style a de la verve, de l’éclat, du naturel et de la force. C’est, non pas à cause, mais malgré toutes les bizarreries que cet ouvrage peut offrir, sous le double rapport de la conception et de l’expression, qu’il a obtenu un succès sous l’inspiration et l’étourdissement duquel je suis encore en écrivant cet article. Ce n’est pas du premier coup qu’on peut apprécier toutes les parties d'un ouvrage de cette nature. Il m’a semblé renfermer de grandes beautés et des défauts d’un tel genre, que la moindre expérience de la scène aurait pu les faire disparaître. L’emphase se montre à côté de la passion vraie, l’enflure auprès de la haute éloquence, le verbiage avec une énumération brillante, un sorte d’enfantillage exalté, à la suite de la grandeur noble et imposante. Si cet ouvrage ne mérite pas l’enivrement avec lequel il a été accueilli, il est digne toutefois de beaucoup d’éloges. Nous reviendrons à en parler souvent et avec soin. » (L'Universel.)

« Nous sortons d'Hernani, et le public enthousiasmé applaudit encore. Cette grande et poétique composition a tenu au-delà des espérances et des craintes de l’amitié et de l’envie. Ebloui de tant de beautés, enivré d’une poésie si vive et si nouvelle, nous ne hasarderons pas ce soir un jugement : nous ne voulons aujourd’hui qu’annoncer le triomphe de M. Victor Hugo. Hernani a obtenu un succès complet, un succès mérité. Grandeur et profondeur de pensée, poésie lyrique admirablement mêiée au drame, intérêt un peu romanesque, mais vif et pressant, vers souvent de facture cornélienne, le public a tout senti, tout écouté, tout applaudi : çà et là il a indiqué au poète avec une justesse extrême, quelques coupures nécessaires. Mais l’œuvre est si pleine, si riche, que M. Victor Hugo peut élaguer quelques accessoires sans craindre d’appauvrir l’ensemble. Nous osons prédire à ce drame un succès de vogue, un succès populaire. » (Globe.)

 


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Le Moniteur universel, 17 février 1830.
Le Moniteur universel, 26 février 1830.
Le Moniteur universel, 27 février 1830.
Le Moniteur universel, 28 février 1830.