Alfred de Musset et George Sand travaillent tous deux sur des projets différents dans leur bureau commun. Musset opère quelques modifications sur la scène de l’épée et la scène du meurtre dans Lorenzaccio. Il demande des précisions à George Sand.


Amantine, que pensez-vous de l’évanouissement de Lorenzo ?

D’après mes recherches, Lorenzo de Médicis menait un double jeu. Dans cette scène, son évanouissement est programmé, c’est évident ! Il veut faire croire au duc qu’il est inoffensif pour mieux le manipuler, et par la suite le tuer.

Ne croyez-vous pas qu’il vaut mieux laisser planer le doute sur l’objectif de Lorenzo ? J’ai préféré que son double jeu soit seulement suggéré. Il faut que ce personnage reste ambigu et mystérieux.

« Ce personnage » ? Mais Lorenzo de Médicis a réellement existé ! Pourquoi chercher à réinventer l’histoire alors que les faits se suffisent à eux-mêmes ?

Je ne suis pas du même avis. D’ailleurs votre version est bien trop figée, trop explicative. Il ne s’agit pas d’un manuel d’Histoire !

Sand se lève brusquement, fait mine de sortir puis revient sur ses pas.
Vous comparez mon manuscrit à un banal manuel d’Histoire ?! Rappelez-vous que sans lui, vous n’en seriez pas là. Je n’ai peut-être pas cherché à écrire un roman d’action, mais au moins la réalité des faits est préservée. De plus, comment osez-vous faire du duc un homme inoffensif ? Vous savez très bien qu’il était un tyran sanguinaire, sadique et cruel !

Peut-être, mais mon Alexandre est bien plus subtil et complexe que cela ! Je n’ai pas cherché à en faire un personnage stéréotypé.

Alors comment expliquez-vous que le but de Lorenzo de Médicis soit de l’assassiner ?

Ce n’est pas Alexandre que Lorenzo cherche à éliminer mais la tyrannie qui pèse sur Florence, et le duc en est le représentant !

Mais vous affabulez sur la relation entre le duc et Lorenzo de Médicis qui, en vérité, était hypocrite et seulement motivé par la haine et le désir de vengeance ! Elle n’a jamais été ni sensuelle ni ambiguë, telle que vous le laissez paraître !

En rester aux événements historiques ne m’intéressait pas, je voulais créer une atmosphère plus romanesque, une relation plus intéressante, plus complexe que celle d’un homme bon qui veut éradiquer le mal !

Mais pourquoi pousser jusqu’à la métaphore d’une nuit de noces pour le meurtre du duc de Florence ?

Je ne voulais pas que le meurtre soit une simple vengeance, une simple libération pour Lorenzo, mais que cet acte soit créateur d’un lien plus fort entre les deux personnages !

Je ne qualifierais pas cela de meurtre : votre scène d’assassinat a des allures de suicide assisté !

J’ai réduit le meurtre d’Alexandre à l’essentiel, je n’ai pas eu besoin comme vous d’en faire un tableau extrêmement violent, sanglant et détaillé. Je voulais que ce moment ait une dimension psychologique, intérieure et pas seulement physique.

Ce sang qui coule, cette lutte acharnée jusqu’à la mort illustre la volonté de Lorenzo de se laver de l’humiliation que lui a fait subir le Duc, c’est un acte de libération dont la violence physique est obligatoire !

Il me semble que vous vous attardez un peu trop sur la relation entre Alexandre et Lorenzo, mais vous occultez la dimension politique qu’a ce meurtre ! Je pense qu’il est essentiel de rappeler que cet assassinat fut vain, vous qui vous attachez tant à l’aspect historique !

Vous avez tout de même une fâcheuse tendance à vous projeter dans vos œuvres et à vous confondre avec vos personnages, Alfred ! Est-il nécessaire de vous rappeler que la Florence de Lorenzo de Médicis n’est pas la France de nos jours ?

Il y a malgré tout beaucoup de similitudes et c’était un bon moyen de dénoncer notre situation politique en passant à travers la censure !

Sand soupire, se rassoit et tous deux se remettent au travail.



© Lucile M., Adèle F. et Deborah O. - TL2 du lycée Amiral de Grasse (à Grasse - Alpes-Maritimes).