Article d'Hippolyte Fortoul, in Revue des deux Mondes, 1er septembre 1834

[...] Lorenzo, ce Brutus moderne, est une grande création [...] Lorenzo, caractère fondamentalement nouveau, cherche dans ses plaies et malgré sa débauche la rédemption de sa patrie. Mais à considérer dans ce beau drame, autour de cette mélancolique figure, les physionomies diversement groupées et l'action elle-même, on y trouve immensément encore de grandeur, de force, de souplesse et d'élévation [...] Lorenzo, le libertin flétri par les quolibets et les mépris du peuple, attire Alexandre à une dernière infamie : au lieu de lui livrer sa tante, dans le palais de sa mère, il le tue. Mais il a beau avertir dès la veille les partisans de la liberté, ces marchands se laissent escamoter la république, à peu près aussi imprudemment qu'on l'a fait en ces temps derniers. Le cinquième acte a des réminiscences comiques dont les tragédies précédentes augmentent l'ironie et aiguisent cruellement la pointe [...] Il est admirable qu'on ait pu mêler tant de vérité historique à tant de sens et d'intimité, et mettre cette variété à une unité si forte. Nous oserons désormais citer un drame aux détracteurs de nos jeunes espérances.

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Article de Louis de Maynard à propos d'Un Spectacle dans un fauteuil, in La revue de Paris, Nouvelle série, 1ere année, tome VI [septembre] 1834

Les deux volumes dont je vais parler sont remplis d'un drame en cinq actes et de plusieurs petites pièces. Par malheur, ils soulèvent une oiseuse question, à savoir qu'est-ce que des ouvrages dramatiques qui ne sont pas des ouvrages dramatiques ? Qu'est-ce que des comédies qui ne sont pas des comédies, puisqu'on ne peut les jouer, et qui sont cependant des comédies, puisqu'elles sont jetées dans le moule ordinaire de cette forme ? Les pièces de M. de Musset ne peuvent se jouer pour deux raisons : d'abord à cause de l'irrégularité de leur structure, ensuite parce qu'elles développent des passions générales ou trop personnelles.

La forme de ces drames, il suffit de les lire pour s'en apercevoir, est étrangère à la scène française. Je ne jugerai pas l'auteur, la poétique de Corneille et de Racine en mains ; mais je prendrai, s'il le veut bien, le nouveau code introduit par notre dernière révolution littéraire, et je ne doute pas que M. de Musset ne l'accepte, vu que jusqu'ici il n'a rien été promulgué de plus libéral parmi nous. J'appelle le nouveau code, les préceptes qui, sans avoir été positivement formulés et réunis en corps d'ouvrage, ressortent néanmoins avec évidence des récentes tentatives de nos auteurs au théâtre. Eh bien ! on ne voit nulle part qu'ils se soient jamais permis ces entrées et ces sorties sans cause et sans lien, ces déplacements continuels et ces milliers de scènes de vingt mots, trois caractères frappants des œuvres que M. de Musset. présente aujourd'hui à notre critique [...]

La poésie n'est dramatique que si elle est à la portée du peuple. Il n'était pas plus dans l'essence de Byron de composer des drames, qu'il n'est dans la nature des oiseaux d'enfanter des poissons. M. de Musset qui me paraît avoir en lui quelques germes des passions qui ont fait du noble lord un poète aussi distingué et aussi individuel, par cela seul, M. de Musset ne réussira jamais dans le genre dramatique, où toujours peut-être, ainsi que Byron, il voudra aller cueillir ses succès. Chose bizarre que nous n'aimions que ce qui ne nous aime pas ! que nous ne cherchions que ce qui nous fuit !

Un des moindres défauts de l'analyse appliquée à ce scepticisme, disons le mot, est de répandre sur tous les personnages une singulière teinte de monotonie et de tristesse. En examinant l'ouvrage de M. de Musset, un critique nous assure que l'auteur enveloppe son monde d'un voile de beauté. Dussé-je paraître sévère, j'avouerai que si le voile est beau, c'est comme le linceul qui cache une jeune fille. Quand on lit M. de Musset, le cœur saigne perpétuellement sous des griffes de fer. On éprouve je ne sais quelle pitié mêlée d'horreur, comme lorsque l'on entend des lèvres de quinze ans vomir des obscénités.

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Article de I.C.T. in Le Constitutionnel, 16 octobre 1834

[...] Lorenzaccio est le morceau essentiel du Spectacle dans un Fauteuil. Non pas qu'on n'y rencontre, comme dans tout ce que signe M. Alfred de Musset, des échappées folles, d'intolérables brusqueries, de révoltantes inégalités. Mais le fond est hardiment conçu, et plusieurs détails sont fort beaux [...].



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Article de Sainte-Beuve, « La Confession d'un enfant du siècle, par M. Alfred de Musset », Revue des Deux Mondes, t. V (Quatrième Série), 15 février 1836, p. 483-493.

De tous les jeunes poètes qui sont en train de croître, de s'améliorer avec éclat, de se débarrasser avec franchise de l'accoutrement quelque peu bizarre ou scandaleux des débuts, il n'en est aucun de qui on ait droit de plus attendre que de M. Alfred de Musset. Depuis trois ans qu'il nous a donné la première partie de son Spectacle dans un Fauteuil, de nombreux et vifs témoignages nous l'ont montré toujours en progrès, toujours en action sur lui-même. Son joli essai de fantaisie dramatique. A quoi rêvent les jeunes Filles, s'est continué et diversifié heureusement dans les Caprices de Marianne, dans On ne badine pas avec l'Amour, dans la Quenouille de Barberine, et tout récemment dans le Chandelier. Le Comme il vous plaira de Shakspeare, cueilli au tronc de ce grand chêne, est devenu, aux mains de M. de Musset, la tige gracieuse et féconde de tout un petit genre de proverbes dramatiques, mêlés d'observation et de folie, de mélancolie et de sourire, d'imagination et d'humeur ; nous avons eu par lui un aimable essaim de jeunes sœurs françaises de Rosalinde. Dans les tentatives plus fortes qu'il a faites, comme André del Sarto et Lorenzaccio, M. de Musset a moins réussi que dans ces courtes et spirituelles esquisses, si brillantes, si vivement enlevées, dont les hasards et le décousu même conviennent de prime-abord aux caprices, et, en quelque sorte, aux brisures de son talent. Mais jusque dans ces ouvrages de moindre réussite, on pouvait admirer la sève, bien des jets d'une superbe vigueur, de riches promesses, et dire enfin comme, dans son Lorenzaccio, Valori dit au jeune peintre Tebaldeo : «Sans compliment, cela est beau ; non pas du premier mérite, il est vrai : pourquoi flatterai-je un homme qui ne se flatte pas lui-même? Mais votre barbe n'est pas poussée, jeune homme.»


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Article de Théophile Gautier in La Presse du 27 août 1839

[...] Il est fâcheux que le Spectacle dans un Fauteuil ne puisse devenir le Spectacle dans une Loge ; nous ne nous plaindrions pas tant de notre métier [...] Cette analyse rapide ne peut donner une idée, même lointaine, de la manière supérieure dont ce caractère est rendu ; c'est une magnifique étude philosophique d'un comique terrible et douloureux, qui fait le plus grand honneur à M. de Musset comme poète et comme philosophe. Autour de ce personnage, tout remue, fourmille et s'agite avec une incroyable ardeur de passion italienne ; la Florence du moyen âge respire là tout enitère ; les détails sont d'une vérité et d'un caprice vraiment shakespearien ; il y a une vie, une circulation, une abondance admirables.


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Article de Zola sur Alfred de Musset, paru en mai 1877 dans Le Messager de l'Europe, et repris dans Documents littéraires : études et portraits - Charpentier 1881, p.128

[...] Cependant, le Caprice fut joué le 27 novembre 1847. Et le succès fut colossal. Mais ce qu'il y a de prodigieux, c'est que le Caprice fit plus de bien à Musset que toutes les œuvres importantes publiées par lui jusque là. M. Paul de Musset dit avec raison : « Le succès du Caprice a été un événement dramatique, et la vogue extraordinaire de ce petit acte a plus fait pour la réputation de l'auteur que tous ses autres ouvrages. En quelques jours, le nom du poète pénétra dans ces régions moyennes du public, où la poésie et les livres n'arrivent jamais. L'espèce d'interdit qui pesait sur lui se trouva levé comme par enchantement, et il n'y eut plus de jour où la presse ne citât ses vers. » Oui, la conspiration du silence dont j'ai parlé, cessa seulement le jour où Musset obtint un succès dramatique. Lui qui avait produit tant de chefs-d'œuvre, et que la gloire boudait, ne devint un grand homme que grâce à ce joli rien du Caprice. Toute la puissance d'expansion du théâtre est dans ce fait si caractéristique.

Ainsi donc voilà un écrivain qui n'entend pas écrire des pièces jouables, qui met même quelque affectation à laisser courir librement sa fantaisie dans les nouvelles dialoguées qu'il écrit ; et il arrive ce miracle que ces nouvelles dialoguuées sont merveilleuses à la scène et qu'elles y enterrent gaillardement les comédies et les drames charpentés en vue des planches par des faiseurs. Après cet exemple éclatant, qui oserait encore parler sérieusement de l'optique du théâtre, des nécessités d'un code dramatique ? N'est-il pas évident que tout peut se jouer, pourvu que l'œuvre soit une œuvre de talent ? [...]

Le théâtre de Musset est devenu classique aujourd'hui. La plupart de ses pièces sont au répertoire de la Comédie-Française. Rien n'est adorable comme On ne badine pas avec l'amour, le Chandelier, II ne faut jurer de rien. Le malheur est qu'on n'a pas encore osé mettre à la scène la pièce la plus complète et la plus profonde de Musset : Lorenzaccio. Il y a là un drame digne de Shakspeare. On a reculé jusqu'ici devant l'audace de certaines situations et devant des difficultés matérielles de mise en scène. Mais il est évident qu'un jour ou l'autre l'aventure sera tentée.

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