Hernani 1830
Articles et entrefilets du Corsaire
Lundi 22 février
HERNANI, LE 2 MARS.
Ce sont deux événemens attendus avec la plus vive impatience. Il
s'agit de notre affranchissement politique et littéraire !
Faut-il voiler la charte, faut-il abdiquer à jamais le culte de Corneille et
de Racine ? Voilà toute la question. Les Djins, Klephtes et Péris ne
sont pas moins redoutables que MM. de Bourmont et de Polignac ; le
théâtre est menacé comme la tribune. Plus imminente même
est l'invasion du romantisme ; car l'orthographe de M. Syrieys de Mayrinhac et les
hoquets de sensibilité de Lazarille ne trouvent que des rieurs : mais on
pleure d'avance et par conspiration flagrante sur les infortunes
d'Hernani. Nos ministres se taisent ; que ce soit l'inaction de
l'éloquence en travail, fort bien : mais en attendant ils gardent le
silence, et quand viendra le jour de la bataille, les Benjamin-Constant, les
Casimir Perrier, les Sébastiani sauront leur répondre.
Les amis de M. Victor Hugo s'agitent au contraire, ils se
démènent, ils crient, ils vocifèrent, et nos vieux classiques
de rester coi. Quel nouveau Rodrigue saisira l'épée d'ornement de ces
don Diegue dramatiques pour venger les soufflets prodigués chaque jour aux
trois unités... ? mais non ; les comtes glorieux triomphent sans combattre,
lisez plutôt la préface du traducteur d'Othello. On
espérait trouver un vengeur dans le jeune Marius ; vaine attente : le plus
laconique des héros, Gustave-Adolphe expire en sentences. Le canon
de Lutzen était moins retentissant que les coups multipliés de
théâtres, dans lesquels semble se complaire sou emphatique
magnanimité.
Le budget sera-t-il refusé par les chambres ? notre bon sens doit-il se
soumettre à l'impôt illégal dont s'aprête à nous
frapper Hernani ? de sottes admirations d'un côté,
d'arbitraires exigences de l'autre, et partout un fanatisme de coterie romantique
et ministérielle, qui va moissonner largement dans nos bourses,
menacées de porter bientôt le deuil de leur dernier écu.
« Mais vos consciences parlementaires ne peuvent refuser les subsides ; mais
vos consciences littéraires ne retiendront pas la pluie d'or que doit
légitimer sous peu le succès d'Hernani !» Claqueurs de
tribune et de théâtre, quand nous délivrerez-vous de la
vénalité de vos applaudissemens ? Après avoir soulagé
la détresse des pauvres, il est temps de songer à nous-mêmes.
Les dons volontaires ne sauraient être éternels. Fiers de la gloire du
grand chef romantique, voudriez-vous faire de la première
représentation d'Hernani une représentation au
bénéfice des indigens... du Parnasse ! l'honneur de votre patron s'y
oppose. Et vous, intrépides souteneurs du monstre tout politique qui a nom
budget, serait-ce à titre d'aumône que vous réclameriez les
deniers publics... ? mais l'aumône devient légalement
impossible, lorsque ses moindres résultats seraient de réduire le
donneur à la mendicité.
De deux maux, le moindre ; visitons, applaudissons Hernani si nous ne
pouvons faire autrement : soyons romantiques par charité, par pur instinct
de bienfaisance : mais restons constitutionnels par calcul patriotique, par amour
des lois et de la liberté ; attendons de pied ferme et le 2 mars, et la
demande des subsides.
Jeudi 25 février
On assure que M. Victor Hugo, dont Hernani sera
représenté ce soir, a de grandes obligations au bon sens des
comédiens français ; il leur doit d'heureuses corrections.
Vendredi 26 février
Première représentation de Hernani, pièce en cinq
actes et en vers.
Dès le matin, la presse était en plein carillon ; toutes les cloches
périodiques avaient annoncé à toute volée la naissance
dramatique de Hernani. Les unes accusaient, les autres demandaient
grâce, les troisièmes criaient anathème, quelques- unes
tremblaient, et nulle part on n'apercevait dans ces préfaces de feuilleton,
la volonté d'être calme et impartial.
Hemani a été représenté ; il est inutile de
dire que l'assemblée était nombreuse ; nous ferons savoir plus bas
quelle était sa composition. Nos lecteurs attendent impatiemment l'analyse
de cet ouvrage que tant de famosité a
précédé.
Don Carlos d'Espagne, grand coureur d'aventures, a pénétré
dans l'appartement de la belle dona Sole Silvia ; effrayépar les pas d'un
nouvel arrivant, le prince se jette dans une armoire. Hernani, amant aimé de
dona Sole se présente auprès d'elle, et là le spectateur
apprend que cet Hernani est un brigand des montagnes, un proscrit, chef d'une bande
nombreuse et redoutée ; il déclare que son père fut mis
à mort par ordre du père de don Carlos, que haine éternelle a
été
par lui jurée à ce prince et qu'il le tuera de sa propre main. Don
Carlos sort de l'armoire, il n'a rien entendu des menaces du brigand, mais celui-ci
l'a trouvé chez sa maîtresse, les fers se croisent. Le vieux duc de
Gomès, oncle de Silvia et son futur époux, surprend les deux
champions. Les reproches éclatent ; mais don Carlos est roi, il n'est venu
chez le duc que pour lui apprendre la nouvelle de son avènement au
trône ; le prince va se retirer, mais l'épée de Hernani a eu l'
honneur de toucher la sienne ; don Carlos déclare que cet homme est de sa
suite, et Hernani, fidèle à sa haine, s'écrie en le suivant
:
De ta suite, j'en suis.
Avant de quitter Silvia Hernani en a obtenu un rendez-vous sous son balcon ;
trois coups seront le signal. Don Carlos a surprit ce secret.
Il est nuit, un jour tout entier s'est passé, don Carlos est sous les
fenêtres de Silvia, elle a obéi au signal ; mais tout à coup sa
voix le trahit, elle a reconnu le roi ; elle lui demande merci et salut pour son
honneur. Hernani arrive ; encore le roi, son ennemi, son rival, il est donc
livré entre ses mains ; il le provoque : Vous m'assassinerez,
répond don Carlos, mais je ne me battrai pas contre un bandit. Hernani
appelle le roi petit, chétif, et il lui dit :
De ma main déloyale
J'écrase dans son œuf ton aigle impériale ;
car don Carlos aspire à l'empire. Le roi se vengera du brigand, sa
tête est mise à prix pour 500 Carolus, il porte à mille la
récompense promise au meurtrier de Hernani. Tout à coup Sarragosse
brille de flammes incendiaires : les compagnons du bandit ont mis le feu à
la ville.
Après un long combat dans les montagnes, la bande de Hernani est
détruite tout entière. Gomes, le vieux duc, est retiré, dans
son castel, Silvia doit se préparer à l'épouser ; la couronne
nuptiale et l'écrin sont là. Un pèlerin se présente, il
demande l'hospitalité, elle lui est accordée ; ce pèlerin voit
les apprêts du mariage, il quitte alors son déguisement, ce
pélerin c'est Hernani. Le brigand désespéré s'adresse
aux gens du duc ; Tuez-moi, s'écrie-t-il, ejt vous gagnerez la somme.
Mais le nom d'hôte est sacré chez les Castillans, Hernani ne
périra pas. Le vieux duc sort pour mettre le château en état de
sûreté, Hernani reproche à Silvia sa lâcheté, il
lui montre avec horreur les riches présens de noce ; pour toute
réponse, la dame lui découvre, au fond de l'écrin, un poignard
qui déjà l'a défendue contre les attaques du roi, et qu'elle
se réservait à elle-même, si, contrainte, elle eût
épousé le vieux duc. Hernani tombe aux pieds de Silvia ; le vieux duc
le surprend dans cette position, il reproche à son hôte
l'hospitalité violée. Les clairons sonnent, on annonce la visite du
roi, et le vieux Castillan force le bandit proscrit à se cacher. Don Carlos
arrive, il sait que Hernani est retiré et caché dans le
château, il demande sa tête avec les plus horribles menaces ; le vieux
duc pour toute réponse, lui montre douze portraits de ses ancêtres ;
il fait la longue histoire de la loyauté de chacun d'eux, et il termine en
refusant de clore cette noble série par un parjure ; enfin Silvia s'offre
pour ôtage, elle veut sauver celui qu'elle aime, le vieux duc cède,
elle part avec le roi. Hernani reparaît, le vieux duc veut le contraindre
à se mesurer avec lui, le brigand refuse, mais il renouvelle ses sermens de
haine et de meurtre contre le roi ; il promet sa vie au vieillard, et pour gage, il
lui donne le cor qu'il porte à sa ceinture : partout où il en
entendra le son, il obéira, il se frappera d'un coup mortel.
Charles s'est rendu à la diète germanique ; il brigue
l'életion de l'empire ; celte scène se passe dans un caveau
près du tombeau de Charlemagne. Chartes adresse à cette ombre
révérée un immense discours, dont la morale est :
frère il faut mourir ; puis il entre dans le monument ; une ligue
secrète (la sainte Wehme, ou les francs juges) s'assemble dans le caveau :
la mort de Charles est résolue ; le sort a désigné Hernani
pour porter le coup fatal. Trois coups de canon annoncent l'élection :
Charles est empereur ; les députés de la diète viennent en
grande pompe le féliciter et lui porter les insignes de la dignité
impériale. Les assassins doivent périr ; mais parmi eux la
clémence de Charles pardonne au plus noble. Hernani n'est pas de ce nombre.
Il se retire alors ; il se fait connaître : ce n'est plus un brigand obscur,
c'est un illustre banni, c'est don Juan d'Aragon. Charles lui donne l'accolade, le
crée chevalier de la toison d'or, et lui accorde son pardon et la main de
Silvia que le roi avait conduite avec lui en Allemagne.
Hernani est heureux, redevenu don Juan d'Aragon, rentré dans le riche palais
de ses pères, époux de celle qu'il aime, des flambeaux de fêle
éclairent ses magnifiques appartements. Au milieu du bal, un masque noir
sinistre marche semblable à un spectre menaçant. Les invités
se retirent. Silvia, seule avec son époux, se plaint de ce beau calme de la
nuit ; elle voudrait entendre le chant du rossignol ; mais c'est le cor, le cor
funèbre lui répond. Hernani a reconnu ce son du trépas. Il
doute encore ; mais le vieux duc se présente : il faut mourir, mourir au
sein du bonheur ! Don Gomès est inflexible, il faut exécuter la
terrible parole. Hernani demande grâce ; il n'en obtiendra pas ; il faut
mourir par le fer ou par le poison. Hernani, esclave du serment juré sur la
cendre de son père, choisit le poison. Silvia veut le partager : ils meurent
ensemble. Le vieux don Gomès se frappe d'un coup de poignard ; et la toile
tombe.
Nous pouvons affirmer que le parterre, l'orchestre et les stalles étaient
envahis par les bandes camarades ; des applaudissemens fanatiques ont constamment
éclaté. A la fin de la représentation, on a
décerné à Mme Victor Hugo une bien ridicule ovation, elle a
paru fort embarassée de cette étrange et ridicule galanterie, qui lui
a jeté une couronne toute prête. Le nom de M. Victor Hugo
n'était un secret pour personne. Après cette longue et indispensable
analyse, que nous achevons en pleine nuit, on nous pardonnera de renvoyer à
demain notre jugement sur l'ouvrage et les acteurs. La mise en scène a
été fort belle ; mais du poète géant nous
dirons provisoirement :
La montagne en travail enfante une souris.
Samedi 27 février
Il nous a d'abord paru convenable d'établir les faits ; nous avons donc
avant tout raconté le drame.
On avait annoncé l'apparition de Hernani comme le plus grand des
événemens littéraires de notre époque. Au bruit qu'ont
fait les camarades, dès la naissance du chef-d'œuvre, au nom de Victor
Hugo inscrit sur tous les drapeaux de ces bataillons vandales qui s'en allaient
détruisant l'antiquité au profit de je ne sais quelle fantasmagorie
d'un moyen âge qu'ils ne connaissent pas, et rabaissant la France pour faire
de nos ruines un piédestal à l'étranger, à ces cris si
menaçans, et enfin il faut bien le dire, à la burlesque traduction du
More de Venise, à la grotesque conception de Christine à
Fontainebleau, et aux dernières lignes de prose et de vers
échappéesà la plume de M. Victor Hugo ; nous aussi, nous avons
cru à un événement littéraire et à un
véritable quatorze juillet d'une révolution dramatique. Notre
désappointement a été grand, notre mystification a
été complète, nous n'avons trouvé que fatigue et ennui,
et rien qui attestât les écarts d'une de ces imaginations en fureur
d'enfantement.
Hernani est un énorme libretto inintelligible de tous points, tel
que les poètes italiens en composent chaque année ; sans
originalité aucune, et qui pis est, sans intérêt. Plus coupable
que nous ne le pensions, et surtout plus malheureux, M. Victor Hugo n'a fait qu'un
ouvrage d'une insipide pâleur. La question est jugée ; jugée en
dernier ressort pour tout critique de bonne foi, M. Victor Hugo ne sera jamais
poète dramatique.
Le temps des réticences est loin de nous. Le drame, calqué sur la
tragédie antique, ne va plus à nos mœurs et aux besoins des
esprits. L'édifice tragique, où sont placées les statues de
Corneille, Racine et Voltaire, doit être abandonné ; nous ne pensons
pas à le défendre ; mais que peuvent contre lui ces pauvres et
faibles attaques ? C'est vraiment ici que le dédain sbied bien et
répond à tout.
Ainsi donc, du nouveau ! du nouveau ! Mais quel nouveau ? Nous n'en savons rien
encore, et cependant nous sommes assurés que le nouveau de ces Messieurs
n'est pas celui qui nous convient. Voyons comment M. Victor Hugo conçoit le
drame.
Plus d'unité ! soit. Mais il existe des lois d'une imprescriptible logique.
Un fait commence, se passe, et s'achève ; ce fait, c'est votre drame ;
divisez-le en cinq, en huit, en dix actes, comme il vous plaira ; mais
rappelez-vous toujours cet adage : En tout, il faut un commencement, un milieu, et
une fin. Or, M. Victor Hugo ne veut point de ces choses : Sa pièce est en
cinq actes, ces cinq actes sont cinq faits indifférens l'un à
l'autre, chaque scène est un fait isolé, et tous ces faits ont lieu
de prime-abord sans commencement, et aucun ne se termine ; c'est un mot, une
anecdote, une pensée, un costume, une entrée, une sortie, un cri, un
conte ; que sais-je ? c'est tout ; mais jamais ce n'est un drame, ou une partie
d'un drame ; nulle part enfin, ces parties diverses ne concourentà former un
tout de quelque manière que ce soit.
Au milieu de ce chaos, sans doute quelque création imprévue,
fantasque, attachante d'intérêt, brillante d'imagination, va
dédommager le spectateur de tant d'incohérences ? Point du tout ; M.
Victor Hugo a pris ses notes, il a réuni tout ce qu'il savait de l'Espagne ;
chroniques, histoires, romances et légendes, et il a dit : Cela sera un
drame ; et il se trouve que tout cela est commun et grandement ennuyeux.
Mais les passions s'agitent au sein de ces récits ? fort peu, M. Victor Hugo
ne connaît ni les ressorts ni le langage des passions ; il est mal à
l'aise sur ce terrain ; et ceci nous conduit à l'examen de cette partie du
drame.
Hernani déteste don Carlos ; et il lui répète dix fois de
suite : Je te hais. Don Gomès respecte son hôte, et il lui
dit de vingt manières différentes : Je respecte mon
hôte. Don Carlos a besoin d'une tirade de deux cents quarante vers, pour
bien faire connaître qu'il est ambitieux. L'amour, la vieillesse et la mort
parlent d'elles-mêmes tout aussi longuement. Jamais dramaturge plus maladroit
n'aborda la scène. Ici, une ridicule nomenclature d'aïeux ; là,
dix personnages oiseux ; plus loin, de mesquins moyens de cachette employés
trois fois ; puis le personnage principal, l'empereur, est mis tout à coup
en dehors de l'action ; don Gomès, le loyal, devient assassin ; Hernani, le
rude brigand, devient efféminé ; et ces choses se passent sans que le
cœur en comprenne une seule fois le motif. Et ensuite, pourquoi mêler
à l'histoire une catastrophe à la manière de l'Arioste ? Ah !
M. Victor Hugo ! j'attendais de vous tout ce que peut rêver un esprit en
délire de nouveauté mais non pas une fable aussi bizarrement
bariolée, aussi pauvrement vêtue, aussi ennuyeusement froide.
Nous nous abstiendrons aujourd'hui de parler du style. Quelque riches que nous
soyons en citations retenues, nous n'examinerons des vers de M. Victor Hugo, que
ceux que rapporteront les feuilles amies, de la sorte, notre choix ne sera point
suspect. Mais nous pouvons dire que le long rnonologue du 4e acte et la
dernière scène du 5e, sont surtout riches de choses toutes
singulières à entendre. M. Victor Hugo est cependant poète ;
le style d'images est souvent admirablement manié dans Hernani, et
nous compterions jusqu'à vingt vers magnifiques ; mais ce ne sont que des
vers. Nous pouvons affirmer que M. Victor Hugo ne sait point comment on traite un
dialogue dramatique. Cette partie de notre opinion ne sera que trop bien
appuyée, et trop bien justifiée.
Hernani sera bientôt abandonné par le public, parce qu'il n'y
a pas même dans cette oeuvre l'attrait de curiosité ; l'ennui, le
triste ennui pèse de tout son poids sur cette pièce ; pour tout
esprit non préoccupé, elle prouve jusqu'à l''évidence
que jamais M. Victor Hugo ne sera poète dramatique.
Les acteurs étaient frappés de nullité. Ils devront longtemps
étudier le nouveau genre qu'ils ne comprennent pas encore. Michelot-Carlos
n'a eu d'autre mérite que celui d'une perruque et d'un costume exacts.
Joanny, qui représentait le vieux comte, ne pouvait sauver l'inutile
bavardage dont ce rôle est chargé ; Firmin-Hernani, à force
d'agitation, a cru prêter à son personnage la bizarrerie qui lui
manquait. Il s'est trompé pendant les cinq actes, et surtout au dernier,
où l'affectation a été poussée beaucoup trop loin. Mlle
Mars avait un rôle long de présence, pauvre de mots saillans, ce
rôle sort de son emploi ; cette excellente comédienne n'est point
faite pour le drame ; sa voix juste, nette, merveilleusement accentuée,
répugne aux larmes et aux mouvemens de haute tragédie ; cet organe
veut la causerie de salon, et les détails d'un dialogue spirituel. Il faut
que Melle Mars soit au théâtre dame de cour ; sa mise, son maintien,
ses gestes, sa tournure y serviront de modèle, et il nous semble que ce
motif seul devait suffire pour ouvrir les portes de l'Opéra à cette
excellente comédienne, lors du bal d'étiquette au
bénéfice des malheureux. Au lieu de cela, on a, dit-on, refusé
un billet à Melle Mars, et c'est un tort véritable. Samson a
été au niveau, de son rôle, le plus faible de la
pièce.
Il y avait un autre spectacle, c'est celui que donnait une partie du public. Les
camarades applaudissaient de trois vers en trois vers, et l'intervalle était
rempli par ces mots beau, superbe, admirable, répétés
avec une onction inexprimable. Les détails s'appelaient touches
larges, on a dit à mon oreille : Voilà des vers qui ne sont
point creux comme ceux de Racine ; j'ai entendu appeler quelqu'un ignorant,
pour avoir osé sourire. Enfin, il y avait des démonstrateurs :
Ceci, Monsieur, est Castillan, vrai Castillan. — Mais, Monsieur, don
Duègue et le Cid parlent moins, plus vivement, se battent mieux, et
entendent autrement l'honneur et l'amour espagnols. — Erreur, Monsieur,...
ceci est Anglais. — Mais, Monsieur, Shylock, le marchand de Venise, est plus
implacable et plus terrible, il est plus inexorablement féroce. —
Erreur, Monsieur, ceci est encore Anglais. — Mais, Monsieur, Romeo et
Juliette sont frappés d'une mort précédée de plus de
tendresse, et exprimée avec plus de pathétique. — Erreur,
Monsieur,... tout ceci est admirable.
Et le chef-d'œuvre est encore à faire, et Hernani n'attirera
pas de spectateurs, et dans quinze jours, M. Victor Hugo saura
à n'en pouvoir douter, qu'au lieu de l'ouvrage d'un génie bizarre, il
n'a fait qu'une froide et mauvaise pièce ; ce qui est impardonnable,
même à un romantique.
Nous ne saurions trop redire combien la mise en scène est resplendissante de
vérité et de magnificence. Elle fait le plus
grand honneur à M. Taylor et à ceux qui l'ont aidé dans cette
occasion.
Dimanche 28 février
Une brochure ignoble vient de paraître chez le libraire Barba ; on y lit qu'une conspiration ourdie par la police et les classiques, s'oppose à la réussite du drame de Hernani. Quelle pitié !!!
***
Bravo ! le Constitutionnel crie haro sur les trivialités et les
archi-bêtises de l'école romantique. Que ce soit conviction ou
concession, peu importe ; c'est un coup de maître ; car le romantisme, tel
que les novateurs nous l'ont fait, est de l'anarchie toute pure. Or, quiconque
s'intitule Constitutionnel doit être ami de l'ordre ; et romantisme
et désordre c'est tout
un. Certain autre grand journal qui s'est fait Hugotiste quand même, joue
à ce jeu là, la moitié de ses abonnés. Le bon sens et
la raison résident seuls d'ans la masse du public, et le public seul a
toujours raison. En politique et en littérature, ce qu'il lie et
délie est lié ou délié à la tribune et sur
la scène.
***
On se souvient du More de Venise de M. Alfred de Vigny ; le triomphe fut
long et grand dans quelques journaux ; le deuil était à la caisse des
comédiens. Voilà l'histoire de Hernani ! Le public aimerait
peut-être l'extravagance, mais l'extravagance divertisssante ; partout il
fuit l'ennui. Déjà quelques-unes des feuilles qui semblaient devoir
soutenir l'auteur-colosse, ont analysé et loué la pièce avec
des formes dont notre critique s'est scrupuleusement abstenu. M. Hugo a
été déclaré par les siens, coupable d'imitation et de
replâtrage non dramatique au premier chef. 0 muse du romantisme ! 0
avalanche qui devait détruire pour créer ensuite ! L'imitation
n'est-elle pas à tes yeux le plus grand des crimes ? Maintenant on sait de
quel côté a été la cabale.
Lundi 1er mars
A PROPOS D'UN JOLI SUCCES.
Et d'un !... franchement, il nous fallait cela, à nous bonnes âmes
classiques : autant et plus peut-être que nos adversaires, nous commencions
à nous lasser de leurs chutes. L'uniformité du spectacle nous
déplaisait : c'était toujours, de leur part, promesse d'un
chef-d'œuvre, annonce d'un coup décisif porté à
l'ancienne école, espérance de victoire... et puis rien !
« Comment, nous disions-nous, dans le nombre. de ces puissnas
génies qui s'entradmirent depuis déjà de longues
années, pas un ne réussira à faire goûter au public
l'engageante production qu'il a jetée en un moule vierge ! pas un
ne parviendra à réunir une seule fois, dans l'enceinte de la salle,
assez d'esprits homogènes pour que triomphe s'ensuive ! pas un !.... mais
c'est à fendre le cœur.» Et vingt fois après de telles
réflexions, nous nous surprîmes quasi résolus à passer
dans le camp ennemi tant le malheur a de droits sur nous ! tant nous sympatisons
avec les affligés ! tant, enfin, nous sommes accessibles au sentiment de la
pitié !
Mais voici qui change bien la thèse ! Un succès, gros de
succès à venir, vient d'être enlevé à grand
renfort d'amis ; la nouvelle école a vaincu, et vaincu de manière
à guérir sa rivale de toute velléité de se mesurer
désormais avec elle. Aussi n 'est-ce plus de la commisération que
nous éprouvons aujourd'hui ; ce serait presque de l'envie, si ce
n'était quelque chose qui ressemble à de l'admiration. On nous
pardonnera cette révolution brusque et subite dans nos idées : une
fois n'est pas coutume.
« L'ancien genre, disait dernièrement le Globe, l'ancien
genre n'a qu'un tort, mais il est grand, c'est d'être mort.» —
« La nouvelle école, allions-nous répondre, n'a
également qu'un tort, c'est de ne pouvoir naître. » Que nous
avons bien fait de nous taire ! Hernani nous eût clos la
bouche.
Puisque nous tenons le Globe, mentionnons la célérité
qu'il a mise à nous apprendre combien il a été
ébloui et enivré des
beautés que renferme le drame nouveau. Sans doute, c'est à son
éblouissement et à son ivresse, qu'il faut attribuer les passages
suivans, dans un article d'une douzaine de lignes : « Nous sortons de
Hernani.... Le public a tout goûté, tout
applaudl ; çà et là il a indiqué quelques coupures
nécessaires... Nous osons prédire à ce drame un
succès de vogue. » — Nous osons ! voyez-vous la
témérité, surtout après avoir exalté l'ouvrage
sans restriction ! Il nous semble que c'est à prédire le contraire
qu'il y aurait eu de l'audace.
Il faut rendre justice à nos romantiques : ils ont prouvé que
leur génie qui moissonne dans les hautes régions de
l'intelligence, sait aussi, quand il le faut, s'abaisser à glaner dans le
champ positif de la stratégie ; ils ont fait voir que l'enthousiasme et
l'inspiration savent, au besoin, faire une halte pour organiser un succès,
pour préparer les voies et moyens, pour récuser les juges
soupçonnés de sévérité. Le romantisme est plus
rusé qu'on ne l'aurait cru : c'est un de ces êtres à part,
comme on en rencontre quelquefois, qui, sous un masque idiot, déguisent la
finesse et la subtilité du calcul.
Car, que n'a-t-on pas fait pour s'assurer la victoire ! On a eu soin de jeter en
avant quelques pauvres petites sentinelles perdues, à qui l'on a fait faire
de l'ultra-romantisme ; on a sacrifié, voué au ridicule ces
jeunes et confiantes imaginations, en leur disant dépasser les bornes du
bizarre, du niais, de l'absurde, afin que le public trouvât, par comparaison,
l'œuvre nouvelle raisonnablement écrite ; on s'est adressé
à quelques journaux compères, qui, faisant les
jérémies au bénéfice de
l'intéressé, l' ont représenté comme une flébile
victime des tracasseries de la censure, dont au reste chacun prise ce qu'il vaut
l'ignoble métier ; on s'est récrié douloureusement contre
quelques moqueries anticipées, quoiqu'on ne les eût pas soi-même
épargnées à ses classiques adversaires ; on a
quêté au bureau de certaines feuilles de longues et fraternelles
colonnes destinées à implorer la clémence des spectateurs et
à suppléer à leur ignorance, en leur mettant sous les yeux une
notice explicative du sujet ; on a publié que la salle serait envahie par
une cabale, tandis qu'on savait fort bien que c'était le cas ou jamais, pour
les curieux, de s'appliquer le non licet omnibus ; on a tonné
contre la censure qui est à la dévotion du ministère, puis on
a trouvé séant d'aller réclamer les bons offices du
Moniteur, qui est aussi à la dévotion du ministère ;
on a cherché à donner une couleur politique au jugement qui devait
intervenir ; on a répété que les hommes du 8 août
haïssaient l'ouvrage, parce qu'il enfermait des vérités qu'ils
n'auraient pas voulu entendre (comme si cette même censure contre laquelle on
criait tout à l'heure, eût été d'humeur à laisser
passer des traits offensans pour ses patrons) ; on a peuplé les banquettes
de ces machines à figure presque humaines, dont les battoirs ou les jets de
voix extatiques appartiennent à la bourse du premier venu ; on a... mais
arrêtons-nous : il n'y aurait point de raison pour que la phrase finit.
Quoiqu'il en soit, tout cela s'appelle affronter les périls d'une
première représentation et tout cela donnera à coup sûr
une haute idée de la dignité du génie tel que
l'entendent ces messieurs.
Le procès est donc gagné, définitivement gagné ;
à moins cependant que le public qui, dans quelque temps, sera sans doute
admis à l'honneur de succéder au public des premiers jours,
ne casse en riant l'arrêt rendu par un autre tribunal, comme il en advint au
sujet de ce bon Henri III dont pas une des dernières
représentations ne s'acheva sans avoir été
égayée. Si pareille chose arrivait jamais, nous en serions
peinés plus qu'on ne peut dire, et nous conseillerions bien vite aux aigles
romantiques de se ranger de leurs ingrats contemporains en les sevrant du drame
moderne et en gardant soigneusement en portefeuille ce qui leur en reste. Mais
point d'affligeantes suppositions ! la victoire vous restera : le jeu des acteurs
et la mise en scène vous en répondent.
Par exemple, l'envie, cette envie dont il faut bien toujours parler, viendra
peut-être vous glisser à l'oreille que le romantisme semble ne
concevoir la régénération de l'art que sous le point de vue du
décor et du costume, qu'en conséquence le peintre et le costumier
n'auraient pas trop mauvaise grâce à se vanter d'avoir, cette fois
encore, tout seuls enfoncé Racine... Nous laisserons dire l'envie,
et nous irons toujours, vous, brassant vos compositions gigantesques ; nous, y
applaudissant de cœur, comme aujourd'hui.
Parlerons-nous de quelques vers Cornéliens qu'on a remarqués
à côté d'une foule de vers qui ont l'immense avantage de
n'être point des vers ? Il est clair que ce n'est point des premiers que
votre école doit le plus tirer vanité, puisqu'ils ne sont qu'une
imitation, et que les autres vous appartiennent en propre !
Dirons-nous un mot de la mauvaise plaisanterie qui a terminé la
soirée et qu'aura probablement inventée un de ces bouffons qui ne
savent comment s'y prendre pour exciter l'hilarité ? Le public n'en serait
pas plus avancé. Que lui importe d'ailleurs qu'une couronne ait parcouru la
salle sans pouvoir trouver un front où se poser, pour emprunter une de vos
locutions.
Disons plutôt que votre triomphe nous tient sous le charme d'une
manière toute particulière. Aussi espérons-nous que, si
l'opinion vient à varier sur votre œuvre de réforme,
il n'en restera pas moins un beau et durable succès : seulement ce
succès pourra changer de nature : aujourd'hui c'est un succès
d'enthousiasme et d'admiration, demain ce pourra être un succès de
gros rire et de franche gaîté, car il y a dans l'ouvrage de quoi
défrayer deux ou trois pièces de carnaval : et une bonne bouffonnerie
est si rare par le temps qui court !
***
A la seconde représentation de Hernani, la camaraderie n'a pu si bien faire qu'une portion de public impartial ne se glissât dans la salle. Cette portion a témoigné vingt fois son mécontentement, mais d'une manière timide, et en interrogeant d'un œil inquiet les bataillons armés qui l'entouraient. En revanche, on parlait tout haut dans les loges ; là tout les spectateurs, le cou penché, contemplaient d'un air étonné cette masse turbulente d'applaudisseurs. Dès le matin, il avait été décidé que pour enlever le succès on redemanderait trois acteurs : Joanny, Michelot et Melle Mars ; à midi. le mot d'ordre était changé ; tous les acteurs, se tenant par la main, devaient se présenter sur une seule ligne, et faire la révérence au public ; mais sans doute les plus sages des sociétaires auront fait exposition, car avant le lever de la toile, les claqueurs s'interrogeaient les uns les autres, et le chef de la troupe s'escrimait en proclamations à voix basse, qui circulaient de rang en rang. Enfin après la chute du rideau, et après un moment d'hésitation, un cri, suivi de trois cents autres, a demandé Melle Mars toute seule. Et voilà l'historique de cette seconde représentation. Une seule chose mérite des éloges sans restriction : c'est la mise en scène, ce sont les costumes et les décorations. Ceci rappelle fort ces gens riches, qui n'ont qu'un bon cuisinier pour tout mérite.
Mardi 2 mars
HERNANI. — Avant, Pendant et Après.
Nous avons dit : « Dans quinze jours M, Victor Hugo saura, à n'en
pouvoir douter, qu'il n'a fait qu'une pièce mauvaise et imparfaite de tous
points. » La moitié de ce temps n'est pas encore
écoulée, et déjà, pour parler comme Beaumarchais, le
grand poète a cuvé la meilleure partie de son
orgueil du premier soir : déjà la bonne disgrâce a
commencé pour lui. Nous qui avions prévu, non pas autant de faiblesse
dramatique, mais autant de mépris des formes poétiques, autant
d'absence du bon sens et de la logique naturelle ; nous qui avions prédit
cette morgue, ces fureurs, la honte de ces gloires fabriquées à
grands tours de bras, et cette chute toute littéraire et toute
motivée, nous allons encore une fois reprendre notre rôle d'historien,
raconter les faits et rapporter les écrits et les paroles ; il faut se
hâter. Aujourd'hui même le canon de la terrasse des Tuileries nous
appellera à notre poste d'avant-garde ; le drame parlementaire est plus
intéressant que Hernani, qui bientôt sera comme s'il
n'était pas.
Avant. — M. Victor Hugo, après les misérables
tracasseries administratives qui empêchèrent l'apparition
scénique de Marion Delorme, confia à ses amis la conception
de Hernani ; il en annonça la future naissance ; l'ouvrage vint
à terme : « On ne sait pas encore quel est le
théâtre qui aura la bonne fortune de ce
chef-d'œuvre. » Ainsi parlèrent les parrains de
l'enfant ; ainsi redirent toutes les feuilles conviées au baptême. Les
menaces redoublèrent de toutes parts contre la vieille tragédie ; les
cris de triomphe se firent entendre partout ; les sarcasmes s'y
mêlèrent, et enfin le nom de Hugo, aux bottes de sept lieues,
écrasant les myriades de fourmis, le nom de Hugo, à l'aile
grande et forte, renversant, avant de s'élever, les bustes
croulés (ce qui ressemble beaucoup à enfoncer une porte ouverte) ; le
nom de Hugo, au front immense ; le nom de Hugo, colosse, géant,
éléphant, baleine, atlas, pyramide, homme monumental, etc.. fut
répété par de maladroits louangeurs, qui, oubliant Amy
Robsard, venaient, Cromwell à la main, insulter le vieux
théâtre national et ceux qui osent l'aimer et le défendre. Les
épigrammes, les attaques, les rires, les tristes prédictions leur
répondirent ; et l'on en conviendra, cette réplique était
alors de bonne guerre. Cependant, on excusa les panégyristes, et on
blâma les rieurs, et puis, de par Marion refusée, on demanda
quartier ; de par les mutilations et les félonies de la censure, on implora
merci ; et enfin, de par le refus généreux de 2,000 francs de
pension, on voulut imposer l'admiration. Dans ce camp que l'on croit
flétrir, en l'appelant classique, il y a de la
générosité ; on se tut, et Hernani prépara
tranquillement son entrée en scène. Le jour de l'épreuve
était désigné. La veille, et lorsqu'il n'était
plus possible de leur répondre, les camarades reprirent leur
langage apologétique, l'éloge anticipé envahit leurs colonnes
avec la plus étonnante audace, et encore une fois un succès fut
imposé. Par une ruse déloyale, on parla de détracteurs
à l'avance, on cria contre un fantôme de cabale, on alla
jusqu'à affirmer que l'ennemi était maître de
l'amphithéâtre ; et, par la plus étrange contradiction, on
attesta aussi que le public du premier soir serait un public payant.
Pendant ce temps, les bandes se comptaient, entraient par toutes les ouvertures, et
garnissaient le sol et les combles de la salle !!!
Pendant.— Les menaces étaient dans le parterre, les
vociférations occupaient le sommet de la montagne, l'insulte s'était
placée à l'orchestre, aux stalles et à la galerie ; partout et
toujours on entendit des aspirations, des cris et des applaudissemens
frénétiques. Les amis de l'auteur, avoués et connus,
quelques-uns de ses pareils, des journalistes déclarés tels, tous ces
gens applaudissaient avec fureur, injuriaient le spectateur inactif et se
chargeaient de la police de la salle pour en chasser jusqu'aux timides tousseurs,
enrhumés par un hiver si long et si rude ; et puis ils se sont
écriés : Nous l'avons coulé en bronze ! Hélas
! ils n'avaient coulé bas que l'ouvrage, la pudeur littéraire, et
aussi quelque peu de leur réputation et de celle de leur héros
!
Après. — Il s'est trouvé deux feuilles seules qui ont
osé admettre dans leurs lignes l'enthousiasme de leurs
rédacteurs haletans après une telle besogne de succès. Une
seule feuille a osé dire que l'ouvrage avait été joué
devant la plus formidable cabale ennemie. Mais aucun autre journal n'a pensé
à excuser les indécens soutiens dont l'amitié avait
entouré Hernani. De toutes parts les claqueurs ont
été honnis. Par une tactique bien perfide, on avait voulu unir les
opinions littéraires et les opinions politiques. Et voilà que les
feuilles absolutistes, et le Constitutionnel ont ensemble critiqué
l'ouvrage. Personne n'a entrepris de reproduire le lendemain les louanges de la
veille ! Plusieurs journaux, défenseurs enrôlés du drame
nouveau, ont déserté la cause ; d'autres, et le Globe
marchait à la tête, avaient d'abord nettement reculé devant
l'apologie promise ; mais hier le Globe a passé toutes les bornes,
et d'une main tremblante il a pris soin de donner lui-même la mesure
de l'admiration des vrais camarades. Son article exagéré est la plus
sanglante critique de Hernani. Un jour tout entier, la presse camarade est
restée l'arme au bras, et lendemain, le mensonge a paru trop gros ; les uns
(le Journal des Débats), l'ont coupé par moitié, les
autres l'ont mâché un instant et rejeté ensuite avec
dégoût. Maintenant la critique aux mille formes diverses a dit :
Hernani n'est pas un drame ; Hernani est une longue série
de petites imitations ; Hernani n'est pas original ; Hernani
n'est pas nouveau ; Hernani n'est pas historique ; Hernani est
commun et point extravagant ; Hernani n'est pas passionné,
Hernani est faux ; Hernani est souvent ridicule ;
Hernani est toujours ennuyeux ! Et, tous les genres sont bons, hors le
genre ennuyeux. A-t-on voulu contester à M. Victor Hugo la
faculté poétique ? Non, sans doute ; la Quotidienne, mieux
avisée, a cité la plus longue et la plus remarquable tirade de
l'ouvrage. Elle prouve et la bizarrerie de ces hommes qui veulent faire des vers,
sans rien de ce qui constitue le vers, et qui croyent pouvoir à leur
gré torturer une langue pour la façonner à des formes que sa
structure et son esprit ne pourront jamais supporter ni admettre. Mais quelques
vers prouvent aussi tout ce que peut déployer de vigueur une jeune et
brillante imagination, libre d'entraves, dont, avec raison, elle s'est affranchie.
Et voilà l'histoire véridique du jugement de la presse sur
Hernani ; le public n'a pas encore été admis à
l'audience.
Si par de telles manœuvres, on a voulu attirer les spectateurs par la
curiosité qui s'attache à tout ce qui fait bruit, nous
désirons qu'elles soient profitables à la caisse du
théâtre ; nous croyons même que cela doit arriver ; mais nous ne
regardons pas moins comme funestes à la réputation de l'auteur, et
flétrissantes pour ceux qui les ont préparées et
exécutées.
Hemani, sans le nom de M. Victor Hugo, eut été
impitoyablement sifflé par tout le monde ; car sa contexture répugne
même aux doctrines du drame moderne ; dans quelques jours tout cela sera
chose avérée. Et après ces mesquines aventures : Aux chambres
! aux chambres !
***
Un membre de l'Académie française qui passe pour un
étourdi, disait, hier soir, dans un des salons du faubourg Saint-Germain, en
parlant de Hernani : « Il y a dans cette tragédie, trois
scènes qui ouvrent les portes de l'Institut à l'auteur, et cinq
actes, celles de Charenton. »
— Voici quelques pelites anecdotes sur Hernani. Les acteurs
pensionnaires qui ont des rôles dans la pièce ne restaient au
théâtre pendant les répétitions que le temps
obligé de leur présence en scène ; on répétait
à huit-clos et seulement devant les sociétaires et les amis. A la
seconde représentation de Hernani, une personne qui tient de
très-près à M. Victor Hugo applaudissait avec fureur. —
Mais, lui dit quelqu'un, vous vous compromettez. — On ne me reconnaîtra
pas, j'ai des
moustaches et des lunettes ! Un jeune homme de seize ans était à
l'orchestre à côté de quelqu'un qui souriait, lorsque
Charles-Quint passant au cou de Hernani le collier de la toison d'or, lui dit en
fort tristes vers : que les bras d'une jolie femme sont un bien plus beau
collier. — Ah ! Monsieur, dit le jeune enthousiasmé, vous n'avez
donc jamais aimé !
— La portion du public payant qui a osé siffler à la seconde
représentation de Hernani, et qui a excité à un si
haut point la fureur des camarades applaudissans, était cependant
bien minime ; la huitième personne de la queue du parterre n'a pu
entrer. Quant à l'ovation de Mlle Mars, voici le fait tel qu'on le racontait
hier dans plusieurs salons. Malgré certains éloges, Mlle Mars, avec
ce tact qui est particulier au talent, a, disait-on, bien compris que le rôle
de dona Sole allait assez mal à ses moyens tous de grâce et de passion
douce ; elle voulait y renoncer ; pour la retenir, on a imaginé de lui
décerner le petit triomphe dont il a été question.
— Si l'on veut avoir une idée des mesures prises par la camaraderie
pour assurer le succès de Hernani, il faut lire une brochure toute
bilieuse et qui se vend chez le libraire Barba ; elle est intitulée : Lettre
trouvée par Benjamin Sacrobille, chiffonnier, touchant la
représentation de Hernani.
Mercredi 3 mars
CHARLES V,
EMPEREUR, ROI D'ESPAGNE ET DES DEUX INDES,
A l'auteur d'Hernani ou de Hernani. Salut.
« Vous serez sans doute surpris, mon petit Monsieur, de la formule
décrépite de classicisme que j'emploie en vous adressant la
présente ; mais vive Dieu ! je ne suis pas romantique, moi, je suis tout
positif : roi des romains, de ces imitateurs des vieux Grecs classiques, je dois
adopter l'étiquette épistolaire du peuple-roi. Quant au tutoiement,
je le supprime ; bien qu'il convienne peut-être mieux que l'hypocrite vous de
la modernité, au candide père des Klephtes, Gnomes et
Péris.
Je vous dirai donc que mon frère François, avec lequel je suis
à présent le mieux du monde, m'avait annoncé ma prochaine
résurrection dramatique sur votre scène. C'est à vous, grand
et sublime chef, que j'allais en être redevable. Le fa meux vers de votre
poète philosophe :
« Du puissant Charles-Quint, la race est retranchée »,
recevait, de par la Melpomène française
régénérée, le plus solennel des démentis. Jugez
de mon allégresse ! J'en avais presque oublié les sottises de ce
petit Ferdinand.
Mais, qu'ai-je lu, grand Dieu ! Lévis qui arrive en ce moment, vient de me
remettre le précieux manuscrit renfermé sous trois
clés. Moi, qui, de mon vivant là-haut, n'aurais voulu parler que
l'allemand aux chevaux, et aux oiseaux l'anglais, je n'oserais pas même
aborder les ânes avec votre nouvel idiome !... Mais laissons-la le style et
vos délits de langage : Vive Dieu ! il s'agit de bien autre chose !...
Vous commencez d'abord par faire de moi, ce sage et prudent Charles, un coureur
d'aventures, une espèce de Faublas en goguette, qui escalade armoires et
balcons de gaîté de cœur, et cela, sur le dire incertain d'une
chronique purement controuvée!... Puisque vous étiez en si beaux
frais d'imaginative désobligeante pour ma gloire historique, il ne vous
manquait plus que de m'ériger en pilier de taverne, à la façon
de Henri V. Je serais du moins plus gai compagnon.
Ensuite, est-il bien décent de me faire épier, au clair de la lune,
le mot du guet des amoureuses infantes ? Vous me faites
refuser un duel, fort bien ; trait de caractère. L'héroïque
François Ier a reconnu là son prudent cousin ;... mais vous me donnez
pour rival un brigand, à moi, l'émule et le vainqueur de votre roi
chevalier !... Et ce brigand me menace ; de sa langue romantico-triviale il
m'écrase dans mon œuf déjà gros des plus vastes
rêves de monarchie universelle !... C'est me faire expier bien cruellement la
journée de Pavie.
Si Napoléon ne m'attendait là-bas, pour discuter sur les vrais moyens
de reconstituer l'empire Germanique, ma lettre serait plus longue, et partant plus
sévère : je vous prouverais dans un discours immense comme
celui que vous me faites adresser aux reliques de Charlemagne, que vous avez
violé toutes les règles du drame raisonnable. J'apprends toutefois
par deux claqueurs morts d'indigestion de votre succès, qu'il n'y a pas eu
le plus léger murmure de mécontenaent. Bravo ! frère ! c'est
ainsi qu'il faut vivre de son vivant. Gloire à vos camarades et
amis ! Tout était préparé de longue main pour votre triomphe.
Moins ingénieuses furent les précautions qui m'assurèrent
l'empire. A vous les insignes de la royauté dramatique ! Que peuvent
désormais et les francs-juges du classicisme et les remarques critiques d'un
public payant !... Petit Charles-Quint du romantisme, vous avez enlevé
d'assaut votre élection. Voilà ce qui me réconcilie avec vous.
Agé de moins de 25 ans, j'avais en mon pouvoir le pape et le roi de France ;
à peine avez-vous accompli six lustres, et vous foulez aux pieds les
vieilles perruques de Corneille et de Racine, et vous arrachez le rebelle toupet
des classiques. Quelque temps je pus tenir entre mes mains le Globe du
monde. Plus heureux que moi, vous possédez à jamais le Globe
de M. Sainte-Beuve.
Poursuivez, jeune homme ! je rétracte mes premières lignes, la
manière dont vous avez légitimé votre succès, doit vous
absoudre. J'aime d'ailleurs les artistes au coloris brillant et audacieux. Je ne
dédaignais pas de ramasser les pinceaux du Titien, j'eusse fait encadrer
votre plume. Que ne puis-je revenir au monde ! vous occuperiez bientôt
à ma cour la place de mon premier fou : votre verve divertissante ne
mérite pas moins.
Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
CHARLES D'AUTRICHE.
De sa résidence impériale des Champs-Elysées.
***
Nous n'avons jamais vu un texte à plaisanteries dans Hernani, au
moins dans nos articles Théâtre ; comme notre gloire
littéraire, et même notre honneur national sont intéresses dans
cette querelle, nous avons dû lâcher quelques bordées contre
cette œuvre archi-bisarre, qu'on ne sait de quel nom appeler, et dans
laquelle on trouve pêle-mêle et confondus, des vers à la
façon de Corneille, d'autres à la façon de Ronsard, d'autres
à celle de maître André, et nous allions ajouter..., d'autres
à celles de Barbari. Avant-hier, c'était la troisième
représentation ; or, écoutez : Il était sept heures
précises ; et dix sept stalles, et huit baignoires et dix-neuf loges
étaient inoccupées. Le brouhaha du parterre demandait le rideau ; il
s'est levé à sept heures un quart ; alors les stalles de la
première galerie n'ont plus laissé que quatre places vides, mais pas
une seule loge n'a pu se remplir entièrement, et les ouvreuses
s'empressaient partout de garnir la première banquette ; moi, qui vous
parle, j'étais seul à la septième des secondes, à
droite, en compagnie d'un enfant de sept ans avec lequel je n'ai pu faire la
conversation, attendu qu'il n'avait pas d opinion littéraire bien
arrêtée. Le pauvre petit s'est endormi dans le deuxième
entr'acte. Celte fois, le public payant s'était fait jour dans les rangs
pressés du parterre, et ma foi... ce public a pouffé de rire plus de
trente fois, en dépit des apostrophes d'assez mauvais goût des
applaudisseurs. Laissons aller les choses, et faisons des veux pour que le
Louis XI de M. Delavigne vienne bientôt nous réconcilier,
sinon avec les unités d'Aristote, du moins avec les beaux vers, avec le bon
sens et la raison. Hernani sera imprimé. Puisse cette œuvre
être tirée à 20,000 exemplaires ; puisse-t-elle aussi
être représentée sur tous les théâtres de province
; nous ne formons pas d'autre vœu.
— Avant-hier, dans un café du Palais-Royal, on enrôlait les
entreurs à Hernani, par billets de cinq personnes ;
plusieurs ont refusé, parce qu'il fallait remplir la salle avant six heures.
Au reste, maintenant justice est faite ; la rage de la défaite n'y peut
rien.
— Hernani, disait un homme d'esprit, devait ne ressembler à
rien, et Hernani ressemble à tout.
Jeudi 4 mars
On parle de vingt-quatre parodies de Hernani. La meilleure sera le manuscrit imprimé.
Vendredi 5 mars
CORRESPONDANCE.
(Hernani. )
Monsieur,
Vous souvient-il que le jour où l'œuvre du poète-géant
est apparue pour la première fois sur la scène française, tous
les journaux camarades nous ont averti que Hernani déplaisait
à la police, qu'il y avait dans cette pièce des vérités
que M. de
Polignac voudrait que le public n'entendît pas, qu 'il ne fallait qu'un
prétexte pour la faire défendre, et de tout cela la Camaraderie
concluait que les classiques ne voudraient pas se faire Ici instrumens d'une basse
intrigue, et devraient applaudir quand même. L'idée était
ingénieuse, et le moyen d'escamoter un succès était adroit ;
mais les faits démentent les paroles, et, pour dire vrai, il fallait dire le
contraire, vous allez en juger.
A la représentation d'avant-hier, à peine le premier acte de
Hernani, pendant lequel j'avais fait entendre de temps en temps le cri
aigu d'une clé forée, était-il terminé, qu'un homme,
sans crainte aucune d'essuyer ses sandales sur les banquettes du parterre,
en franchit trois ou quatre avec autant de promptitude que Charles-Quint entrant
dans le tombeau de Charlemagne, fixe sur moi un regard d'aiglon et me dit
: C'est donc vous, monsieur, qui sifflez en vous cachant. - Monsieur, je siffle,
j'en conviens, mais je ne me cache pas. - Si vous continuez, reprit-il, je vous
ferai sortir, je yous mettrai à la porte. A cette apostrophe toute
classique, je répondis comme Blondeau, garde-forestier de Paul-Louis
Courrier au mois de prison, et ce qui aurait pu me procurer les honneurs de la
salle Saint-Martin, car le camarade qui n'était pas un simple camarade, de
blanc pâle qu'il était devint rouge écarlate comme le manteau
d'un empereur d'Allemagne, tIra de sa poche une petite baguette en ivoire, signe
dislinctif de sa dignité, me prouva, à l'aide de cet argument, qu'en
cas de de résistance, je serais le pot de terre luttant contre le pot de
fer, et partit comme il était venu, me laissant tout ébahi et aussi
stupide que le vieux don Gomez quand il livre sa nièce à don Carlos.
O romantisme, romantisme !... tu fais qu'un poète qui a refusé l'or
de M. Labourdonnaye, appelle à son secours les agens de Mangin. Quoi !
vouloir être colosse et tout passer et ne pas craindre de repousser les
pygmées assaillans avec des mâchoires d'éléphant
façonnées én bâton d'agens de police.
O Hugo ! sur le nom d'un, tel que vous, auteur,
J'avais dans vos moyens conçu plus de grandeur.
Rime romantique.
Si Charles-Quint, à qui le ciel a fait un grand festin des peuples et des rois, revenait sur cette terre, et s'il faisait l'honneur à son poète et à M. l'officier de paix de les convier à ce banquet splendide, à quelle sauce, bon Dieu, nous mettraient-ils donc, vous et moi, monsieur le journaliste, qu'ils auraient, comme faisant partie du peuple, chétifs et petits sous la main ; à cette pensée je suis comme Charles-Quint,
Je crains qu'il ne me prenne un étourdissement.
(Hernani, acte IV.)
Ou, comme dit maître André, aussi poétiquement que le colosse, quoiqu'il ne jetait pas autant de poudre aux yeux de ses lecteurs, tout perruquier qu'il était.
« Quand je repense à toutes les traverses
Qui me sont arrivées, la tête me bouleverse. »
Tremblement de terre de Lisbonne, acte v, scène v
Je crois donc, Monsieur, devoir protester dans votre estimable journal, contre
l'intervention des gens de la police, au nom des jeunes hommes payant qui
assistaient à la représentation d'avant-hier et desquels on aurait pu
dire, rococotement parlant, apparent rari au milieu d'un
océan immense de camarades, de claqueurs et d'agens Manginiens dont
l'œil était ouvert sur eux.
Agréez, etc.,
Etudiant en droit.
***
Personne, plus que nous, ne forme des vœux sincères pour la
prospérité du théâtre Français ; mais nous nous
obstinons à dire que pour voir naître celte prospérité,
il faut de nombreuses acquisitions en acteurs et en actrices ; car les colonnes du
vieux temple de Thalie menacent de s'ébouler ; le peu qui nous reste de nos
meilleurs artistes a vieilli, et ce n'est pas pour eux qu'est fait le
mélodrame qu'on veut acclimater rue de Richelieu. Les grandes phrases et les
tirades longues, ampoulées et déclamatoires, ne vont pas à
gens qui ont courte baleine ; s'ils veulent terminer glorieusement leur
carrière dramatique, il faut qu'ils se rallient au dialogue tranquille et
raisonné de Molière, de Marivaux et de tous ceux qui, depuis trente
ans, continuent la tradition du bon goût et de la raison. Que si
l'administration du théâtre Français croit devoir faire
succéder le mélodrame à la comédie, alors il faut
qu'avec le genre, elle emprunte les acteurs qui savent l'exploiter. Sans cette
précaution, point de salut pour elle ; Eu fait de dissimulation, de
brigandage et de mort violente par le fer ou le poison, Mme Dorval,
Frédéric et Gobert en savent bien plus long que
Célimène, Alceste et Frontin. Chacun son métier.
Samedi 6 mars
Un journal assure que M. Victor Hugo a retiré du théâtre son
Hemani. Un autre prétend que la police a menacé
d'arrêter les représentations de cette pièce, si le public
s'obstinait à redemander Mlle Mars après la chute du rideau. Or nous
dirons que le public n'est pas encore admis aux représentations du
chef-d'œuvre ; il a pu entrer dans les loges, mais il n'a pu se glisser au
parterre qui est toujours encamarade. Quand ce public aura accès et
qu'il sera en force, nous verrons s'il songe à redemander autre
chose que son argent.
Dimanche 7 mars
Si Hernani était l'ouvrage du premier venu, Hernani aurait déjà disparu de l'affiche ; mais Hernani est l'œuvre de M. Hugo, et chacun veut voir Hernani. « C'est bien mauvais, dit-on, en sortant ; mais n'importe, j'ai voulu voir, j'ai vu.» Cette affluence est toute de curiosité ; elle durera quelque temps, s'il faut en juger par le haut chiffre d'avant-hier : 4,712 fr. 90 c. ; mais cette prospérité d'un moment mène tout droit la comédie à sa décadence. Elle ne donnerait pas impunément un pendant à Hernani ; et le public qui a pris le parti de rire, pourrait se fâcher tout rouge une autre fois ; car en vérité, Hernani est non-seulement le plus ridicule, il est encore le plus défectueux des mélodrames, et ses lignes rimées ont l'air d'une gageure, témoin la première qui peut servir d'échantillon :
« J'entends venir quelqu'un ; on vient par l'escalier
dérobé ».
Ajoutons qu'acteurs et actrices, sans exception, débitent en
écoliers novices un pathos dont ils n'ont pas la clé, et dont
ils
ne peuvent trouver la tradition nulle part.
Mercredi 10 mars
Nous affirmons qu'avant-hier à la septième représentation de Hernani, les huées, les rires, les sifflets, n'ont pas discontinué pendant les cinq actes. Le fameux monologue aurait été dit par Odry, qu'il n'aurait pas excité plus d'hilarité. Qu'est-il résulté de toutes les intrigues de la camaraderie ? Un peu plus de monde à la représentation de lundi ; mais aussi une chute plus complète, plus bruyante, une réception telle enfin qu'aucun ouvrage n'en a essuyé de plus humiliante. Nous ne concevons pas, en vérité, que M. Hugo ait encore une fois le courage d'exposer son drame ridicule aux risées de toute la bonne compagnie. Cependant tout Paris voudra voir jusqu'où va l'extravagance du romantisme ; et sous ce point de vue, Hernani sera une bonne fortune pour le théâtre Français.
Jeudi 11 mars
Hier, les claqueurs étaient en force au théâtre Français. Leurs rangs disposés en paraléllogramme, et de manière à envelopper les dissidens, ne laissaient aucun refuge aux spectateurs désintéressés, à qui les tirades Hugotiques arrachaient un sourire. Vers le troisième acte, le parterre devint une arène dégoûtante ; des cris, des sifflets et des claques on est passé aux voies de fait, et tous les spectateurs indignés se demandaient à quoi bon la police, puisqu'elle laisse ainsi tout un public à la merci de ces misérables stipendiés.
***
THÉATRES. Hernani, malgré les nouveau Hugolâtres, leurs clameurs, leurs injures, leurs applaudissement, leurs éloges et leurs annonces, tombe ; encore quelques jours et justice sera faite. L'ouvrage [qui] vient de paraître nous fournira le sujet d'une récapitulation générale sur Hernani et les camarades.
Vendredi 12 mars
ANALYSE PITTORESQUE QUI MANQUE A LA DERNIÈRE LIVRAISON DU MERCURE.
(Hernani)
Un brigand, du nom d'Hernani, qui coule ses jours à se repaître de
carnage et à prévariquer, a senti peser sur son âme l'attrayant
cauchemar de l'amour : les divers appas d'une nommée dona Sol l'ont
parfaitement subjugué, et la belle, de son côté, n'a pu voir,
sans une émotion de première classe, cet infâme brigand mettre
à ses pieds l'hommage délicat et respectueux de ses sensations. Mais
un obstacle se présente : une espèce de respectable duc, qui se
trouve être fortuitement l'oncle de la belle, a mis dans sa tête
castillane d'épouser bon gré mal gré sa nièce ; un
autre obstacle encore : c'est le sieur Carlos, troisième amoureux, qui a
l'incommensurable avantage d'être doué d'un sceptre et qui a un
caprice despotique pour dona Sol : ceci soit dit pour remplacer l'exposition qui
manque.
Sur ces entrefaites, la pièce commence. Au lever du rideau que voit-on ?
c'est don Carlos qui se présente chez celle qu'il aime,
déguisé en incognito ; qui récite comme qui dirait quelques
vers, et qui, entendant marcher, ne voit rien de mieux à faire que de se
fourrer dans une armoire (stratagème romantique.) Hernani paraît aux
yeux de la dona, et se hâte de décrire la peinture de sa flamme
copieuse à cet ange de bontéet de douceur, sans compter qu'il lui
fait amplement partager le feu qui couve en son sein. Voilà que, comme il
fait chaud dans les armoires de Castille, don Carlos sort précipitamment de
sa cachette pour prendre l'air, et se trouve nez à nez avec Hernani, ce qui
fait que tous deux se voient dans l'alternative de mettre la dague à la
main. Survient l'oncle débonnaire qui n'a pas l'air de s'étonner de
ce que deux individus, qui sont censés être venus pour lui parler
politique, à lui, se trouvent dans l'appartement de sa nièce
vertueuse. La Castille excuse bien des choses.
La dona ayant donné un rendez-vous à son tendre malfaiteur, le prince
en a vent et, comme tout à l'heure, arrive le premier ; comme tout à
l'heure encore, Hernani le suit de près, et, peu ravi de ce que son rival se
dispose à lui souffler l'objet de ses affections, il lui propose de
reprendre le combat interrompu : à quoi don Carlos répond par une fin
de non recevoir, objectant qu'il lui convient incomparablement mieux d'être
assassiné. Le bandit qui avait d'abord manifesté le désir
d'écraser un œuf, commence à croire qu'il est de meilleur ton
de casser son épée, et il la casse à merveille.
Nous voici à l'époque où l'on entend sonner le tocsin. La
maréchaussée de l'endroit est aux trousses de la congrégation
de brigands dont Hernani est le chef, et il se commet un incendie.
Le duc n'a garde de prendre souci de tout ce qui se passe ; il s'occupe à
converser avec sa nièce dona Sol, et à faire ses apprêts de
noces. Soudain, une manière de capucin se présente
(déguisement romantique) ; c'est le trop malheureux bandit dont l'escouade a
été taillée en pièce et désappointée. Il
supplie l'assistance de gagner mille carolus d'or, en le livrant à ses
bourreaux, comme s'il ne pouvait pas se livrer lui-même. Le duc n'en veut
rien faire, et sort vitement, peut-être pour faire l'acquisition de la
corbeille de mariage. Hernani profile de la circonstance pour se lamenter, autant
que faire se peut, sur l'infidélité présumable de dona Sol.
Celle-ci lui riposte par un argument plausible, c'est-à-dire en lui exhibant
un poignard acéré qu'elle se promet bien de s'introduire dans le
sein, dès qu'elle aura prononcé le oui d'usage en faveur du duc
sexagénaire en même temps qu'amoureux. Touché de cette
naïve condescendance, Hernani tombe à ses pieds. Par malheur le susdit
duc arrive et le surprend au milieu de l'épanchement de sa gratitude :
certes, sa colère est pyramidale et a raison de l'être (effet
romantique.) Soudain don Carlos se présente ostensiblement et daigne
réclamer la tête d'Hernani, de laquelle il paraît vivement
désirer l'amputation. Mais l'hôte ne veut pas livrer son hôte :
ce serait à ses yeux une tache pour son sang de Castilte. Sa majesté
insiste. — C'est mon hôte.— Sa majesté se fâche.
— C'est mon hôte. — Sa majesté menace. — C'est mon
hôte et d'ailleurs, voyez mon petit musée de peinture ; voyez ce
portrait, celui-ci, celui-là, cet autre et les suivans ; voyez comme c'est
peint ! et dites-moi si vous pouvez, après cela, vouloir que je vous livre
un jeune hôte à qui je n'ai d'autre reproche à faire que
d'être un vrai gredin et d'avoir abusé de l'hospitalité pour
séduire ma dona Sol. Le roi se rend à ces très-bonnes raisons
; mais pas gauche, il emmène en ôtage la nièce du duc auquel il
semble dire, un sourire des plus sardoniques : mon vieux, ne faites pas
atttention.
Alors, le bon vieillard devient altéré du sang d'Hernani qul se
remontre, sachant le danger passé, et l'engage à vouloir bien se
couper la gorge avec lui. — Du tout, répond Hernani ; j'aime mieux
vous faire cadeau d'un cor de chasse.—Mais votre offre est bouffonne...
— Minute ! attendez l'explication : quand il pourra vous agréer que je
me sèvre de vie, vous n'aurez qu'à me jouer un air quelconque sur cet
instrument, dont j'aime à croire que vous savez jouer ; je comprendrai
à demi-mot et je me suiciderai brièvement. — Fort bien,
répond le bon vieillard.
A présent, c'est autre chose. Don Carlos s'amuse tout seul, pendant une
bonne demi-heure, à parler en espèce de vers admirablement rocailleux
; puis, après avoir dit toutes sortes de choses sur la profession
d'empereur, il s'en va faIre un tour dans le tombeau de Charlemague, histoire de se
dissiper. Bientôt le canon se charge d'apprendre à don Carlos qu'il a
été élu empereur, ce qui le rend clément et affable
à l'extrême. Il pardonne à Hernani, lui adjuge une
quantité de dignités et de sinécures, plus, la main de dona
Sol à laque il renonce volontairement, sans doute en raison de l'otage dont
il aura pu avoir quelque usufruit. N'importe ; la noce se pratique, et les
époux n'ont qu'un pas à faire pour nager félicité.
— « Ma tendre moitié, dit Hernani, il ne se fait pas de bonne
heure ; permets que je t'enlace de mes bras caressans, et que je t'entraîne
dans le sanctuaire nuptial, ne fût-ce que pour goûter le souverain
bien... — Ton désir coïncide exactement avec le mien, et je te
suivrais sans retardement, n'était le frais que je prends à cette
fenêtre, ainsi que le firmament avec ses étoiles d'argent et sa lune
plaqué-or, que je considère, remplie d'une émotion
inusitée. —Plus tard, ma dona Sol, tu t'occuperas d'astronomie ; mais,
pour le présent, je réclame de ta philantropie le petit service de ne
point retarder mon bonheur. —Tu parais le souhaiter... C'en est fait, je
sanctionne ton voeu : pénétrons donc dans l'asile de l'hymen...
» Mais l'infortuné Hernani avait compté sans son
hôte.
Tout à coup : « Touhou !... touhou !... touhou ! » C'est le cor
qui se met à sonner intempestivement.Ce qu'entendant, Hernani pâlit,
bondit et frémit : il se rappelle son pacte exorbitant avec le duc, et
ça lui fend le cœur. L'on entre... Ciel ! c'est le duc !... «
Hé ! bien, j'ai joué du cor de chasse. — Quoi !
déjà... — Tiens, cet autre qui dit déjà ! Est-ce
que je ne suis pas le maître de mon ad-libitum, fainéant ?
— Je ne dis pas... Mais je vas vous dire : Voici mon épouse que j'aime
et qui m'aime... — Alors, c'est différent ; choisis. — De quoi ?
— Du fer ou du poison..., avale. — C'est dur. — Tu m'en as
juré la tête de fauteur de tes jours... — Avalons ! » La
vérité est qu'il allait vider la fiole quand la Sol se jette dessus
et boit juste la moitié de cette potion peu stomachique. Hernani jure,
à part lui, de ne jamais oublier cet acte de dévoûment, et
s'empoisonne net. Après quoi le vénérable et inexorable duc se
poignarde très-bien et se met à mourir en se plaignant du
désagrément qu'il va avoir d'être damné.
Il ressort de cette œuvre admirable, une bien haute vérité :
c'est qu'il ne faut jamais être Castillan quand on a envie de la
prétendue d'un hôte, sous peine d'être obligé de se
défaire d'un cor de chasse en faveur de son rival, et de se tuer au premier
bruit de son son.
***
Le public siffle Hemani ; mais que serait-ce donc si on lui récitait la pièce telle qu'elle est imprimée. Avant-hier, Michelot et Firmin supprimaient à qui mieux mieux les mots, les hémistiches, el marmottaient dans leur barbe une vingtaine de vers qui auraient pu rendre la soirée encore plus orageuse. Décidément on court à Hemani par curiosité ; mais si la police ne prend pas des mesures sévères, le parterre peut devenir une arène où les gens paisibles seront livrés aux bêtes. Cette huitième représentation a été honnie et conspuée, plus qu'il ne fallait peut-être ; mais enfin c'était une revanche, et elle pouvait être dix fois plus significative. C'est à l'administration de voir si elle doit heurter de front cette animadversion générale. Hernani est jugé ; c'est une façon de pièce qu'on ne sait de quel nom appeler. Semée de vingt vers à effet, mais ridicule et défectueuse de tout point, elle ne peut que jouer un vilain tour à la réputation de M. Hugo et à celle des artistes qui se sont disputé les rôles.
***
C'est aujourd'hui vendredi qu'aura lieu la première représentation de N, i, ni, au théâtre de la Porte-Saint-Martin. Déjà le titre est assez piquant pour offrir la perspective d'une soirée amusante.
Samedi 13 mars
THÉATRE DE LA PORTE SAINT-MARTIN.
Première représentation de N, i Ni, parodie en 5 tableaux de
MM. Carmouche, Defourcy et Dupeuty.
Grand nombre de bons Parisiens ont pris au sérieux la mystification en cinq
actes de M. Victor Hugo ; et comme on n'aime pas à être
déclaré dupe, on se bat les flancs pour dénaturer les
intentions du mystificateur, et attribuera un écart d'imagination
poétique, une impertinence en vers alexandrins. Bien plus : le mystificateur
a le privilège de se moquer du public de deux jours l'un, au
théâtre Richelieu, et par-dessus tout, jouit encore des honneurs de la
parodie, car des N. i. Ni, des Ah qu'nenni et des Oh
qu'nenni vont successivement figurer sur nos théâtres, et la
Porte-Saint-Martin a pris l'initiative ; MM. Carmouche, Defourcy et Dupeuty ont
suivi pas à pas la marche du drame.
Et d'abord avant le lever de la toile, on entend le son d'un mauvais cor de chasse
et de son écho obligé, absolument comme chez nos marchands de vin.
Là-dessus, l'orchestre exécute les Folies d'Espagne et puis
l'air de la Dame Blanche : Je n'y puis rien comprendre, et le public a
répondu par une salve d'applaudissemens à cette epigramme à
coup d'archets. La toile se lève, voici les principaux personnages qui
figurent dans la pièce : Dégommé, boulanger, Dupathos, chef de
la compagnie des dévorans, N. i. Ni, homme de rien, dona Parasol, dona
Pimbêche, un paillasse et enfin un vitrier qui vient pour les verres
brisés. L'espace nous manque pour citer une foule de vers
très-comiques que nous avons retenus, tels que ceux-ci ;
«Je puis, pauvre poulet, t'écraser dans ta coque, »
« ...J'ai soif du tribunal, j'ai faim du commissaire.»
« ... Et pour ton déjeuner on te sert l'univers, etc. »
Le fameux monologue est parfaitement travesti : Dupathos, devant la tombe d'un célèbre compagnon, s'engage dans un galimathias dont il ne peut se tirer qu'en tirant sa montre et en disant qu'il est trop tard pour continuer un monologue que ni lui ni personne ne comprennent. Au quatrième tableau Dupathos est nommé compagnon sur l'air classique du tra la la ; il pardonne à N. i. Ni, et le marie avec dona Parasol : en ce moment le régisseur sort des coulisses et engage les spectateurs de la Porte-Saint-Martin à ne pas quitter leurs places quoique la pièce ait l'air d'être finie. Le dernier tableau travestit la dernière scène d'Hernani. N. i. Ni et Parasol consacrent la nuit de leur noce à des méditations astronomiques et psycologiques quand le son d'un cor se fait entendre :
« Serait-ce un omnibus ? — Non, c'est un corbillard. »
Dégommé arrive ; c'est une affaire de corps, dit N. i. Ni à dona Parasol. Dégommé laisse à sa victime le choix de la mort ; N. i. Ni choisit le poison contenu dans un flacon de rhum et eau. Mme Parasol lui donne l'exemple : ils se roulent par terre avec les cinq exclamations d'ah ! eh ! i , o , u , pour se relever ensuite et danser dans le ballet final.
Le succès de cette parodie n'a point été contesté ;
les auteurs ont été demandés et nommés. Mais quelque
plaisante que soit cette farce, le drame de M. Victor Hugo nous semble encore plus
amusant.
Ce soir S. A. R. Madame honorera de sa présence la deuxième
représentation de N. i. Ni.
HERNANI. — LA PRÉFACE.
Hernani imprimé était impatiemment attendu. Le jugement du
public a déjà commencé au théâtre ; chaque soir,
de justes sifflets, en dépit des violences et des honteuses clameurs de
quelques gens, font expier à M. Victor Hugo le succès que lui ont
fabriqué les camarades, et que ces prétendus libéraux de la
littérature voulaient imposer à tous les spectateurs présens
et à venir. L'impression de l'œuvre appelle encore u, jugement.
M. Victor Hugo a dès longtemps été élevé sur le
pavoi, par ces bandes incapables d'une longue exploration de l'antiquité,
plus incapables encore du travail qui seul peut créer les productions que
réclame le bon goût d'une nation grande de tant de gloire
littéraire et riche déjà de tant de chefs d'œuvre. Ces
bandes sans nom l'ont appelé leur roi, et lui, fier de l'effervescence d'un
jeune talent, fier de cette impulsion générale de tous les esprits
qui demandaient à agrandir le cercle des idées littéraires, il
a proclamé qu'il s'avançait à la conquête d'un nouveau
monde. Ce nouveau monde, ce sont les ruines du moyen âge ; ce nouveau monde,
c'est le vieil idiome ; ce nouveau monde, c'est l'ancienne barbarie ; ce nouveau
monde, c'est la poésie inculte de nos premiers poètes ; ce nouveau
monde, c'est l'enfance de notre théâtre ; ce nouveau monde enfin,
c'est une imitation servile des premiers pas de notre vieux continent ; il n'y a
point là découverte du génie, et terre nouvelle à
saluer.
La préface de Hemani était donc pour nous, comme le
discours que le roi Hugo allait tenir en pleins états à ses
sujets,à ses alliés, et à ses ennemis ; pour tout manifeste,
il n'a trouvé qu'un lambeau d'une préface écrite depuis
quelques jours, et point destinée à Hernani, examinons-la
cependant. M. Hugo se plaint d'une guerre déloyale ! Ses amis l'ont
coulé en bronze,... je ne parle pas au figuré, l'ont frappé en
médaille, ils l'ont fait graver, ils l'ont fait lithographier de face et de
profil, ils lui ont dit : tu seras roi ; ils ont inventé pour ses louanges
des mots nouveaux ; jamais dévouement de succès n'alla plus loin que
celui qu'ils ont montré pour Hernani ; tous les ouvrages de M. Hugo
ont été, avant et après, par eux réputés
chefs-d'œuvre ; les injures et les sarcasmes n'ont pas manqué à
ceux qui ont refusé d'accepter cette admiration ; voilà comme on a
combattu pour M. Hugo. Qu'a-t-on fait contre lui ? On a examiné ses
œuvres, et le ridicule en est sorti, grand, comme jamais il ne s'était
manifesté aux hommes ; il a excité partout le large rire aux
éclats retentissans : Voilà toute la déloyauté des
adversaires de M. Hugo !
Après quoi, on veut que le romantisme soit le
libéralisme. Dès lors on fait entrer les passions politiques
dans l'arène, et, par une loyauté toute particulière,
on voudrait confondre les amis de Racine et ceux du despotisme. Ecoutez ; ce n'est
point à propos de semblables querelles que nous ferons nos professions de
foi de politique ; nos preuves sont acquises en ce genre ; nous avons payé
notre dette à la cause des libertés publiques ; mais le bon sens, le
goût, la raison, et cette poésie dont vous remplacez
l'énergique élégance par le plus rude langage, les
règles de notre idiome français, toutes ces
choses forment-elles un code de servitude ? Il y aurait bien de la folie à
le prétendre. Voltaire, André Chénier, notre Béranger,
Lamartine, Delavigne, et vous même quand vous chantiez le bronze triomphant
de la Colonne, vous repousseriez tous cette perfide et menteuse assertion.
Rappelez-vous qu'il fut un temps, où le délire régna dans la
Cité, au nom de la déesse raison ; rappelez-vous que les cachots
furent remplis au nom de la liberté ; rappelez-vous qu'au nom de la
tolérance et de la patrie on organisa la terreur ; les hommes de ce
temps avaient passé à travers la liberté politique ;
n'avez-vous pas passé à travers la liberté littéraire ?
Celle là, nous la voulons. De toutes nos forces, nous repoussons la
vôtre ; car vous essayez d'organiser la terreur
littéraire.
Vous l'avez dit : votre drame n'est point nouveau, votre poésie
n'est point nouvelle, et votre plus grand défaut est de n'avoir pas
même su formuler vos propres idées ; après avoir quitté
l'ancienne route, vous n'avez pas su trouver le plus petit sentier ; vous marchez
incertain et rétrogradé : De la sorte on ne fait point de
véritable pas.
Maintenant par quelle fatalité M. Hugo a-t-il écrit sa propre
condamnation, et que va dire le zèle de ses amis ? On lit dans la
préface de Hernani :
« Et cette liberté, le public la veut telle qu'elle doit être, se conciliant avec l'ordre, dans l'état, avec l'art, dans la littérature ; la liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n'est pas complète. Que les vieilles règles de d'Aubignac meurent avec les vieilles coutumes de Cujas (qui soit dit en passant, n'a jamais fait de coutumes ; mais bien de savans commentaires, immortels parce qu'ils sont puisés dans cette logique d'équité qu'aucune société ne peut abandonner impunément.) « Cela est bien ; qu'à une littérature de cour succède une littérature de peuple, cela est mieux encore ; mais surtout qu'une raison intérieure se rencontre au fond de toutes ces nouveautés. Que le principe de liberté fasse son affaire, mais qu'il la fasse bien. Dans les lettres, comme dans la société, point d'étiquette, point d'anarchie ; des lois. Ni talons rouges, ni bonnets rouges. »
Voilà aussi notre profession de foi, nous la gardons en nos archives, et nous vous portons le défi d'y rester fidèle. Hernani l'a d'abord violée de tous points ; vous êtes, à n'en pouvoir douter, les talons rouges de la littérature dans la Revue de Paris ; vous en êtes les bonnets rouges au théâtre et dans vos poésies. Rappelez-vous aussi votre sentence : Ce que veut le public, il le veut bien. Et le public ne veut pas de Hernani.
Lorsque docile aux conseils d'hommes éclairés, lorsque cédant à l'effroi de vos amis, aux improbations sévères de la critique, au goût de quelques comédiens, vous avez fait subir à Hernani de légitimes corrections, cette nécessité vous importune ; et vous osez dire : Le jour viendra peut-être, de le publier tel qu'il a été conçu par l'auteur... Et vous parlez d'ordre et de lois !
Quant à la censure dramatique dont se plaint M. Hugo ; dans l'un et l'autre camp elle compte autant d'ennemis que de soldats.
Il y a vraiment quelque chose de risible à entendre l'auteur de
Hernani remercier ses amis, et l'applaudissement de l'élite de
ces jeunes hommes, et cette jeunesse puissante (par les mains, sans doute),
qui a porté aide et faveur à l'ouvrage ; mais il est plus
risible encore de voir M. Hugo remercier le public, et cela de très-bonne
foi. L'honorable auteur paraît croire sincèrement à un
succès ; on pourrait penser que depuis la première
représentation de sa pièce, M. Hugo a été
séparé du monde par une triple muraille ; il n'a rien entendu des
vrais sifflets. Nous ne lui souhaitons pas d'être mis, comme nous, dans la
confidence non équivoque de la désapprobation générale.
Au reste, si Hernani n'a pas été compris, c'est que le
romancero général en est la véritable clé ; et
tout le monde n'ayant pas cette clé, tout le monde n'a pu ouvrir le
trésor. Après cela il y a plaisir à voir M. Hugo avouer qu'il
est inférieur à Corneille et à Molière. Mais son front
immense se relève tout à coup et il dit : « Hernani
n'est jusqu'ici que la première pierre d'un édifice qui existe tout
construit dans la tête de son auteur. » Cela nous promet de belles
choses Et Hernani est la porte moresque d'une cathédrale gothique
!
« En attendant, dit-il encore, ce que j'ai fait est bien peu de chose.
» Nous sommes entièrement de son avis.
— Dans deux articles suivans, nous examinerons le style de Hernani,
on se rappellera que nous avons ajourné cette partie de notre critique. Les
camarades ayant interrompu leurs citations, force nous a été
d'attendre l'impression de l'œuvre.
***
Nous empruntons le passage suivant au Constitutionnel que sans doute nos romantiques n'oseront point appeler ultra :
« On peut aller voir Hernani ; la pompe du spectacle, la richesse des costumes, le jeu des acteurs et de Mlle Mars qui dans ce genre, est pourtant bien inférieure à Mme Dorval peuvent faire illusion aux spectateurs. Tout ce prestige se dissipe à la lecture : il ne reste qu'un mélodrame dont l'action est dépourvue de vraisemblance, où la pensée, tantôt triviale, tantôt alambiquée, dont le langage est d'une incorrection et d'une barbarie choquantes, et qui, par-dessus tout est d'un ennui mortel. »
Lundi 15 mars
HERNANI.
LES TROIS PREMIERS ACTES.
ACTE PREMIER, SCÈNE PREMIÈRE.
Serait-ce déjà lui ? c'est bien à l'escalier
Dérobé. Vite, ouvrons, bonjour beau cavalier.
— Suis-je chez dona Sol, fiancée au vieux duc
De Pastrana, son oncle, un bon seigneur caduc,
Vénérable et jaloux ? Dites. La belle adore
Un cavalier sans barbe et sans moustache encore,
Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux,
Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
Suis-je bien informé ?
Ces vers sont les premiers de l'ouvrage. Or, voici ce qui m'advint à la
première représentation. Je demandai très-naïvement
à mon voisin, si la pièce était réellement en vers,
comme on l'avait annoncé ? Il m'assura très-positivement qu'elle
était en vers. Je témoignai mon étonnement de voir ainsi
méconnues toutes les règles du rythme poétique, et je dis que
lorsqu'on voulait parler une langue, il fallait se soumettre à ses lois,
bonnes ou mauvaises, justes ou injustes, sous peine de mal parler cette langue, et
que, puisque M. Hugo voulait se servir du langage des vers, il devait faire des
vers... Autour de moi on haussa les épaules. Quelqu'un qui eut pitié
de ma sottise, s'efforça de me prouver qu'en fesant des vers, on avait
seulement cherché une mesure de douze et treize syllabes pour forcer la
pensée à se façonner à cette gaine étroite ;
elle devait par là acquérir plus de force et de concision, et il
était évident que de fort mauvais vers, tels que ceux que j'avais
entendus, valaient infiniment mieux que de la bonne prose. Et moi, je me mis
étourdîment à penser à ce bon M. Jourdain qui avait si
naturellement deviné qu'il y avait autre chose que de la prosejet des vers,
et qui, à ce titre, mérite d'avoir son buste placé dans le
temple romantique.
SCÈNE III.
Par saint Jean d'Avlia, je crois que sur mon âme
Nous sommes trois chez vous ! c'est trop de deux, madame,
— Qu'êtes-vous venu faire ici ? c'est donc à dire
Que je ne suis qu'un vieux dont les jeunes vont rire.
On va rire de moi, soldat de Zamora ?
Et quand je passerai, tête blanche on rira
Ce n est pas vous du moins qui rirez !
Dans l'impossibilité où nous sommes de citer toute la
pièce, et avec la volonté bien formelle de ne point nous servir, dans
cette critique, des armes du ridicule, nous nous abstenons de reproduire plusieurs
vers des plus curieux. Nous rapportons ceux-ci pour signaler la négligence
singulière avec laquelle l'ouvrage est écrit ; les
répétitions y sont continuelles et presque toujours sans effet et
sans nécessité. Je me rappelle fort bien avoir entendu rire de grand
cœur certains romantiques qui se montraient gaîment dans les vers de M.
Racine les madame et les seigneur ; ces mots étaient pour
eux le sujet d'excellentes plaisanteries ; et voilà que jamais poète
dramatique n'a employé aussi fréquemment que M. Hugo les
Monsieur (que n'a jamais employé Racine) les Madame, les
mon duc, les ma duchesse, les c'est bien, et autres
locutions toutes civiles ; nous ne l'en blâmons pas ; car nous savons qne
Shakespeare dit : milord, que Schiller dit : herr et qu'Alfieri
dit : signore ; maintenant nous espérons que Madame et Monsieur
trouveront à l'avenir grâce devant la très-savante
Camaraderie.
En lisant les vers de M. Victor Hugo, il est impossible de croire que
Hernani ait été écrit par un homme de notre temps. Un
antiquaire qui aurait à assigner à l'ouvrage sans date, une
époque certaine, le croirait contemporain de Ronsard ; jamais il ne
songerait à l'attribuer à un successeur de Corneille, de Racine et de
Voltaire ; on remarquera que nous ne nous occupons plus de la contexture du drame ;
nous parlons du style qui n'est jamais poétique, mais toujours
inélégant, rocailleux et choquant l'oreille ; nous ne pouvons
concevoir l'étrange mérite d'un semblable travail ; nous aurons lieu
de faire observer [ Nous corrigeons l'interversion des deux paragraphes de
l'original] que ces défauts existent même dans les plus beaux
vers de l'ouvrage. M. Victor Hugo et les Hugolâtres veulent accréditer
une opinion fausse, savoir que la poésie consiste seulement dans la
pensée et non dans l'expression. Il n'en est pas ainsi : dans les vers, la
pensée poétique s'unit aux mots et aux tours poétiques, comme
l'âme s'unit au corps ; sans doute un beau vers ne peut exister sans
pensée, mais dans le style versifié, une belle pensée n'est
poésie qu'après avoir revêtu de belles formes poétiques.
Ce n'est qu'en prose qu'elle peut s'en passer ; là, elle peut toute seule
animer les mots.
Nous ferons ici une remarque bien futile en apparence, mais qui prouvera combien au
lieu du goût, le désir de la singularité a
présidé aux moindres détails de l'oeuvre de M. Hugo. On a
placé entre des parenthèses les indications scéniques.
L'auteur les a détaillées et expliquées avec soin ; souvent il
fait preuve d'une connaissance parfaite de l'époque qu'il a choisie, mais
plus souvent il y fait preuve de bizarrerie : jamais il ne dit : Hernani
entre, mais il dit : entre Hernani. Cela rappelle l'inversif vicomte
d'Arlincourt. Au second acte, les flambeaux qui brillent aux fenêtres des
appartemens sont allumés ou éteints. M. Hugo dit : Une
fenêtre s'éclaire, deux fenêtres s'éteignent, la
fenêtre éclairée s'éteint. Ce sont ensuite des
yeux qui s'allument. Ces façons de parler ne sont pas
françaises et n'iraient bien qu'à M. Syrieys de Mayrillhac, Nous
avons déjà cité le regard d'aigle etc., ceci n'est
que ridicule. Continuons :
Je vous hais, vous avez pris mon titre et mon bien,
Je vous hais, nous aimons tous deux la même femme,
Je vous hais, je vous hais, oui, je te hais dans
l'âme.
— C'est bien, dans quelques heures
Je serai, moi le roi, dans le palais ducal.
— Je le déclare ici, proscrit traînant au flanc
Un souci profond, né dans un berceau sanglant,
Si noir que soit le deuil qui s'épand sur ma vie,
Je suis homme heureux et je veux que l'on m'envie !
Ces vers sont un exemple d'harmonie ; ii suffit de les lire à haute voix
pour s'en convaincre.
ACTE III.
— Ecoute, on n'est pas maître
De soi-même, amoureux comme je suis de toi,
Et vieux. On est jaloux, on est méchant ! pourquoi ?
Parce qu'on est vieux.
— Parce qu'on est jaloux des autres et honteux
De soi. Dérision que cet amour boiteux.
— Car ses cheveux sont noirs, car son œil reluit
Comme le tien.
— Et puis, vois-tu ? le monde trouve beau
Lorsqu'un homme s'éteint, el lambeau par lambeau
S'en va.
Nous offrons cette citation, seulement comme modèle de l'enjambement poétique, à la manière de ceux qui se proclament les régénérateurs du drame et de la poésie dramatique. Voici un tour tout à fait heureux et élégant :
Voici ma Notre-Dame, à moi l'avoir priée
Portera bonheur.
Ainsi parlent les étrangers à qui notre langue est longtemps
difficile.
Nous ne pousserons pas plus loin l'examen des trois premiers actes ; nous ne
saurions trop répéter que pour cette fois nous nous sommes abstenus
de toute citation qui eût pu exciter le rire. Hernani a voulu subir
la rude épreuve de l'impression ; dépouillée de la pompe
théâtrale l'œuvre de M. Victor Hugo reste seule. Et pour elle va
commencer un jugement bien fatal à ces bandes qui ont inscrit ce nom sur
leurs bannières.
En terminant notre dernier article, nous répondrons demain à un
journal qui, pour vanter Hernani, ne trouve rien de mieux
que d'insulter la nation et l'époque en lui refusant toute aptitude
poétique.
***
Voulez-vous savourer avec délices une pièce de nos grands maîtres classiques ? allez voir d'abord Hemani ; avant-hier les vers chaleureux du vieux Corneille ont dissipé tous les brouillards du romantisme et remis les spectateurs en admiration. Trois ou quatre scènes dans cinq petits actes, quatre acteurs, des costumes usés, un salon moresque pour toute décoration, en ont plus dit au cœur et à l'âme que tout le fatras hiérogliphique de nos tristes novateurs. Chaque spectateur se trouvait dans la même position que Mercure qui, après avoir revêtu le costume et la physionomie de Sosie, reprend sa première forme, et va dans l'olympe se débarbouiller avec du nectar. David a fort bien débité le récit de la défaite des Maures, mais pourquoi a-t-il passé sous silence les stances d'amour et de chevalerie que Lafon fait si bien valoir, et que lui aussi pouvait reproduire avec bonheur ? La scène du défi est celle qui a produit le plus d'effet ; puissent Desmousseaux et Saint-Aulaire être toujours aussi bien inspirés ; mais Melle Charton, mais Dumilâtre, mais Bouchet !.... Beaux temps de Talma et de Saint-Prix qu'êtes-vous devenus ?
Mardi 16 mars
Plusieurs journaux ont annoncé que la dixième
représentation d'Hernani, promise pour samedi dernier, n'avait pas
eu lieu parce que le rideau en s'abaissant vendredi soir avait blessé Melle
Mars à la tête.Or, nous, dirons nous : cette représentation n'a
pas eu lieu parce qu'elle ne devait pas avoir lieu. L'administration qui avait
prié les journaux de l'annoncer, avait écrit deux heures après
auxdits journaux pour qu'ils ne l'annoncassent pas. C'était donc chose
inutile de changer d'avis le soir-même, et de chercher un autre
prétexte à cette remise. N'y aurait-il pas encore un tant soit peu de
camaraderie là-dessous.
— M. Victor Hugo a de grandes obligations au public : chaque jour voit
quelque retranchement à Hernani ; nous pourrions en indiquer de
très-notables, auxquels l'impression elle-même s'est soumise ; mais
qu'il nous suffise de féliciter l'auteur de cette condescendance volontaire
ou forcée. Hernani est de l'école de Théophile et de
Lemierre, école de décadence ; il n'y a ni étrangeté,
ni innovation, ni progrès.
Mercredi 17 mars
THEATRE DE LA GAITÉ.
Première représentation de Hocnani, parodie de
Hernani, en cinq petits actes.
La parodie est un genre usé depuis longtemps, cependant il ne messied pas
aux boulevards ; la Porte-Sainl-Martin a donc ouvert la marche des imitations de
Hernani , la Gaîté a pris son tour, et delà
jusqu'à la rue de Chartres, on nous annonce une longue série
d'imilations Hernaniennes.
Le véritable titre de Hocnani était d'abord ainsi
écrit : Oh qu'nenni. Les auteurs ont suivi pas à pas les
situations du drame de M. Hugo ; les noms ont subi les métamorphoses de
rigueur, et le dialogue a souvent fourni d'heureuses occasions de travestissemens.
C'est sans doute pour ressembler en tout à l'œuvre de M.Hugo que
Hocnani a réservé toute sa force pour le 5e acte ; les
parodistes l'ont traité de mains de maîtres, et cet acte suffit pour
assurer le succès- et la vogue de l'ouvrage. Le cor est devenu un mirliton,
et rien n'est plus comiquement risible que le dénouement de la
Gaîté, dans lequel toutefois personne ne meurt.
Les auteurs de cette bluette ont bien conçu qu'au théâtre les
épigrammes littéraires portaient rarement le trait au-delà de
la rampe, ils ont à pleines mains puisé dans la boîte au gros
sel ; c'est ainsi qu'il faut travailler au boulevard.
Mme Lemesnil parodie parfaitement le jeu de Mademoiselle Mars ; celle-ci ne s'en
fâchera pas, car Mme Leménil est une jeune et qui plus est une jolie
actrice. Le succès n'a pas été douteux un seul instant ; on a
redemandé presque tous les couplets du vaudeville final ; nous avons retenu
celui-ci : air des Cancans.
Plus d'un auteur au berceau
Dit qu'il a tué Rousseau,
Que Voltaire est éclipsé,
Que Racine est enfoncé !
Oh qu'nenni. ( bis )
Se dit plus plus souvent que oui.
Au milieu de nombreux bravos, on a nommé M. Durand.
Nous soupçonnons sous cet anonyme quelques gais transfuges des
Variétés.
***
Odry fait maintenant les délices des sociétés avec le
monologue de don Carlos dans Hernani.
— Pour indiquer l'entrée ou la sortie de ses acteurs, M. Hugo a cru
devoir prendre le contrepied des usages reçus ; il ne dit pas (Hernani
entre) mais bien (entre Hernani.) De cette façon
l'arrivée de Melle Mars est indiquée par (entre Sol), et les
mots d'Hernani à l'oreille de son amante par ces mots : (Hernani
à part à Sol.) Que de ressources dans le romantisme !
— Hernani est chaque jour démoli pierre à pierre ; il
ne reste presque plus rien du fameux monologue, les sifflets enlèvent tous
les soirs quelque morceau de l'ouvrage en dépit de la risible colère
des camarades ; Firmin, au milieu des mouvements convulsifs de son jeu, s'irrite
contre la juste critique du parterre, il a l'inconvenance de répéter
jusqu'à trois fois les vers sifflés ; il est permis à un
acteur de vouloir sauver à force de crispations un mauvais rôle ;
c'est une preuve de mauvais goût et de faiblesse, mais ne compter pour rien
les avertissemens du parterre, nous le répétons, c'est une
blâmable inconvenance. Firmin est peut-être de l'avis de cet
Hugolâtre qui disait avant-hier : « Vous n'avez pas le droit de
siffler, la troisième représentation est passée. »
Jeudi 18 mars
HERNANI.
LES DEUX DERNIERS ACTES. — UN MOT AU GLOBE.
Par les courts extraits que nous avons donnés des deux premiers actes de
Hernani, nous avons surtout voulu montrer le peu de cas que M. Hugo
faisait de la mesure du vers, de la construction poétique, et quelle
affectation de négligence et de dureté il apportait dans son style.
Examinons maintenant le dialogue dramatique.
Le fameux monologue est trop connu ; nous ne le rapporterons pas : dans les cent
sept vers qui le composent, il n'en est pas un seul que l'on puisse citer comme
véritablement beau, malgré toutes les peines que s'est données
l'auteur pour laisser à la postérité des vers-proverbes.
Charles-Quint y parle un jargon philosophique, bien éloigné des
idées de son règne ; et le poète idéologue a mis un
galimathias d'école à la place des graves méditations du
tombeau.
Dans une tirade de cette importance, où M. Hugo a voulu se montrer
poète, on lit :
L'un est la vérité, l'autre est la force. Ils ont
Leur raison en eux-même et sont parce qu'ils sont.
L'empereur ! l'empereur ! être empereur ! ô rage !
Ne pas l'être.
— Qu'il fut grand ! de son temps c'était encor plus beau !
— O l'empire ! l'empire !
Que m'importe, j 'y touche et le trouve à mon gré,
Quelque chose me dit : «Tu l'auras. » Je l'aurai !
Si je l'avais !
— Avoir été colosse et tout dépassé,
quoi !
Vivant pour piédestal avoir eu l'Allemagne !
Quoi !
Ces vers avortés fatiguent l'imagination du spectateur qui s'escrime en vain à les lier et à leur trouver un sens. Celui qui suit est d'une telle hardiesse d'enjambement qu'il met de mauvaise humeur :
Hernani, je vous aime et vous pardonne et n'ai
Que de l'amour pour vous.
Cette même rime, la même coupe et les mêmes mots se retrouvent encore une fois dans l'ouvrage :
— Quant au roi de Bohême il est pour moi — Des
princes
De Hesse...
Tout cela n'est qu'emphase et puérilité ; on dirait vraiment qu'il
y a gageure.
J'ai appris d'un bon camarade que trois passages étaient sublimes, les voici
:
Vanité, vanité ! tout n'est que vanité !
Dieu seul et l'empereur sont grands....
— Et voir sous soi rangés
Les rois, et sur leur tête essuyer ses sandales.
— Car rien n'est ici-bas si grand que ton néant !
J'ai admiré ces choses, et sans un grand effort de mémoire, j'ai retrouvé : (Vanité des vanités, tout n'est que vanité. (Ecclésiaste.) Dieu seul est grand, mes frères. (Massillon.)»
Et de ses pieds on peut voir la poussière
Empreinte encor sur le bandeau des rois.
- ( BÉRANGER.)
Et enfin : « Ces colonnes qui portent jusqu'au ciel le magnifique
témoignage de notre néant. (Bossuet.) » M. Hugo a
rapetissé toutes ces grandes images.
En fait de mélodie, voici un vers qui pourrait passer pour italien ou latin
:
— Puisqu'il s'agit de hache ici ; puisqu'Hernani,
Pâtre obscur..
O Chapelain, vous n'avez rien fait de comparable à cela !
Le quatrième acte est, d'un avis commun, le plus faible de la pièce ;
j'ai hâte d'arriver au cinquième acte, le point capital de l'ouvrage.
Voici le dialogue tragique :
Vous n'êtes pas à lui, mais à moi que m'importe
Tous vos autres sermens. Duc, l'amour me rend forte.
— Il y a faute ; il fallait que m'importent tous vos autres sermens. La licence est trop forte.
Savez-vous ce que c'est que dona So! ? Longtemps,
Par pitié pour votre âge et pour vos soixante
ans,
(Ce qui est absolument la même chose)
J'ai fait la fille douce, innocente et timide.
— Non, non, je ne veux pas, mon amour, que tu meures,
Non, je ne le veux pas, faites grâce aujourd'hui,
Je vous aimerais bien aussi, vous....
— Enfin on laisse dire à cette pauvre femme
Ce qu'elle a dans le cœur !
— Vous voyez bien que j'ai mille choses à dire.
— Ne le plains pas de moi, je t'ai gardé ta part ;
Tu ne m'aurais pas ainsi laissé la mienne,
Toi tu n'as pas le cœur d'une épouse chrétienne,
Mais j'ai bu la première et suis tranquille. Va !
Bois si tu veux !
C'est assez ; j'ai choisi les beaux endroits. Je n'ajouterai rien sur le
style.
Toutefois dans Hernani, et surtout dans ce cinquième acte,
plusieurs passages... bien rares prouvent que M. Hugo sait manier le vers
d'imagination et le rhytme descriptif ; ils prouvent qu'il pourrait devenir le
poète de l'ode ; mais le théâtre n'est pas sa carrière ;
la double épreuve de ses odes et de Hernani démontre ce fait
jusqu'à l'évidence. Nous avons lieu de croire que telle est aussi la
pensée de ses amis ; sur ce point ils doivent à son avenir de ne pas
cacher la vérité à M. Hugo, avant qu'il achève la
longue trilogie dont il nous menace.
Pour apprécier Hernani, il est un juge que le Globe
récuse tout d'abord ; ce juge, c'est le bon sens du public ;
« car en fait de poésie, dit-il, le goût français est peu
sûr. On bat en brèche Hernani, on démolit la
pièce avec des raisonnemens très-bons, très-justes (c'est
toujours le Globe qui parle) et à peu près sans
réplique ; mais Hernani est œuvre d'imagination, et le sens commun n'a
que faire de telles choses ; ce n'est point viande pour lui, c'est pour la folle de
la maison ! Que parlez-vous de la raison ? Il en faut, c'est à n'en pas
douter ; rnais il ne s'agit que de la dose, dit encore le Globe. En
demandez-vous à un conte, à une ballade, aux rêves
éveillés d'Hoffmann que le docte rédacteur appelle
très-plaisamment les Mille et une Nuits du Nord, ce qui prouve que
ce jeune savant n'a rien compris à la causerie de l'orient, et aux
délirantes méditations germaniques ? Vous ne leur demandez ni bon
sens, ni raison : pourquoi donc en exiger d'un drame qui doit vous présenter
un fait d'hommes avec sa naissance et sa mort d'action, avec sa gradation
d'intérêt, avec cet ordre qui préside à tout le
mouvement social ? Ah ! vous avez grand tort, pauvres hommes de bon sens de ne pas
permettre au dramaturge de vous faire une ode, une ballade, un conte fantastique,
une féerie, un rêve en cinq, dix, ou quinze actes ; cela ne
ressemblerait pas mal à une séance de lanterne magique, et serait
très-divertissant.
Examinant ensuite l'œuvre de M. Hugo, le rédacteur du
Globe avoue que l'imagination a été cette fois
conviée avec trop d'éclat, et qu'ensuite il n'y a dans
Hernani ni roman, ni histoire, ni drame. Le style est, dit-il, dans le
même cas, il est aussi peu sensé et aussi peu vraisemblable que la
fable ; c'est un style d'imagination ; ni vers, ni prose ;
décidément M. Jourdain avait raison.
L'écrivain croit qu'il y a dans tout cela du Calderon et du Gœthe ;
cependant il n'en est pas très-sûr ; eh ! bien, nous lui affirmons
qu'il n'y a ni de l'un ni de l'autre ; car l'un a écrit ses drames avec une
énergie méridionale que ne connaît pas la tête qui a
enfanté Hernani, l'autre a jeté dans toutes ses compositions
une poésie philosophique et religieuse, bien éloignée de la
dévotion espagnole et du spiritualisme de M. Cousin.
L'Esthétique, que Messieurs du Globe doivent connaître, nous
apprend qu'il n'y a œuvre, même en poésie, que par l'union de la
raison el de l'imagination ; le reste ne peut former que des actions
isolées.
Le rédacteur nous paraît donc avoir mis dans son article fort peu de
sens poétique, et pas du tout de sens commun ; surtout en ne voulant voir
dans la nation française que des habitués du Gymnase.
C'est en vérité grand'pitié que des esprits droits en
politique se laissent aller à de telles aberrations littéraires. Rien
n'est
parfait sur le Globe.
***
On parle latin dans Hernani : ad angusta, per angusta, disent, comme mots de ralliement les conjurés de la Sainte-Wehme ; une dame demandait l'explication de ces mots : à de petites choses, par de petites choses, lui répondit-on. Ah ! mon Dieu, s'écria-t-elle, mais c'est la devise de l'auteur !
Vendredi 19 mars
La foule se précipite aux représentations d'Hernani. Chacun veut avoir vu, veut avoir entendu ce drame archi-bizarre, qui prête tant à rire au parterre et aux loges. Toutefois, nous préveons Michelot qu'il est véhémentement soupçonné par les Hugolâtres d'être le premier à se moquer du rôle de don Carlos qui lui a été confié. - « C'est pour examiner cet acte attentivement que je viens exprès à l'orchestre, disait avant-hier à son voisin, une espèce de fashionable ; nous allons voir ça... » Et la toile se leva. Michelot parut, le Monsieur prit des notes, et s'esquiva après le premier acte. - « C'est tout ce que je voulais savoir, dit-il, en prenant la main de son ami, M. Michelot aura demain de mes nouvelles.» (Nous garantissons le fait, il est archi-historique.) Pauvre Michelot, que lui sera-t-il arrivé ? Ce qui nous console, c'est que son nom est aujourd'hui sur l'affiche, donc il vit, et les Hugolâtres ne l'ont pas mangé !
***
On n'a pas oublié que le jour de la saint Charlemagne on fit demander par les élèves des lycées le fameux More de Venise de M. Alfred de Vigny ; voici maintenant Hernani demandé par les élèves du lycée Charlemagne. A quelles pauvres jongleries en est réduite cette pauvre camaraderie ! Ces géans qui s'en vont mendiant des applaudissemens de collège !
***
Les Hugolâtres nous reprochent amèrement les formes de notre critique ; c'est chose ordinaire pour nous, quelles que soient la réserve et la bonne foi de discussion que nous apportions dans nos articles ; mais les feuilletons Hernanistes nous appellent ignorans (ignorantus, ignoranta, ignorantum), imbécilles, sots, infirmes, pauvres, chétifs, perruquinistes ; et enfin à la dernière représentation, un Hugolâtre parlait très-sérieusement de traduire en justice et d'envoyer aux bagnes les non admirateurs de Hernani. Voilà une urbanité toute romantique !
Dimanche 21 mars
« Les Hernanistes ne rendront pas les armes. » Plus incorrigibles en quelque sorte que nos ministres, qui du moins font certaines concessions de tribune, les Hugolâtres redoublent d'audace et de reproches menaçans. Le dernier numéro du Mercure franchit toutes les bornes d'une polémique décente et raisonnée... Molière disait du grand Corneille qu'il avait un lutin qui lui inspirait de beaux vers, pour l'abandonner ensuite à lui-même... L'auteur de Hernani est moins heureux : je ne sais quel mauvais lutin se charge de sa défense.
***
Les plus raisonnables amis de M. Victor Hugo disent pour son excuse qu'Hernani n'est que la traduction en vers libres d'un vieux manuscrit espagnol qu'il déterra on ne sait trop comment, lors de son voyage, avec le général son père, dans la Péninsule ; mais les Séides-Hernanistes nient hautement un fait qui tendrait à rendre le poète-géant suspect de plagiat. Nous aurons bientôt le secret de cette énigme.
***
Les romantiques prennent leur revanche à la Porte-Saint-Martin ; les applaudisseineris prodigués à la piquante parodie d'Hernani, sont pour eux comme une continuation des sifflets qui ébranlent, de deux jours l'un, la salle de la rue de Richelieu..... A propos ! Hernani avait été demandé avant-hier par les élèves du collège Charlemagne ; et, bien que jeunes hommes, ces élèves ont sifflé. Décidément la France ne veut ni de la politique de M. de Polignac, ni de la littérature de nos novateurs ; ces messieurs ne nous feront pas remonter au 14e siècle. Ce serait trop de barbarie de leur part.
Mercredi 24 mars
THÉATRE DU VAUDEVILLE.
Première représentation de Harnali, parodie de
Hernani, en cinq tableaux.
Il pleut des parodies de Hernani. Pour réussir, il suffisait du
simple calque des extravagances de l'original. Aussi Momus lui-même vient-il
d'obtenir un demi-succès. Il y a cependant des longueurs et courte haleine
de verve dans cette parodie ; on pouvait tirer un parti plus plaisant du fameux
monologue ; le cinquième acte nous a paru également faible.
Dugommé-Grigouille-Larancune veut épouser sa nièce Quasi-Folle
; mais deux jeunes rivaux sont là : le contrôleur dramatique Charlot
et Harnali, buraliste marron, vendeur de billets par contrebande. Il serait inutile
de reproduire de nouveau l'intrigue du chef-d'œuvre. Les marchands de billets
conspirent dans une cave ; nommé régisseur, Charlot pardonne ;
Harnali, qu'il avait autrefois destitué, reprend son premier nom de Jean
l'Estragon. Il va épouser celle qu'il aime, quand l'oncle inexorable se
présente. Celui-ci qui ne veut pas avoir trompette pour le roi de Prusse,
partage entre les deux amans la boulette tragique. Le couple infortuné se
périt de colique ; mais, moins implacable que le vieux Gomez des
Français, le Dugommé du Vaudeville ordonne aux fiancés de
vivre... « Relevez-vous, leur dit-il, héros de parade, tout ceci n'est
qu'une plaisanterie ; mais puissions-nous
faire pleurer ici les rieurs des Français !...
Ce serait un peu fort, quand bien même la pièce vaudrait
mieux.
On a demandé l'auteur malgré deux ou trois sifflets des camarades, et
Arnal-Harnali est venu proclamer le nom de M. Auguste de Lausanne.
Nous citerons un grand nombre de vers plaisans :
Je pourrais à l'instant, ton destin m'y provoque,
T'écraser dans la main comme un œuf à la coque.
Je t'hais, s'écrie le buraliste marron, en s'adressant
à Charlot.
Je t'hais, tu perçois cinq sous par chaque place.
La duègne fait allusion à la scène de l'armoire :
Oui, c'est un nouveau lour
Renouvelé des Grecs et de Monsieur Vautour.
.................
... Que l'état montagnard !
Autant dire, pardieu ! je suis un Savoyard.
En parlant des respectables auteurs de ses jours, Harnali confesse naïvement que
... Saisis par les patrouilles grises,
Ils ont eu des malheurs devant la cour d'assises.
..................
La reine de mon cœur pourrait, par aventure,
Coucher au violon , comme à la préfecture.
Dugommé surprend Harnali et Quasi-folle :
Je me trouve être avant ce que l'on est après.
..................
Erudit ! je le suis, il suffit que je parle
Aussi bien le français que l'écrit monsieur Marie.
Après un éloge emphatique de Frédérick Lemaître et de Mme Dorval, un des personnages ajoute :
Les Français sont trop chers, et l'on n'est pas
fâché
D'entendre quelquefois crier à bon marché.
...................
On veut qu'un mendiant exerce à domicile.
Du temps de Racine, à la Comédie française
On gagnait gros alors ; aujourd'hui, dieu merci, -
Les temps sout bien changés et les pièces aussi.
................
Mon zèle est d'obéir, sans jamais dire un mot.
Ce vers est la plus sanglante critique du rôle de dona Sol.
Je suis pourtant, mon cher, un vieillard homérique,
— Alors du temps d'Homère on était bien comique.
Dugommé dit d'Hamali, dont les menaces restent toujours sans effet :
Il n'assomme jamais, mais il est assommant.
Quand Quasi-Folle adresse à la lune sa romantique invocation, Harnali ne peut s'empêcher de s'écrier :
Qu'une femme astronome est un être embêtant !
Mais le vers le plus applaudi de tous est celui que prononce Quasi-Folle au cinquième tableau :
Le bon sens peut venir pour corriger le style.
Ici, quelques Hugolâlres ont voulu venger leur idole par des sifflets ; mais les applaudissemens d'un public raisonnable se sont hâtés de protester en faveur du goût. Encore une défaite des camarades.
THÉATRE DES VARIÉTÉS.
Première et probablement dernière représentation
d'Hernani
La bizarrerie des costumes et le talent d'Odry, de Vernet et de Lhéric n'ont
pu lutter contre l'absurde contexture et les ineptes détails de cette
parodie. Quelques insipides couplets, deux ou trois fragmens d'Hernani et
le reste en prose assaisonnée de mauvaises charges, empruntées aux
traiteaux de Bobêche, voilà le résumé de cette
première représentation. L'excellent Odry a osé braver
l'opposition pour proclamer le nom de l'auteur de ce petit chef-d'œuvre, mais
des sifllets nourris lui ont fermé la bouche. J'en suis désolé
: quand j'entends des drôleries à la chambre, je suis bien aise de
savoir que c'est M. Laboulaye qui les débite ; de même je serais
enchanté de connaître l'auteur de la rapsodie d'hier au soir, cela
fait toujours plaisir.
Malheureux théâtre des Variétés ! I
« Il s'enfonce, il s'enfonce ; il tombera un de ces quatre matins !!! (Bonardin, scène VII.) »
Jeudi 25 mars
M. Méneuvérier, auteur de la bêtise romantique d'Hernani, donnée au théâtre des Variétés, ne se tient pas pour battu. Sa petite merveille, que le public a enterrée avant-hier, a ressuscité hier sur l'affiche, en dépit du bon goût et de la saine raison. M. Méneuverier a trouvé l'ingénieux moyen de faire bâiller toute la salle en parodiant un drame qui fait rire d'un bout à l'autre.
Vendredi 26 mars
VAUDEVILLE. - Harnali. — Si, dans notre premier article, nous n'avons pas parlé du jeu des acteurs, c'est qu'ils nous ont paru généralement peu sûrs de leur mémoire. Charlot-Fontenay surtout a de graves reproches à se faire. On craignait qu'il ne pût arriver sans encombre à la fin de l'interminable monologue ; le souffleur suait, soufflait... Lepeintre jeune, qui quelquefois fait rire, est plus souvent monotone de charges et de lazzis. Arnal et MIle Brohan ont eu les honneurs de la soirée ; cependant on désirerait une imitation plus vive et plus animée du jeu convulsif de Firmin et de celui de Mlle Mars. Au résumé, dans le triste état où se trouve le Vaudeville, tout meurtri de la chute des Oubliettes et de la Convalescente, Harnali est presqu'une bonne fortune. Cette parodie offre pourtant plus d'une tache. Il y a trop grande crudité d'expressions. On y répète à satiété les mots danse, roulée, volée, etc., etc..... Ce grattoir qui remplace le poignard, n'est pas non plus très-bien trouvé. Que signifient ces termes burlesques : Vieux cornichon, vieux lapin ?... et ce vers :
« Avec de vieux lapins, on fait de bons civets ?»
Avouons que Favart entendait autrement la parodie.
Lundi 29 mars
La romantique Revue de Paris nous apprend que, dernièrement,
Firmin, de la Comédie française, a été vigoureusement
égayé (sifflé) dans Hernani. Cette
confession est inquiétante, elle donnerait à penser que Firmin n'est
pas l'homme qu'il faut aux trilogistes, et voilà ce qui confirme le bruit
accrédité que Bauvalet et Mme Dorval peuvent seuls sauver le
théâtre Français. Courage, camarades ; enfoncez tout pendant
que vous y êtes.
Vendredi 2 avril
Si l'on en croit les amis de M. Victor Hugo, l'auteur de Hemani recevrait depuis quelques jours des lettres anonymes dans lesquelles on le menacerait tout simplement de le... tuer, s'il ne retire son drame.... Vite, des gardes au petit Pisistrate romantique.
Samedi 3 avril
La dernière représentation d'Armand a procuré une bonne
recette à la Comédie française. Les plus vifs applaudissemens
ont salué la retraite de cet acteur qui ne sera pas remplacé ;
après la représentation, un romantique s'est écrié :
Enfoncés les marquis !
— Melle Mars et Melle Georges sont aujourd'hui deux remarquables exemples des
erreurs auxquelles se livrent trop souvent les artistes les plus distingués.
La première de ces actrices, supérieure dans la comédie, avec
une sensibilité toute d'étude, l'organe le plus heureux, et
destinée par la nature à l'aimable finesse de la causerie de salon,
se jette dans le drame terrible, et tous ses pas y sont faux ; elle persiste et
s'égare. L'autre, appelée par ses formes Melpoméniques, ses
grandes inspirations, une voix puissante, aux pompes sublimes de la scène
antique qu'elle a si bien fait revivre, aborde le rôle d'une reine, jeune,
familière avec le sarcasme, et je ne sais quelle coqueterie cruelle ; elle
ose en plein théâtre jouer Christine de Suède, et parcourir
trente ans de la carrière de cette femme, assemblage bizarre de
légèreté et de profondeur ! elle persiste, et elle
s'égare. Ces contre-sens, malheureusement trop frequens, sont aussi une des
causes de la décadence de l'art dramatique.
Dimanche 11 avril
Maintenant ce sont les élèves du collège Bourbon qui demandent Hernani ; ils veulent rire à leur tour de la pièce des écoliers. Nous ferons remarquer à ce sujet que la jonglerie romantique est bien maladroite. Un jour ils font demander Hernani par les élèves du collège Charlemagne, et puis par ceux du collège Bourbon ; or, ces deux collèges n'ont pas d'élèves, ils n'ont que des externes ; ces ridicules ovations se réduisent donc aux demandes de quelques pensionnaires... Pauvres camarades !
Mardi 13 avril
INVENTION ROMANTIQUE.
— Et vous direz encore que les romantiques n'ont rien inventé ?
— Je le disais le lendemain de la première représentation du
More de Venise, je le disais le lendemain de celle d'Hernani ;
mais à présent je m'en garderais bien.
— Vous êtes donc converti ?
— Je me rends toujours à l'évidence, et c'est un exemple que je
vous conseille de suivre, vous autres, qui ne vous rendez à rien du
tout.
— Trêve de conseils ; ce sont des règles
déguisées, et nous n'en voulons plus. Voyons un peu ce que vous
entendez par
votre évidence ?
— Parbleu, cela saute aux yeux. Jusqu'à M. Hugo, les poètes
tragiques faisaient pleurer, et les poètes comiques faisaient rire. Quand on
donnait uhe belle tragédie, c'était un succès de larmes qu'on
obtenait. M. Hugo donne une tragédie, admirable selon vous, et vous
voyez.
— Qu'est-ce que je vois ?
— On y rit : on y va pour rire. On en parle à ses amis en riant, et
les amis vous en reparlent en se tenant les côtes.
— Les imbécilles !
—- A la bonne heure, imbécilles, vous ne sortez pas de là.
Convenez pourtant que si le public est imbécille, vous l'êtes bien
plus de travailler pour lui, ou qu'enfin, si par hasard le public a plus d'esprit
que vous ne croyez, l'injurier est un singulier moyen de parvenir à lui
plaire.
— Tout cela n'est pas plus clair que votre évidence.
— Pardonnez-moi : j'y reviens. C'est la première fois qu'au
théâtre Français on réussit en faisant rire au lieu de
faire pleurer.
— Voyez si l'on riait le premier jour, le second jour ,Ie troisième
jour à Hernani ?
— Non, les trois premiers c'était un succès de
terreur. Les camarades prenaient la chose au sérieux, aux couronnes qui
m'ont toujours semblé un peu bouffonnes. Peu à peu le public est
venu, et quand il s'est senti en forces, le succès de terreur a
dégénéré en succès de ridicule.
Voilà l'évidence ; voilà en même temps l'invention. Le
ridicule est un moyen de fortune comme un autre, il ne s'agissait que de le
découvrir, de l'exploiter. Quant à la découverte, nous avons
bien M. d'Arlincourt, qui, armé du Solitaire, du
Renégat et du Siège de Paris, pourrait chercher
noise à l'auteur d'Hernani : les succès ruinaient le premier, tandis
qu'ils enrichissent l'autre : voilà l'invention.
— Il est évident que vous êtes une perruque, ou un
épicier.
— Et vous un fanatique !
Samedi 16 avril
Rien de plus curieux que le dialogue habituel des Hernanistes à l'orchestre des Français. — As-tu bien fait attention, disait l'un, au jeu des nerfs de la main de Firmin, dans ce vers :
« J'écrase dans son œuf ton aigle impériale. »
C'est vrai, répondait l'autre ; c'est bien là l'action de tenir, de serrer, de broyer quelque chose. — Et l'autre ajoutait : Crois- tu que pour en venir à ce point d'imitation parfaite, il a dû s'essayer longtemps sur des œufs de poules dont il faisait jaillir le jaune entre ses doigts. Et un brave spectateur qui écoutait cette conversation, s'écria : Ah ! ça, Messieurs, si vous vouliez bien parler plus proprement. (Historique.)
Jeudi 22 avril
Melle Mars va partir pour une tournée. Cette absence va laisser reposer Hernani, Dieu soit loué ; pourvu toutefois que le rôle ne passe point des mains de cette comédienne en celles de Melle Brocard, comme le bruit en a couru.
Samedi 24 avril
Ils demandaient du nouveau, disait dernièrement M. Victor Hugo, je leur en ai donné, et ils sifflent Hernani. — Mon cher, lui répondit quelqu'un, si l'on s'indigne et si l'on rit, c'est parce que l'on voulait un habit neuf, et que vous n'avez fourni qu'un habit retourné.
Originaux sur Gallica :
- Le Corsaire, 22 février 1830
- Le Corsaire, 25 février 1830
- Le Corsaire, 26 février 1830
- Le Corsaire, 27 février 1830
- Le Corsaire, 28 février 1830
- Le Corsaire, 1er mars 1830
- Le Corsaire, 2 mars 1830
- Le Corsaire, 3 mars 1830
- Le Corsaire, 5 mars 1830
- Le Corsaire, 12 mars 1830
- Le Corsaire, 13 mars 1830
- Le Corsaire, 15 mars 1830
- Le Corsaire, 16 mars 1830
- Le Corsaire, 17 mars 1830
- Le Corsaire, 18 mars 1830
- Le Corsaire, 19 mars 1830
- Le Corsaire, 21 mars 1830
- Le Corsaire, 24 mars 1830
- Le Corsaire, 26 mars 1830
- Le Corsaire, 29 mars 1830
- Le Corsaire, 3 avril 1830
- Le Corsaire, 13 avril 1830