Hernani 1867
Le témoignage de Louis Delaunay


Ceci était un événement : représenter sous le gouvernement impérial, devant toute l'Europe assemblée, le drame du proscrit volontaire, ce drame qui, à son apparition, avait soulevé tant de polémiques et déchaîné tant de tempêtes, cela paraissait audacieux. Le gouvernement, tout en n'encourageant pas outre mesure cette reprise — il avait quelques raisons pour cela— ne voulut pas empêcher l'auteur des Châtiments de reprendre, sur la scène subventionnée, la place à laquelle son génie lui donnait droit. Hernani fut donc représenté le 20 juin avec grand succès et fut le clou de l'Exposition. Ce drame fut joué soixante-douze fois et resta au répertoire.

Favart s'y montra une Doña Sol accomplie et dans ce rôle n'a jamais été dépassée. C'étaient ensuite Maubant, d'une classique et un peu monotone dignité dans Ruy Gomez ; Bressant, d'une belle tenue, un peu froid peut-être en Don Carlos. Quant à Hernani, qui l'eût supposé ! ce fut à moi que Thierry offrit le rôle. Ceci venait de ce que les hugolâtres s'étaient réunis en conseil avec le directeur et avaient rappelé qu'en 1830 les rôles avaient été tenus par des comédiens. Doña Sol, c'était mademoiselle Mars, d'où le choix très heureux du reste de mademoiselle Favart ; Don Carlos, c'était Michelot, voilà pourquoi on avait pensé à Bressant ; Hernani enfin avait été tenu par Firmin ce qui faisait songer à moi. J'avais commencé par sourire :

— Vous n'y pensez pas ? Ce rôle d'aventurier bouillant, échevelé, à grand panache, vrai personnage de mélodrame, ce n'est pas un rôle pour moi.

— Justement parce que le rôle est pousséà l'extrême il ne doit pas être exagéré à la scène ; vous seul pouvez le pondérer et sauver les côtés un peu invraisemblables de ce brave passionné. D'ailleurs Firmin l'a joué... et c'était un comédien.

Au nom de Firmin, je cédai donc, quoique sans enthousiasme.

Si, pour les scènes de passion, je me sentais parfaitement dans mon élément habituel, je sentais que l'ampleur physique, que la voix me manquaient. Avec quelle joie aussi j'abandonnai le rôle quand il fut question de reprendre Hernani en 1877 ! ma succession échut alors — j'en reparlerai du reste — à Mounet-Sully qui en fit une de ses plus éclatantes créations ; je fus désigné, sur la demande de mon ami Mounet, pour diriger les répétitions et ce fut pour moi un vrai plaisir.


Extrait des Souvenirs de M. Delaunay, de la Comédie-Française, C. Lévy, 1901, pp.184-186