Hernani 1877
Le témoignage de Sarah Bernhardt


La première d'Hernani eut lieu le 21 novembre 1877. Ce fut un triomphe pour l'auteur et tous les interprètes .

Hernani avait déjà été joué dix ans auparavant, mais Delaunay jouant Hernani était tout le contraire du rôle. Il n'était pas épique, pas romantique, pas poétique. Il n'avait pas le style de ces grandes épopées. Il était charmant, gracieux, avec le sourire perpétuel, moyen de taille, aux gestes étriqués : idéal dans Musset, parfait dans Émile Augier, charmant dans Molière, exécrable pour Victor Hugo. Bressant, qui jouait Charles-Quint, était au-dessous de tout. Sa diction aimable et molle, son œil rieur et sa paupière frisée par la blague lui retiraient toute grandeur. Ses deux énormes pieds, généralement dissimulés à moitié par le pantalon, prenaient une importance folle. Moi, je ne voyais qu'eux. Ils étaient grands, grands, plats et légèrement en dedans, ils étaient affreu , cauchemardants. Ah ! l'admirable couplet aux mânes de Charlemagne, quel galimatias ! Le public toussait, se remuait ; c'était bien pénible.

Dans notre représentation en 1877, c'était Mounet-Sully, dans toute sa beauté, dans toute la splendeur de son talent, qui jouait Hernani. Et c' était Worms, l'admirable artiste, qui jouait Charles-Quint. Avec quelle ampleur ! quelle virtuosité du vers ! quelle diction impeccable !

Cette représentation du 21 novembre 1877 fut un triomphe. Le public me fit une jolie part dans le succès général. Je jouais doña Sol, et Victor Hugo m'envoya cette lettre :

Madame,

Vous avez été grande et charmante ; vous m'avez ému, moi le vieux combattant et à un certain moment, pendant que le public attendri et enchanté par vous applaudissait, j'ai pleuré. Cette larme que vous avez fait couler est à vous et je me mets à vos pieds.

VICTOR HUGO.

Il y était joint un petit carton contenant un bracelet chaînon, auquel pendait une goutte en diamants. Ce bracelet, je l'ai perdu chez le plus riche des nababs : Alfred Sassoon. Il a voulu le remplacer, mais je l'ai refusé. Il ne pouvait me rendre la larme de Victor Hugo.


Extrait de Ma double vie : Mémoires de Sarah Bernhardt, Fasquelle, 1907, pp.370-371