Quelques réactions à la lecture du numéro 661 de la revue des Temps Modernes
Réaction de Marie-Françoise Leudet - Voir les résumés des articles consacrés à de Gaulle
Dans un premier temps un sourire – amusé mais un peu crispé – à lire des réponses apportées à des objections supposées être celles de « ce collectif de professeurs de lettres », qui n’ont pas été vraiment les siennes, qui n’ont pas été exposées et encore moins développées – un texte de pétition étant nécessairement court et tonique. C’était l’objectif de ce numéro des Temps modernes : faire entendre la voix de chacun… Et ironie tragique : notre réaction à la mise au programme de TL (car n’oublions pas que c’est de cela qu’il s’agit !) du tome 3 des Mémoires de guerre aura déclenché la volonté de cerner le problème et ainsi de multiplier les bonnes raisons de l’étudier ! bonnes raisons… cela reste à vérifier !
Cette polémique si futile à en croire M. Lanzmann – « d’une futilité extrême » assène-t-il – aura-t-elle permis une réflexion qui ne soit ni vaine ni frivole sur la définition de la littérature, sur ce que peut signifier le terme même de « transmission » dans une classe ? De Gaulle passé dans le cabinet des frivolités, voilà vraiment de quoi le surprendre !
Une fois effectué le bilan de ce qu’il est possible d’étudier dans les Mémoires de guerre (à en juger par la lecture des différents articles de « spécialistes d’histoire, de littérature, de stylistique ou de rhétorique »), nous ferons, nous enseignants du secondaire, celui de ce qui est réellement envisageable mais surtout productif et enrichissant dans nos classes.
Quelles perspectives ?
La réception ? Une fois reconnu et exposé, à l’instar de l’article de Sudir Hazareesingh, que l’œuvre a été saluée en 1959 comme un événement majeur, ce qui apparaît presque systématiquement comme un gage de littérarité, qu’en faire ? Je dis bien « exposer » car comment envisager une autre approche qu’expositive pour les élèves ? Pour être dans une logique d’analyse et non dans une logique expositive et assertive, il faudrait adopter un regard critique, prendre de la distance : plus facile à écrire dans un article qu’à réussir dans une classe.
Utiliser les références littéraires ? Cicéron, Tacite, Bossuet, le cardinal de Retz, Saint-Simon, Michelet étant assurément des références bien connues d’un élève de terminale, celui-ci pourra facilement entendre, pour ne pas dire « réentendre les accents d’un Bossuet allégé de périodes cicéroniennes » (Agnès Callu p.74), il pourra effectivement accéder à cette « historiographie du genre », et « au-delà du genre », « mesurer le travail d’écriture » en constatant combien les portraits qui émaillent les Mémoires de De Gaulle « rappellent, assez volontairement sans doute, la manière de faire du cardinal de Retz » (Christian Jouhaud, Dinah Ribard et Nicolas Schapira p.87). Voilà un vrai travail de littéraire, j’en conviens ; mais tout à fait adapté au public concerné ? permettez-moi d’en douter ! et il ne s’agit pas là de démission mais de lucidité, sans aucun défaitisme ni nostalgie du passé. Combien d’élèves de terminale L sont-ils latinistes ? et latinistes suffisamment connaisseurs de la langue de César dont il est sans cesse fait état (et de Cicéron ? et de Tacite ?) pour pouvoir repérer chez de Gaulle l’écart dont nous parle avec brio Gilles Philippe : « Quant à la latinité de De Gaulle, elle ne concerne en rien sa langue, même si d’aucuns voulurent trouver chez lui des calques d’ablatifs absolus ; au mieux peut-on la prétexter pour rapprocher son présent historique de celui de Tacite… » Que fera la majorité silencieuse de ces références savantes ?
Quant à travailler sur les textes critiques, si nous choisissons ceux de Claude Roy, il nous faudra bien naviguer au cœur de ces louanges ambiguës, souvent même assassines : je ne citerai – pour le plaisir ? – que celle-ci : « Que de Gaulle révère de Gaulle n’est pas seulement justifié en partie par les vertus évidentes du personnage, cela lui est rendu nécessaire par l’étrange situation historique où se trouve ce légitimiste sans légitimité. Le roi de France tenait son pouvoir de Dieu, Richelieu tenait le sien du roi. Charles de Gaulle le tient de lui-même. Il faut donc qu’il ait en lui-même cette foi aveugle, ardente et inébranlable , qui fait qu’à chaque instant « le pauvre Je » sacre le Général, le couronne et le confirme comme l’oint du Seigneur. » Ou encore (je ne résiste décidément pas) : « Le mysticisme politique de De Gaulle est à la fois effrayant et rassurant. Effrayant dans la mesure où il fonde son autoculte de la personnalité. […] Mais l’espèce d’infaillibilité perpétuelle, le sentiment d’être l’élu de Dieu qui animent le Général, ne laissent pas que de glacer, non seulement les démocrates, mais les hommes de bon sens. »
Au souvenir de l’avenir… Peut-être, oui, les élèves pourront-ils comprendre cette ironie !
Une entrée privilégiée : la rhétorique
À la lecture de la majorité des articles, un consensus se dessine sur la grandeur rhétorique de l’œuvre du Général, et il apparaît comme une « évidence » que les procédés rhétoriques particulièrement bien maîtrisés justifient l’inscription de ses Mémoires de guerre comme œuvre littéraire primordiale à étudier en terminale. C’est du moins ce que j’ai lu dans la quasi-totalité des articles. Comme nous l’avons écrit nous-mêmes, nous pourrons mener une analyse de cette force rhétorique puisque c’est la caractéristique principale de l’œuvre… c’est sûrement la seule étude qui soit véritablement abordable.
Et pourtant, d’aucuns pourraient contester une telle vision et refuseraient justement cet amalgame entre littérarité et rhétorique. Pour ma part, je regrette que cet écho n’ait pas trouvé sa place dans ce numéro.
Mais admettons ! – nous ne pourrons de toute façon pas l’éviter. Nous mènerons nos élèves sur cette voie toute tracée, ils admireront (au mieux) le savoir-faire et comprendront ainsi à quel point ce savoir-faire est efficace. Efficace… politiquement.
Où cela nous mènera-t-il ?
À l’université, avec des étudiants inscrits dans un cours de stylistique, on peut envisager un cours axé sur les articulations logiques, les métaphores, la ponctuation (à ce cours là, emploi du subjonctif imparfait, virgules et points-virgules pourront faire l’objet de plaisanterie brillante, on sera entre gens de bonne compagnie)… Mais imaginons ce que cela peut donner dans un cours au lycée.
Foin de plaisanterie dans une classe de terminale ordinaire : le cours n’étant pas spécialisé, il ne faudra pas se limiter à cette approche-là du texte – alors que les connaissances en la matière sont de l’ordre (au mieux) du repérage – il ne faudra évidemment pas se fourvoyer dans une approche techniciste du texte mais voir l’objectif du Général… Une œuvre engagée, comme nous en avons bien souvent étudié, continue des siècles plus tard, hors de son contexte même, à entrer en résonance avec les interrogations du lecteur. Et je ne pense pas que ce soient les considérations stylistiques qui le permettent, mais les valeurs défendues, les questions posées. Et dans le cas de notre œuvre, surgiront de nouveaux obstacles, qui trop souvent nous placeront, nous les enseignants, dans une situation embarrassante sur un plan déontologique.
Jacques Lecarme, défendant la littérarité des Mémoires de guerre, rappelle que la littérature est indissociable de son contexte de réception et que lui, adolescent sartrien, les a lus avec admiration… en 1956, comme une œuvre engagée. En 1956… Or affirmer que la situation politique de 2010 reproduit celle de 1956 me semble un raccourci facile pour laisser entendre un probable enthousiasme de la jeunesse découvrant les écrits du Général : peut-on, en toute honnêteté, assimiler ces deux périodes, et de toute façon peut-on envisager que ce soit dans nos classes de littérature que doive s’instaurer ce débat ?
Quels sont donc les enjeux de ce tome III ? Les réponses données dans les articles sont l’efficacité pour les uns, la grandeur du héros pour les autres : mais une fois découvert que « Tel est le tour de force de cette œuvre : réordonner le passé d’une nation en fonction d’un destin singulier » (Jean-Louis Jeannelle p.114), cette dimension-là sera un nœud problématique pour des élèves qui ne sont pas tous destinés à admirer ce tour de force en se désengageant idéologiquement pour en rester à l’analyse littéraire… ou disons plutôt… rhétorique !
Une rhétorique pour une fin politique : l’instrumentalisation de la littérature à des fins politiques, voilà en effet une entrée nouvelle pour nos élèves qui jusqu’à présent s’étaient contentés de lire des œuvres politiques comme celles de Montesquieu, Rousseau ou Victor Hugo, la différence (et elle est d’importance) étant que ces œuvres étaient explicitement politiques. La force des Mémoires de guerre serait ailleurs, dans un travail d’écriture cherchant à se masquer. Tous les articles de la revue se rejoignent sur cette reconnaissance de l’efficacité de l’écrivain : nous verrons ainsi le portrait qu’il fait de lui-même comme orateur charismatique (Christelle Reggiani) – en notant toutefois qu’il faudra plutôt montrer comment le Général se déclare lui-même orateur charismatique, puisque les discours dans leur intégralité et donc leur dynamique ne font pas partie des Mémoires mais sont relégués en fin de volume (donc nous le supposons hors texte mis au programme puisqu’en admettant que nos élèves aient acheté le tome 3 dans la prestigieuse édition de la Pléiade, garante de la qualité littéraire de l’œuvre… ils n’auront pas ces documents (1) – ; nous verrons la virulence dont il fait preuve (Christian Jouhaud, Dinah Ribard et Nicolas Schapira), nous verrons surtout comment de Gaulle a créé et « offert ce mythe fondateur et fédérateur de la Ve république naissante » (Jean-Louis Jeannelle p.114) et a donné aux Français une image plus glorieuse d’eux-mêmes pendant la guerre, se donnant ainsi comme l’homme providentiel. Jean-Louis Jeannelle parle de « récit effectif » dont l’objectif délibéré est de reconstruire une réalité, d’exercer une influence sur les représentations qu’ont les Français de ces années de guerre. La grande réussite de de Gaulle est d’avoir transformé une réalité – la France sur la pente de la collaboration – en un double mythe, celui d’un pays acteur de son histoire et de sa libération, de la France victime de l’Occupation qui s’est redressée seule, sous la conduite de son champion, de son guide, de Gaulle, héros unique et principal acteur de ce redressement. Ce que les historiens ont encore quelques difficultés à admettre et surtout à affirmer haut et fort, il nous reviendra à nous, professeurs de littérature, de le faire surgir du texte. Sortir de la doxa sur la libération, c’est donc cette déstabilisation-là qui est assignée au cours de littérature…
Si c’est bien, comme l’assènent avec virulence contre notre aveuglement les auteurs des différents articles de la revue, la littérarité des Mémoires de guerre qui a permis ce tour de force, est-ce en classe de terminale, sans recul et sans appareil critique, qu’il revient de dessiller les yeux de nos élèves ?
D’ailleurs, est-ce cette lecture-là qui était attendue par les mystérieuses personnalités qui ont mis cette œuvre au programme? Autre question ! autre débat…
Une fois ces clés données, que restera-t-il ? Nous l’avons écrit, l’œuvre du général de Gaulle sera au mieux comprise, du moins dans les grandes lignes toutes tracées par d’autres que les élèves eux-mêmes, mais en quoi va-t-elle enrichir la pensée et le cœur de ces adolescents qui vont peut-être pour la dernière année de leurs études être confrontés à une œuvre littéraire ? Cette efficacité-là, celle de l’homme politique de Gaulle entre 1944 et 1956, a-t-elle une chance de susciter un dialogue entre le lecteur et l’œuvre ? Si nos lecteurs-élèves de 2011 l’inscrivent dans le contexte actuel, à quelles interrogations devrons-nous répondre ? celles que suggère Jacques Lecarme ? « Le souci de la « grandeur », concernant la seule patrie n’est légitime – et transmissible – que lorsque cette patrie est rabaissée et déconsidérée par le comportement de ses dirigeants. » (p.128) Hormis cette allusion (peu productive et connotée idéologiquement), aucun des articles n’envisage cette éventualité : l’interaction entre l’œuvre et l’élève, l’interaction entre élèves et enseignant… Et bien sûr ce n’est pas étonnant : l’œuvre seule est prise en compte, au plus sa réception en 1956 ou 1959.
Sans me replier sur de vieux schémas de pensée, sur une vision idéaliste et exaltée de ce que peut apporter la littérature à des adolescents comme à des adultes, loin de refuser l’idée que politique et littérature puissent agir de concert, et encore moins de refuser celle que littérature et histoire soient liées, j’en reviens tout de même à la conviction que le choix de l’œuvre pour travailler sur ce carrefour entre histoire, littérature et politique n’est pas approprié. Le projet politique est à la fois trop près et trop loin des adolescents qui sont aujourd’hui en terminale.
Ce n’est évidemment pas le choix d’une œuvre politique en soi qui pose problème – qu’on ne nous fasse pas de mauvais et faux procès – mais si l’on ne veut pas en rester à une vision desséchée de la littérature, si l’on veut qu’un débat intérieur soit possible pour rendre compte du fait qu’une œuvre est vivante, si « c’est une pierre vive, [qui] jaillit d’une émotion, d’un désir, d’une sensibilité, d’une révolte ou d’un émerveillement. » (Philippe Le Guillou en éditorial à la nouvelle revue « Présence de la Littérature ») il faut aussi qu’elle suscite cette émotion, ce désir, cet émerveillement.
Et l’étonnement dans le cas de cette œuvre ne risque-t-il pas d’être plus destructeur que constructif ?
Si nous nous en tenons à notre pratique pour établir la problématique d’une séquence (jargon pédagogique… mais chacun le sien), nous verrons comment une écriture (les procédés rhétoriques, le choix d’un genre) met en jeu une vision du monde. Et si ce n’est pas l’image de la France mais l’image de la France telle que veut en faire accroire de Gaulle pour construire sa propre image à lui, au travers de celle d’une identité nationale, cette vision du monde-là ne va-t-elle pas ou bien ne pas être mise en perspective tant l’efficacité de de Gaulle fut grande au point d’être devenue la « vérité », ou bien heurter et être refusée ? Nombreux sont ceux qui pensent en voyant Mémoires de guerre de de Gaulle au programme, que les élèves vont ainsi sentir combien de Gaulle glorifie la France, combien il se laisse porter par son amour indéfectible pour elle, combien il peut être nécessaire de retrouver un vrai grand style… et les différents articles, défendant la littérarité de l’œuvre, nous aident plutôt à découvrir une conception constructiviste de l’Histoire, à montrer son efficacité. Le point de vue à adopter est singulièrement différent et hautement problématique.
Ce n’est donc pas le genre des Mémoires, ni le croisement des disciplines qui pose problème mais bien le choix de cette œuvre-là, qui peut être désossée, examinée et admirée dans des séminaires mais qui risque fort de ne pas parler à des adolescents qui attendent autre chose de la littérature. Des adolescents qui croyaient peut-être aussi lire l’œuvre du libérateur de la France occupée, de l’homme du 18 juin tant célébré, et qui se trouvent face à ce « bon placement politique », pour reprendre une expression connue, le projet d’une réforme constitutionnelle…
Assurément l’université devrait construire avec le secondaire, non pas dans une vision descendante – ou surplombante ! – se cantonnant à des apports théoriques, mais dans une réelle coopération qui prenne aussi en compte le destinataire des œuvres. Dans ces quelques remarques, il ne s’agit pas tant de décider ex nihilo ce qui « mérite » de porter le nom d’œuvre littéraire – sujet au demeurant passionnant, qui nous concerne directement et auquel il est urgent de réfléchir – que de savoir quelles œuvres sont à même de faire découvrir aux élèves qui ont choisi la filière littéraire, dont pour la plupart c’est la dernière année consacrée à la littérature, des genres encore peu abordés, des questions difficiles à percevoir sans éclairage philosophique, des dialogues productifs entre disciplines ; savoir quelles œuvres continuent de parler – et pas seulement aux spécialistes ou aux admirateurs du Général, ce ne sont pas nécessairement les mêmes, j’en conviens – et d’ouvrir de nouvelles voies, de nouveaux horizons à ses lecteurs. Et des horizons qui ne soient pas seulement passéistes (ce que n’est pas l’histoire… : j’anticipe encore la critique).
Croisement des disciplines ?
Les professeurs de lettres qui se sont inquiétés de cette mise au programme des Mémoires de guerre, ont-ils jamais étudié une œuvre hors contexte, ont-ils jamais étudié une œuvre sans en faire percevoir la visée argumentative s’il en est ? ont-ils jamais refusé d’étudier des « récits historiques » ? Soyons sérieux ! Il ne s’agit pas de refuser le croisement de disciplines, d’autant que leurs contours ne sont pas dessinés de façon définitive (comme le fait justement remarquer Agnès Callu) – nombre d’ouvrages sur l’histoire des disciplines le montrent fort bien – mais de constater que dans l’état de connaissances des élèves de terminale, ce qu’il est indispensable de connaître pour justement comprendre cette fameuse efficacité n’est pas acquis. Dès le premier chapitre, le bouleversement chronologique – force rhétorique de l’écrivain qui ne le laisse pas apparaître – est un obstacle à la lecture ; et que dire du chapitre IV « la Victoire », qui réclame un incessant aller-retour à la chronologie ? Ce que j’attends et défends depuis des années, à savoir une réelle possibilité de travailler en interdisciplinarité, voire en transdisciplinarité, est dans le cas présent un leurre, une accroche purement idéaliste, j’entends par là une idée « sur le papier », sans aucune proposition pour la rendre réalisable : qu’une œuvre soit au croisement de plusieurs disciplines ne signifie pas qu’elle soit possible à étudier dans une classe, avec le seul professeur de littérature. Et il ne s’agit pas non plus de savoir si le professeur a ou non les moyens de « lire un récit historique » mais de savoir s’il a les moyens de "faire lire", la nuance est d’importance ! Je suis bien convaincue qu’un professeur de lettres (et donc de littérature) a les moyens de travailler seul dans son bureau une telle œuvre, sûrement moins bien que les spécialistes de tel genre, de tel auteur ou de tel siècle puisque, professeur en lycée, il est généraliste, mais doit-il seulement rendre compte de « sa » lecture ? Évidemment non, car le plus important reste à faire : mener ses élèves à en rendre compte à leur tour.
Si comme nous l’avons dit, les connaissances en narratologie et en rhétorique sont en partie acquises, il n’en est rien des connaissances historiques, institutionnelles, des connaissances référentielles qui vont avec pertinence mener la lecture. Car décidément non, cette partie du programme d’histoire n’est pas acquise en terminale mais abordée le plus souvent en fin d’année. Comme nous l’avons écrit, il aurait été intéressant, et pourquoi pas passionnant pendant un temps, de travailler avec le collègue d’histoire pour bien montrer que les disciplines s’enrichissent l’une l’autre : c’eût été d’une autre ambition que de lancer le tome 3 des Mémoires de guerre en pâture et de claironner hardiment qu’« il y a bien là matière pour des exercices menés dans le cadre de l’enseignement de la littérature. » (p.94) Des exercices ?!
Je ne désespère pas qu’un jour… cette collaboration intime entre les disciplines devienne réalité : la question se pose toujours, preuve en est le futur colloque de l’INRP. Preuve aussi que les réponses sont loin d’être évidentes ! « il reste entre les deux approches suffisamment de divergences pour faire obstacle aux apprentissages, si celles-ci ne sont pas suffisamment explicitées » est-il écrit dans l’argumentaire du colloque. Or il me semble avoir lu plus d’assertions que de questionnements dans les différents articles de la revue.
En conclusion je dirai que toutes ces analyses de la littérarité du tome 3 des Mémoires de guerre ne font que me conforter dans l’idée que décidément le public auquel est destiné le programme de littérature a été oublié. Non, pas de démission chez le professeur de lettres, qui n’a pas d’assurance non plus que « les Mémoires de guerre trouvent assurément […] leur place dans un programme pédagogique espéré formateur. » (Agnès Callu p.84) mais la volonté acharnée que l’œuvre avec l’étude qui en a été menée ait porté ses fruits.
Mais je ne voudrais tout de même pas en finir avec ces diverses réactions de lecture sans faire état d’une gêne non plus technique mais bien idéologique pour le coup : l’hypothèse de Jean-Louis Jeannelle (p.114-115) selon laquelle le « survivant a détrôné le résistant dans la hiérarchie des références » et que le refus du mémorable se serait fait « sous prétexte » (le mot prétexte me pose problème) que les témoignages des survivants seraient éthiquement plus urgents. Pourquoi cette opposition – apparente je suppose – entre résistant et survivant, entre « vie bouleversée » et vie mémorable ou plutôt « vie majuscule » ? Si là est le « symptôme d’une époque marquée par l'effacement d'une « culture de la mémoire héroïque » au profit d'une « culture de la mémoire victimaire » pour reprendre l’expression de Thomas Wieder dans son article du Monde des livres (présentant le numéro des Temps Modernes), quelle est la maladie ?
Marie-Françoise Leudet
Professeur en TL
Co-auteur de l’article « Les Mémoires de guerre au baccalauréat : un « Salut » pour la littérature ?»
(1) Notons ce flou des Instructions officielles. Que faire de ces documents ? Puisque c’est une œuvre intégrale que nous devons étudier, je le rappelle, s’ils font partie intégrante des Mémoires de guerre au programme, les élèves doivent les avoir lus dans leur intégralité ! La question se pose déjà dans les classes : que répondre ?