Les six portraits qui, après ceux de Sade, clôturent le recueil, ne semblent pas avoir été dessinés d'après nature, mais plutôt d'après des œuvres de Man Ray préexistantes, la plupart du temps des photographies, ou un moulage de 1933 dans le cas de l'autoportrait.

 

Portrait d'Adrienne Fidelin par Man Ray
vers 1937
La femme au bras cassé
1937
Portrait de Nusch et Sonia Mossé
par Man Ray, 1936
Hommage à Nusch
1937
Portrait de Picasso par Man Ray
1932
A Picasso
XIXXXXVI (sic) = 1936
Portrait d'André Breton par Man Ray
Solarisation, 1930
Man Ray à André Breton
La misère rend les faibles infâmes,
les forts sublimes

A Paris le 21 février 1936
Portrait d'Eluard par Man Ray
1933
A Paul Eluard
Jan.1936
Man Ray - Dans les yeux des autres
1937 (1)
Man Ray
1936
Autoportrait en bronze
1971

Les six personnages ainsi portraiturés ne correspondent pas tout à fait à la bande d'amis qu'évoque le dernier poème du recueil, et qui se sont réunis pendant les deux étés successifs de 1936 et 1937 à Mougins, en Cornouailles ou ailleurs sur la côte d'Azur : ni Sonia Mossé ni André Breton n'ont participé à ces vacances, ce n'est pas Dora Maar qui est représentée sur le dessin de Picasso, et il manque à cet ensemble Roland et Valentine Penrose, de même que Lee Miller.


Eluard et Picasso
Mougins 1936
Photographie de Man Ray

Pic nic à Sainte-Marguerite
Cannes 1937
Photographie de Lee Miller

En fait, la distribution de ces six portraits fonctionne en chiasme : il faut reconstituer le couple d'Adrienne et Man Ray, qui encadre la série, puis celui de Nusch et Paul Eluard. Au centre du chiasme, Picasso et André Breton constituent deux figures incontournables de l'esprit de l'époque, l'un en peinture et l'autre en poésie.

Venant après les deux dessins de Sade, cet ensemble peut d'ailleurs se charger d'une signification supplémentaire, comme le suggère Nicole Boulestreau : « Le livre de Man Ray et Eluard est signé mais d'une signature en quelque sorte collective, qui comprend, en fin de volume, l'image des hommes et des femmes engagés dans la voie de la regénération par le désir. Certains portraits dont celui de Lise Deharme n'ont pas été retenus mais on trouve les deux portraits de Sade, ceux de Nusch et Sonia Mossé, de Picasso et son amie, de Breton, d'Eluard et l'autoportrait aux yeux chaussés de fenêtres (tous reproduits dans l'édition de la Pléiade). Ainsi le volume est à la fois personnel et impersonnel, portant les devises d'une communauté en quête de sa liberté.» (2)



(1) La photographie de ce buste à lunettes-fenêtres est parue dans l'album édité par Man Ray en 1937, La Photographie n'est pas l'art. Roland Penrose écrit dans sa monographie sur Man Ray : « La première image montre un moulage du propre visage de Man Ray portant des lunettes fantaisistes qu'il acheta dans une boutique de farces et attrapes et dont les verres sont en forme de battants de fenêtres munis chacun de six petits carreaux. Pour multiplier le regard ? Pour se protéger ? Ou, comme semble le suggérer le titre de la photographie, Dans les yeux des autres, pour que le spectateur le voie bien ? Il y avait déjà dans Les mains libres un dessin sur le même thème. » (trad. française publiée aux éditions du Chêne en 1975, p.143).

(2) Nicole Boulestreau - « L'emblématique des Mains libres, dessins de Man Ray illustrés par les poèmes de Paul Eluard», in Bulletin du bibliophile, n° 2, 1984, p.220


© Man Ray Trust / ADAGP pour les photographies de Man Ray
© Lee Miller archives pour la photographie de Lee Miller

© Agnès Vinas
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