Marie de Montpensier


Le point de vue de Bertrand Tavernier sur Mélanie Thierry


Dès que l'on refuse de porter sur elle un jugement moralisateur, que l'on se débarrasse de cette volonté de la condamner, Marie de Montpensier s'impose comme un personnage d'une extrême modernité que j'ai adoré, et qui trouve en Mélanie Thierry une actrice exceptionnelle. Forte et vulnérable, rebelle et victime, assumant ses choix jusqu'à se mettre en péril. Il devient dès lors possible de donner à son histoire un sens tout à fait féministe : ce sont les hommes et l'organisation sociale de son temps qui la placent dans la situation intenable qui est la sienne. En cela, la nouvelle me semble plus audacieuse que La Princesse de Clèves, où le personnage n'est pris qu'entre son amour et le devoir de fidélité envers son mari. Marie vit dans une époque plus violente, les hommes qui l'entourent sont très différents et l'exposent davantage, la poussent sans cesse vers le danger.




J'ai découvert en Marie un personnage très différent de celui que j'avais aperçu. Moins passif, moins, pour reprendre une définition d'Eric Heumann, « femme fatale ». La Marie de Madame de Lafayette est un être déchiré entre ses devoirs, son éducation, sa loyauté à un mari qu'on lui impose et sa passion amoureuse. Je me suis arrêté sur une phrase de la nouvelle : « Melle de Mézières, tourmentée par ses parents, voyant qu'elle ne pouvait épouser M. de Guise et connaissant par sa vertu qu'il était dangereux d'avoir pour beau-frère un homme qu'elle souhaitait pour mari, se résolut enfin d'obéir à ses parents et conjura M. de Guise de ne plus apporter d'empêchements et oppositions à son mariage. » Un mot en particulier m'a saisi : « tourmentée ». Qu'entendait par là Madame de Lafayette ? Des historiens, notamment Didier Lefur, à qui j'ai posé la question, m'ont répondu que « tourmentée » signifiait « torturée », et qu'alors les lecteurs entendaient ce mot dans toute sa force et sa violence. Je me suis souvenu que ce terme était utilisé dans des textes religieux du Moyen Âge pour décrire les horreurs de l'Enfer. Marie avait donc pu être battue, frappée, menacée d'être enfermée dans une prison, ou plus sûrement dans un couvent. Lefur m'a ainsi raconté que la sœur de Philippe de Montpensier, qui s'était opposée au mariage que ses parents avaient arrangé, avait été envoyée au couvent. Le mot « tourmentée » signifiait donc que Marie avait d'abord farouchement refusé ce projet de mariage. Ce qui avait été omis dans la première adaptation. Le personnage devenait alors bien plus rebelle, plus fort, plus fier que je ne l'avais imaginé. Cette révélation m'a permis d'entrevoir la couleur, l'état d'esprit, la tessiture de Marie. Cela me donnait un point de départ. J'allais bientôt saisir la tonalité, comme dans un morceau de musique. La très jeune fille que décrit Madame de Lafayette est prisonnière de sa caste, de traditions, de coutumes qui ne lui confèrent pas plus de droits, malgré son rang, que n'en a aujourd'hui une jeune fille née dans une famille religieuse fondamentaliste turque, yéménite ou hindoue. En un mot, je commençais à « voir » le personnage, je détenais là une première clef de lecture de la nouvelle.

Bertrand Tavernier dans l'Avant-Propos du scénario, Flammarion, 2010, pp.20-21




Votre princesse apparaît comme une insoumise qui s’interroge sur le monde dans lequel elle vit.

Marie de Montpensier est une très jeune fille qui doit faire - à ses dépens - l’apprentissage de la vie, apprendre à dompter, canaliser ses sentiments, alors qu’elle n’est encore qu’une très jeune fille, qu’une gamine espiègle qui se retrouve face à des choix douloureux, difficiles. Qu’on lui a imposés. Son parcours, son évolution, c’est ce qui a déclenché mon envie de faire ce film...

Mélanie Thierry m’a comblé, bouleversé tout au long du tournage. Par sa beauté bien sûr : je me disais qu’elle aurait pu être peinte par Clouet. Et surtout par l’intensité des émotions qu’elle apportait... Monique Chaumette, qui a joué avec elle dans Baby Doll, m’avait dit : «Tu verras, c’est un Stradivarius, et elle ira au-delà de tous tes désirs.» Elle avait entièrement raison.

Sous des dehors bonhommes, les pères de Marie et de Philippe sont monstrueux.

Ils ont laissé leurs enfants, leurs proches dans un désert affectif. Et par intérêt se livrent naturellement à de vraies forfaitures. Madame de Lafayette dit que Marie fut «tourmentée» par ses parents pour l’obliger à accepter son nouveau mari. Tourmenté est un mot très fort. Qui équivaut, m’ont dit plusieurs historiens, à torturer… Ce mot nous a inspiré plusieurs scènes. Dont la nuit de noces que je voulais juste et violente.

Votre point de vue, à cet égard, est assez féministe.

Je voulais clairement prendre parti pour Marie. Elle est déchirée entre, d’un côté, son éducation et ce qu’on lui demande d’être et, de l’autre, ses passions et ses désirs. Alors qu’on cherche à la cantonner dans un rôle de soumission, elle veut s’éduquer et s’ouvrir au monde. C’est ce désir d’apprendre qui lui permet de résister et qui renforce sa fierté.

Bertrand Tavernier dans le dossier de presse de Studio Canal



Le point de vue de Mélanie Thierry


Est-ce que vous connaissiez le texte de Madame de La Fayette ?

Je l’ai lu avant mon audition, et je l’ai relu ensuite avant le tournage. En fait, je me suis rendue compte que le scénario est très proche de la nouvelle, même si le texte de Madame de La Fayette est très chaste et constamment dans la retenue : on n’y sent ni la fusion de la passion amoureuse, ni la découverte de la sexualité des jeunes époux Montpensier, qui sont présentes dans le film.

Qu’avez-vous ressenti à la lecture du scénario ?

J’ai d’abord trouvé que c’était un très beau portrait de femme et une magnifique histoire d’amour sous plusieurs formes : l’amour passionnel de Marie avec Guise, l’amour tendre et raisonné avec son mari, l’amour qui passe par la philosophie et la connivence intellectuelle avec Chabannes et une certaine forme d’ambiguïté avec Anjou qui la déstabilise.

Votre personnage est une rebelle qui semble refuser les conventions de l’époque…

Absolument. Dès le début, on comprend par exemple qu’elle a été expulsée du couvent : on se doute que c’est parce qu’elle s’est rebellée et qu’elle n’a pas obéi au « protocole ». Elle n’est pas du genre à suivre le troupeau et elle aime pouvoir affirmer ses idées et ses opinions. Elle a aussi besoin d’avoir accès à la culture et de se sentir exister !

C’est aussi un esprit libre qui ose s’interroger sur sa foi et sur le péché.

Elle a toujours été inculte et elle souffre de son absence d’éducation. Car c’est une jeune fille brillante qui a besoin de comprendre le monde dans lequel elle vit. Parfois, elle se permet même de ne pas être d’accord avec son précepteur sur la foi ou sur la poésie. D’ailleurs, Bertrand pense qu’elle est croyante : pour moi, sa foi est un peu déviante ! En tout cas, elle n’est pas du tout candide : alors qu’elle aurait pu tomber dans les minauderies, elle se situe beaucoup plus dans une forme d’âpreté.

A-t-elle peur des sentiments qui la submergent ?

La reine Catherine de Médicis le résume très bien pendant leur entrevue : elle est déchirée entre, d’un côté, une droiture raisonnée qui la pousse à être une bonne épouse et, de l’autre, le désir et la sensualité auprès de son amant. C’est une dualité entre des forces contraires qui ne la lâche jamais.

Pensez-vous qu’elle soit un peu manipulatrice ?

C’est ce que j’ai cru au départ. Je me suis dit qu’elle savait obtenir ce qu’elle voulait et que c’était une séductrice. D’ailleurs, quand elle veut apprendre à écrire, j’ai même pensé que c’était pour envoyer des lettres à Guise. Mais j’ai compris que c’était une mauvaise interprétation. En réalité, elle n’est pas du tout consciente de sa beauté et de son pouvoir de séduction. Elle n’est jamais dans le calcul.

Comment vous êtes-vous approprié la langue ?

C’est un texte classique d’une grande beauté, mais qui, au début, m’a fait très peur. Je viens d’un milieu populaire et c’est un registre de langue qui m’échappe complètement. Je n’ai pas l’oreille formée et cela me paraît vite insurmontable : je me sens alors perdue et je ne sais plus ce qui se passe. Mais s’agissant du texte de Jean Cosmos, j’ai eu un vrai plaisir à le dire : j’ai adoré le rythme et la musicalité des dialogues. Tout ce qui m’avait semblé alambiqué à la lecture m’a paru limpide et évident au moment du tournage.

Comment Bertrand dirige-t-il ses comédiens ?

Par moments, j’avais l’impression qu’il était plus jeune que nous. C’est lui qui nous transmettait son énergie débordante : parfois, j’étais bien plus fatiguée que lui. Sur le plateau, c’est un véritable adolescent. Cela se ressent dans sa manière de nous filmer car la caméra s’adapte constamment aux comédiens : c’est nous qui imposions le rythme et la cadence. Jamais il ne nous interrompait au milieu d’une scène : une fois qu’on avait déterminé nos mouvements, c’était la caméra qui venait nous chercher. C’est pour cela que Bertrand adore le plan séquence.

Comment s’est passé le tournage avec vos partenaires ?

Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est qu’il y a deux générations qui se côtoient : celle des comédiens aguerris et celle des jeunes acteurs. Cela aurait pu entraîner des dissonances dans la manière d’approcher le texte, mais je trouve qu’il y a, au contraire, une vraie harmonie..

Mélanie Thierry dans le dossier de presse de Studio Canal