Manifestation du 22 mai 1958

Le chapitre VI du tome III des Mémoires de guerre, "Désunion", évoque les événements qui se sont déroulés en France de mai à octobre 1945. Il s'agit de l'avant-dernier chapitre. Dans la structure pyramidale du volume, il se situe sur le versant descendant, en vis-à-vis du chapitre du "Rang". Après l'euphorie des réussites successives (LA Libération, LE Rang, L'Ordre, LA Victoire), les désillusions commencent à s'accumuler : Discordances (dans les relations internationales), Désunion (dans la vie politique intérieure) et enfin Départ. Ce chapitre est donc destiné, dans l'économie de l'oeuvre, à préparer le dénouement, au cours duquel le général va tirer les conséquences de sa totale incompatibilité d'humeur avec le fonctionnement d'un régime parlementaire.

Mais ce texte a été rédigé en 1957 ou début 1958 et manifestement relu par de Gaulle pendant le mois de juillet 1958, après l'agitation des mois de mai et juin qui ont vu le retour au pouvoir de celui qui s'en était écarté pendant douze ans. C'est dire à quel point ce chapitre doit être contextualisé dans la double perspective de la naissance et de la mort de la IVe République.

Que peut-on tirer en cours de littérature d'un texte aussi manifestement historique, orienté par une présentation des faits particulièrement subjective, et qui ne bénéficie, contrairement à d'autres chapitres, d'aucun vernis épique ou lyrique ? Paradoxalement, dans la mesure où de Gaulle ne cherche absolument pas ici à "faire de la littérature", on peut observer de plus près les mécanismes qui régissent sa narration, son argumentation et sa conception de la fonction des Mémoires.

Etude des structures narratives de ce chapitre

Si l'on fait provisoirement l'impasse sur les grands développements théoriques concernant les institutions et le mode de scrutin en particulier, et si l'on se concentre sur le récit des événements, on peut facilement dégager

On retrouve ici quelques techniques oratoires caractéristiques de l'utilisation d'un code de sympathie entre l'émetteur et ses lecteurs/auditeurs, énoncées il y a de cela plusieurs siècles par l'auteur du traité de la Rhétorique à Herennius (I, 7-8)...

Il est donc clair que la narration obéit ici à un projet argumentatif qui interdit d'aborder ce texte comme celui d'un historien : il s'agit bien au contraire d'un plaidoyer pro domo en même temps qu'un réquisitoire. Face aux responsables de la désunion en 1945 autant qu'en 1958, de Gaulle se pose en recours pour rétablir l'ordre et l'unité nationale, mais à ses propres conditions.

 

Un texte essentiellement rhétorique et argumentatif

En rhétorique, les cinq parties d'un discours sont disposées comme suit (Rhétorique à Herennius, I, 4)

En bon élève des jésuites, de Gaulle tient compte dans ce chapitre de ces différentes étapes canoniques, mais en introduisant des variations significatives, d'abord par imbrication d'un modèle réduit de discours dans le premier quart du chapitre, puis par association de la confirmation et de la réfutation à l'intérieur même de la narration dans la suite du texte.

Par ailleurs il faut signaler le regroupement des faits et des arguments suivant des modèles binaires (créant des effets de parallélisme, d'accumulation ou d'antithèse) et surtout ternaires : l'ordre pyramidal voulu par de Gaulle en politique trouve son équivalent dans la disposition de ses phrases et de ses paragraphes.

Structure rhétorique du chapitre "Désunion"

 

Une mnémographie particulière


© Agnès Vinas