Man Ray - Au bal Tabarin - 1936

Ce dessin d'allure assez fouillis n'est certainement pas le plus réussi du recueil, et reste incompréhensible tant qu'on ne connaît pas les trois photographies originales dont il est inspiré et que l'on peut retrouver grâce au moteur de recherche du Centre Pompidou.

Ces photographies ont toutes été prises en 1935, au cours d'un reportage effectué par Man Ray au Bal Tabarin de Paris, un cabaret situé alors au 36 rue Victor-Macé, juste derrière la place Pigalle. Les personnages représentés sont donc des artistes de music-hall.


Man Ray - Au bal Tabarin - 1936

Man Ray - Spectacle au bal Tabarin - 1935

La partie supérieure du dessin reproduit un détail de la photographie en contre-plongée d'une sorte de tourniquet auquel étaient accrochées par un pied des danseuses acrobates. On jugera mieux de l'allure de cette sorte d'arbre humain fantastique, aux oiseaux de nuit probablement tourbillonnants, par deux autres photographies qui le cadrent plus largement. Celle de droite a été prise dans les années 40, à la fin d'une période faste où le cabaret, pendant l'Occupation, fut un haut lieu de plaisirs pour les officiers allemands.


Man Ray - Spectacle au bal Tabarin - 1935
 

Cliché publié dans le livre de Patrice Bollon
Pigalle, Le roman noir de Paris, 2004

 

La partie centrale du dessin est la plus illisible, parce qu'elle reproduit fidèlement l'original, constitué d'une superposition de plusieurs figures féminines plus ou moins dénudées, avec un bel effet de transparence dans le grand ballon central, ce qui constituait une performance à laquelle nous a habitués la virtuosité technique de Man Ray dans son laboratoire de tirages photographiques.

Man Ray - Au bal Tabarin - 1936

Man Ray - Spectacle au bal Tabarin - 1935

Il est certain que l'effet de superposition produit sur la photographie est bien plus réussi (et plus « surréaliste ») que sur le dessin... Man Ray était-il mécontent du résultat au point de barrer rageusement d'une croix le visage de la figure de gauche ? Pourtant le dessin a été retenu par Eluard et semble l'avoir inspiré...

 

Enfin la partie inférieure du dessin reprend des figures souples de danseuses aux voiles scintillants, sur un sol assez visible qui leur sert d'assise, ce qui justifie que cette photographie ait été gardée pour le bas.

Man Ray - Au bal Tabarin - 1936

Man Ray - Spectacle au bal Tabarin - 1935

 

Le point de départ de ce dessin est donc, une fois de plus, directement inspiré d'une réalité que le passage par le médium photographique a déjà transfigurée en un ensemble de lignes ondoyantes entrelacées et d'ombres et lumières fantastiques. Or à l'évidence, pour un tel sujet, c'est, outre les fondus et les transparences permis par les superpositions, toute la palette des gris, des noirs profonds et des blancs lumineux qui crée l'effet surréaliste voulu par l'artiste ; le dessin à l'encre de Chine, perdant ces effets de profondeurs mystérieuses et de matières sensuelles, n'était probablement pas la technique la plus adaptée pour tenter de les retrouver.


© Agnès Vinas
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