Le duc d'Anjou
Le point de vue de Bertrand Tavernier sur Raphaël Personnaz
Il devait jouer un rôle secondaire, et puis il a fallu remplacer Louis Garrel, que j'avais pressenti pour Anjou. C'est mon assistante qui m'a dit : "Regarde cette photo, c'est lui !" On a fait une lecture du rôle tous les deux. J'ai su d'emblée que je ne m'étais pas trompé. Dès le premier plan qu'on a tourné, il avait l'ambiguïté, l'aisance, le charme, la culture du personnage. Il sait passer insensiblement d'un sentiment à l'autre, de l'ironie mordante à la sincérité. On a toujours fait passer Henri III pour une folle tordue, mais son homosexualité n'a jamais été prouvée. C'est une propagande vengeresse des extrémistes protestants et des catholiques éloignés du pouvoir. Interview de Bertand Tavernier par Jean-Luc Douin, Le Monde, 10 mai 2010 |
Le point de vue de Raphaël Personnaz
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Au cinéma, votre interprétation du Duc d’Anjou dans le dernier Tavernier est saisissante : on arrive presque à ressentir, à l’écran, la jubilation de l’acteur derrière le personnage ! C’est vrai que je l’adore ce personnage. À un point, même !… En fait, je suis arrivé sur ce tournage très tard. Trois semaines avant son début. J’avais déjà lu le scénario parce qu’au départ, je devais faire un petit rôle et déjà à la lecture, j’avais repéré le personnage du duc d’Anjou en me disant : « Si seulement, je pouvais jouer ce rôle-là ! ». Donc trois semaines avant le tournage, j’ai une lecture avec Tavernier, suite au désistement de Louis Garrel, et une heure après, il me rappelle en me disant que le rôle du duc d’Anjou est pour moi. Le plus beau jour de ma vie ! C’était clair et net. Comment l’avez-vous alors abordé ? C’est un personnage qui dans le film est moins présent que les autres, mais dont chacune des scènes écrites était très percutante, grâce au texte en dentelles de Jean Cosmos : en trois phrases, on pouvait sonder la psychologie d’Anjou assez rapidement, sans qu’il ne le montre trop, avec toute son ironie, etc. Après, cela va rejoindre ce qu’on disait sur le corps et le texte : pour moi, il fallait adopter une attitude physique. Je me le suis représenté comme un serpent, qui est là, sympathique mais qui peut mordre à tout instant. Et ça peut être extrêmement violent. Et les autres le savent. Avec un texte à l’appui qui me permettait de passer d’un état à un autre, en une fraction de seconde. Un texte d’une richesse vraiment incroyable. Une petite anecdote de tournage, svp !!!… Il y avait une scène, où j’arrête le duel entre Montpensier (Grégoire Leprince-Ringuet) et Guise (Gaspard Ulliel) et où je les engueule. Première répétition, j’arrive. Je ne suis pas mou, mais plutôt sur la réserve, contrairement à mon personnage, bien énervé. Je reçois un coup de fil où j’apprends que Jocelyn Quivrin est mort. Je ne le connaissais pas très bien, mais le côté « jeune mec qui meurt », je ne sais pas pourquoi, je me suis dit : « Bon, il n’y a pas de temps à perdre ! La vie est courte, fais cette scène comme tu rêverais de la voir. » Deuxième prise, paf, c’est sorti ! Dans cette cour du château de Blois, en plus ! Ce sont des petits éléments parfois extérieurs au tournage qui vous rappellent qu’on n’a pas beaucoup de temps, qu’on n’est pas grand chose et qu’il faut s’amuser ! Quelles étaient finalement les indications que Tavernier vous a données sur le personnage ? Il m’a parlé d’un personnage extrêmement cultivé, vraiment en avance sur son époque. Il existe peu de choses sur ce personnage. J’ai lu une biographie sur Henri III qui rétablit la vérité sur ce personnage qui a été complètement caricaturé, sur son homosexualité, sa manière d’être avec les gens, etc. Donc il y avait quelque chose de très précieux à trouver chez lui, et qui soit en même temps viril, parce que c’est aussi un général des armées, à l’âge de dix-sept ans. C’est un personnage que j’aime vraiment parce qu’il cache ses sentiments, il pratique énormément l’ironie. Et puis c’est quand même jubilatoire d’entrer dans une salle où tout le monde vous salue ! Testez cela après dans votre boulangerie… Et le fait de jouer aussi avec « la jeune garde du cinéma français » doit permettre aussi de tester beaucoup de choses ?… Avec Gaspard (Ulliel), on se connait depuis pas mal de temps, et ce tournage nous a vraiment rapprochés : c’est un type profondément gentil, intelligent, brillant, extrêmement mature. Mais bizarrement, dans les séquences qu’on avait ensemble à jouer à cheval, à parler de la princesse de Montpensier, on était pendant les prises dans une énergie telle qu’on était vraiment prêts à se péter la gueule. Ça m’a marqué parce que Gaspard me disait : « Attention à ton cheval ! » et je lui répliquais agressivement : « Non, mais ça va ! ». Tavernier plonge vraiment ses acteurs dans une ambiance, en les laissant pleinement libres. Il y a donc une forme de télépathie finalement entre le metteur en scène et son comédien ? Ici oui, clairement ! Tavernier, finalement, c’est quelqu’un qui va nous mettre dans un parc à enfants, qui nous donne des accessoires et nous dit : « Allez-y, je vous regarde ! » C’est ça ! Et il n’y a rien d’autre à expliquer. Le problème en fait, c’est qu’il y a trop de réalisateurs qui veulent montrer aux acteurs le personnage de façon « psychologisante », alors que l’acteur ne vit que dans l’action. Publié le 10 décembre 2010 par Laetitia Heurteau sur esprit-paillettes.com |