Le personnage de Jocaste, relégué au second plan dans l’antiquité, même si elle joue à l’évidence un rôle majeur dans le récit mythique, a peu à peu pris une importance plus marquée chez les dramaturges modernes qui ont développé son caractère et même ses actes. Les critiques littéraires se sont toutefois peu penchés sur le personnage, et c’est son entrée dans la psychanalyse qui va lui donner une place prépondérante, dont nous évoquerons les querelles qu’elle a suscitées.


Jocaste de Sophocle à Pasolini


La tragédie de Sophocle

Helléniste contre psychanalyste

Film de Pasolini

Le suicide de Jocaste


Fonction dramatique

Rappelons que dans le théâtre de Sophocle, trois acteurs se partagent tous les rôles. Raphaël Dreyfus (1) pose comme hypothèse que celui de Jocaste est interprété par le deutéragoniste (« deuxième acteur ») qui assumait aussi celui du prêtre (dans le prologue) et du serviteur de Laïos, peut-être aussi celui du messager du palais.

Jocaste n’apparaît sur scène que deux fois, au milieu du deuxième épisode et les deux tiers du troisième épisode avant de rentrer « éperdue » dans le palais pour ne jamais en ressortir ; elle prononce 118 vers au total, soit 7,7% de l’ensemble des vers ou 9% des paroles des personnages.

Peu de paroles donc, mais sa première intervention est significative, puisqu’elle calme avec une certaine autorité la querelle entre Œdipe et Créon, montrant ainsi un aspect du personnage de Jocaste : « N’avez-vous pas honte, lorsque votre pays souffre ce qu’il souffre, de remuer ainsi vos rancunes privées ? (à Œdipe) Allons, rentre au palais. Et toi chez toi, Créon. »

Quant à son récit de la mort de Laïos, il occupe une position centrale au cœur de la tragédie, constituant un pivot autour duquel l'action bascule dans une nouvelle direction, incitant Œdipe à s’interroger sur lui-même ; quant à sa dernière intervention, elle clôt la révélation dans son ultime effort pour sauver celui qu’elle sait désormais être son fils.

 

Si l’on ne considère, dans un premier temps, que la partie mythique du film, Œdipe arrive à Thèbes à la quarante-septième minute et cette partie jusqu’à sa mutilation dure quarante-six minutes. Jocaste est alors omniprésente, depuis sa première apparition devant les murs de Thèbes jusqu’à son suicide. Omniprésente par ses apparitions, même furtives, mais aussi par les plans montrant la fenêtre de chambre nuptiale vers laquelle se portent les regards d’Œdipe. Physiquement présente, elle occupe au minimum dix-sept minutes soit 37% de cette partie. À quoi l’on peut ajouter les dix minutes du prologue, où la mère est jouée par la même actrice. Omniprésence donc, mais la plupart du temps, Jocaste ne parle pas, elle écoute, elle veille… et ne s’exprimera que dans la longue scène du jardin.

Si les paroles de Jocaste sont les mêmes dans la tragédie de Sophocle et dans le film de Pasolini, le personnage de Jocaste n’a pour autant ni la même présence ni la même personnalité.

La différence tient en premier lieu à l’interprétation psychanalytique que l’on peut avoir ou non de ce personnage. Nous proposerons dans un premier temps quelques analyses inscrivant le personnage dans la Grèce antique, avant d’évoquer rapidement la querelle entre hellénistes et psychanalystes, pour finalement laisser la place au personnage de Jocaste vu par Pasolini, déclarant nettement : « Dans Œdipe, je raconte l'histoire de mon propre complexe d'Œdipe. Le petit garçon du prologue, c'est moi, son père, c'est mon père, ancien officier d'infanterie, et la mère, une institutrice, c'est ma propre mère. Je raconte ma vie, mythifiée bien sûr, rendue épique par la légende d'Œdipe. »(2) La psychanalyse prendra alors toute sa place !


 

I/ La tragédie de Sophocle

 

Une dimension humaine

Sans pour autant vouloir donner à un personnage de tragédie grecque une quelconque épaisseur psychologique puisque, dirait Jean-Pierre Vernant, une pièce tragique ne s’intéresse pas à la psychologie du personnage, nous proposons trois analyses qui donnent à Jocaste une présence humaine et la font sortir d’une simple fonctionnalité dramaturgique.

a) Gilberte Ronnet, 1969

C'est la troisième fois que Sophocle met en scène une femme mariée, mais c'est la première qu'il montre une épouse respectée par son mari : il avait créé Déjanire, l'épouse abandonnée et méprisée d'Héraclès, Tecmesse, l'esclave d'Ajax, qui n'a guère été pour lui qu'un instrument de plaisir. Jocaste au contraire est traitée par Œdipe presque avec vénération : il emploie en lui parlant, le verbe σέβειν qu'on utilise en parlant des dieux. Est-ce dû à la différence d'âge, qui est entre eux exactement l'inverse de ce qui est normal en Grèce, si l'on en croit Hésiode, ou au fait que Jocaste était la détentrice du pouvoir qu'Œdipe a été admis à partager par son mariage ? Créon affirme qu'elle participe à égalité au gouvernement et Œdipe déclare qu'elle obtient de lui tout ce qu'elle veut. Mais il ne s'agit pas seulement d'une autorité due aux circonstances de leur union, il y a entre eux une véritable intimité ; elle est la confidente à laquelle Œdipe révèle ses pires angoisses : « Je suis digne d'apprendre moi aussi ce qui t'afflige, prince. — Et tu n'en seras certes pas privée, au point d'angoisses où j'en suis arrivé. À qui en effet dirais-je cela plutôt qu'à toi ? » (v. 769-73) […]

Jocaste ne serait-elle que cette femme aimante mais incapable de s'élever à la hauteur d'un époux exceptionnel, qu'elle aurait déjà son originalité : tandis que Tecmesse n'a guère en vue que sa propre sécurité, qui dépend de celle d'Ajax, Jocaste, qui personnellement ne risque rien dans la première partie de l'action, tremble pour l'homme qu'elle aime, qu'elle voudrait sauver pour lui-même. Mais Jocaste est aussi celle qui ne croit pas aux oracles, et c'est surtout à ce titre qu'elle a retenu l'attention des commentateurs. Tous (à l'exception de Whitman) dénoncent en elle l'impie qui cherche (et réussit selon certains) à entraîner son mari dans sa faute, et dont la mort est la juste punition ; Bonnard, par exemple, est impitoyable pour cette « âme réprouvée ». Jocaste mérite-t-elle une telle sévérité ? Il faut bien dire d'abord qu'elle n'est pas impie, car elle vénère Apollon, Apollon Lycien, à qui elle apporte des offrandes au début du troisième épisode : elle reconnaît donc et l’existence des dieux, et leur pouvoir d’intervention dans les affaires humaines. Ce qu'elle nie, c'est que des hommes puissent prétendre parler au nom des dieux : Loxias, l'oracle qui a prédit que Laïos serait tué par son fils, n'est pas Phœbos-Apollon : « Un oracle fut jadis rendu à Laïos, je ne dirai pas par Phœbos, mais par ses serviteurs. » Or ce scepticisme repose sur des faits : l'enfant est mort dès sa naissance, et son père a été tué par des brigands, donc l'oracle ne s'est pas réalisé, donc il n'était pas la voix du dieu. Conclusion pratique : Œdipe n'a pas à tenir compte du nouvel oracle de Loxias, pas plus que des racontars de Tirésias. Le raisonnement serait irréfutable si les faits sur lesquelles il s'appuie n'étaient erronés ; l'enfant n'est pas mort et Laïos n'a pas été tué par des brigands, mais ce n'est pas la faute de Jocaste si le même homme a menti sur les deux points. Il n'y a donc pas lieu de s'indigner de son scepticisme : il arrivait, bien aux Athéniens de mettre en doute tel ou tel oracle de la Pythie, s'il était trop favorable aux Perses ou aux Lacédémoniens...

Mais il y a chez Jocaste plus que de l'incrédulité : une sorte d'hostilité contre les oracles : on le sent à la violence de sa réaction dès qu'Œdipe a prononcé le mot de « devin ». C'est dire que son scepticisme n'est pas d'ordre intellectuel, mais affectif. Ce n'est pas que Jocaste soit une fanatique de l'irréligion, un Voltaire féminin « écrasant l'infâme » ; c'est simplement une mère qui n'a pas pardonné la mort de son fils. Je ne sais comment Maddalena l'accuse et lui fait un crime d'avoir voulu, conjointement avec Laïos, la mort de l'enfant. Il était parfaitement licite à Athènes, comme partout en Grèce, d'exposer un entant aussitôt sa naissance ; mais la décision appartenait au père. C'est bien ainsi que Jocaste présente les choses : « Un oracle fut rendu à Laïos... Il fit jeter l'enfant dans la montagne » ; si plus loin le serviteur dit que l'enfant lui fut remis par sa mère, c'est qu'il était évidemment au gynécée, mais la jeune femme obéissait à son mari. On comprend sans peine qu'il soit resté de ces faits au cœur de Jocaste une sourde rancune à l'égard de l'oracle (et sans doute aussi, inconsciemment, à l'égard de Laïos, qu'elle ne plaint jamais, alors que, trente ans après, elle appelle encore son petit ὁ δύστηνος [malheureux] ; c'est peut-être pourquoi elle prend si facilement son parti d'être l'épouse du meurtrier). L'assassinat de Laïos n'a fait qu'exaspérer sa rancœur : ainsi l'enfant était mort pour rien... Et voici qu'un devin, prétendant parler lui aussi au nom d'Apollon, veut frapper maintenant le jeune mari qui lui a enfin apporté le bonheur ! Kirkwood et Pohlenz ont bien vu que le scepticisme de Jocaste n'est pas une philosophie, mais une réaction de sa sensibilité blessée ; toutefois, à notre avis, il faut en chercher l'origine plus loin que dans le désir de sauver son mari, dans toutes les souffrances de son passé.

Elle s'y accroche maintenant, comme au seul moyen de sauver Œdipe de lui-même : avec quelle joie elle salue ce qu'elle croit une nouvelle preuve de l'impuissance de l'ennemi ! Encore une fois, elle raisonne juste, malheureusement sur une base fausse. Mais elle est assez intelligente pour comprendre sur-Ie-champ ce que signifient les révélations du Corinthien sur l'origine d'Œdipe, et tout le désastre de sa vie lui apparaît : avoir pleuré trente ans la mort d'un fils pour découvrir maintenant que ce fils est l'époux qu'elle aimait et qu'elle voulait sauver, Ie meurtrier de son père ! Elle retourne cette fois sa pensée vers Laïos, la première victime, et fuit dans la mort l'existence qui l'écrase. Non, Jocaste n'est pas une « réprouvée », mais une malheureuse qui aura traversé la vie sans pouvoir ni agir ni comprendre, sans avoir jamais à prendre une initiative, mais en recevant tous les coups. Certes, elle n'a pas la noblesse héroïque, la force d'âme d'Œdipe, elle est l'humanité moyenne, honnête et bonne, mais impuissante devant les pièges de la destinée.

Gilberte Ronnet, Sophocle poète tragique, Paris, Éditions E de Boccard, 1969, p.126-129

b) Georges Hoffman, 1990

La tragédie de Jocaste

Jocaste et Œdipe incarnent au plus haut niveau le symbolisme tragique, mais le dramaturge assure aussi à leur personne une présence totalement humaine : celle, pour Jocaste, de la femme pendue (1263/242) de la « misérable (qui) enfanta un époux de son époux et des enfants de ses enfants ! » (1249-1250/241). D'emblée Sophocle impose une relation puissamment affective entre Jocaste et Œdipe. Il ne se fait pas prier pour accorder la vie sauve à Créon et se confie à elle : « O très chère femme, Jocaste que j'aime » (950/230). Bien sûr Œdipe Roi est une tragédie sans amour au sens où Corneille et Voltaire l'entendent. Mais Œdipe et Jocaste s'aiment. Jocaste aime, avec toute l'horreur qui en résultera, maternellement Œdipe. Elle sépare Œdipe et Créon, son époux et son frère, enfants en train de se battre, comme une mère équitable, même si tout atteste qu'elle préfère Œdipe. Mais Jocaste, nous l'apprenons de sa bouche, a un passé chargé de douleurs, une histoire qui explique son impiété farouche. « Tu verras que jamais créature humaine ne posséda rien de l'art de prédire » (708-709/222). Elle confie à Œdipe l'échec des « voix prophétiques » (723/ 222) qui lui ont coûté la mort de son enfant, enfouie dans l'apparence de l'oubli. Quand Œdipe constate, grâce au message du Corinthien, que l'oracle a été déjoué, Jocaste remarque : « N'était-ce donc pas là ce que je te disais depuis bien longtemps ? » (973/230). Œdipe redoute-t-il la partie de l'oracle qui concerne sa mère ? Il n'y a rien à craindre, pour Jocaste, de cet hymen, si souvent rêvé. Son fatalisme sceptique semble devoir lui épargner d'être la victime de la tragédie puisque la tragédie a, pour elle, déjà eu lieu. « Et qu'aurait donc à craindre un mortel, jouet du destin, qui ne peut rien prévoir de sûr ? » (977-978/231). « Celui qui attache le moins d'importance à pareilles choses est celui qui supporte le plus aisément la vie » (982-983/231). Jocaste ne veut plus croire en la tragédie : son aveuglement, sa démesure seront punis comme il convient, sans pitié. Mais elle tremble pour Œdipe. Quand elle comprend qu'une nouvelle tragédie va avoir lieu — toujours la même — elle va tout faire, en vain, pour empêcher Œdipe d'aller au-devant d'une vérité dont il ne pourra être que la victime. « L'énormité de Jocaste, celle qui vient de sa détresse à elle, c'est sa disposition à accueillir l'apparence, même cette apparence-là, pour préserver la vie de son époux. »(3) Et c'est sa double tragédie : car non seulement elle découvre la même horreur qu'Œdipe mais elle ne peut, une nouvelle fois, empêcher la mort de son enfant. Tragique de répétition, Laïos l'a tuée autrefois en faisant exposer le nouveau-né ; Œdipe, impitoyable, la tue en voulant savoir la vérité.

Jocaste invite en vain Œdipe à l'oubli ; elle, elle se souvient ; elle va tenter de sauver son enfant, quelle que soit sa souffrance de savoir qu'il est son enfant. « Si tu tiens à ta vie, non, n'y songe plus. C'est assez que je souffre, moi ! » (1060-1061/234). Mais Œdipe ne tient pas à la vie. Il préfère la vérité à sa mère. Telle est la naissance tragique d'Œdipe.

La rupture qui précède cette mort, pathétique échange entre Jocaste qui sait la vérité et Œdipe qui veut la savoir et auquel elle veut la cacher, est le sommet d'une tragédie de l'aveuglement et de l'inconscience. Jocaste, tragique figure de la maternité, doit donc aller seule au terme de son destin, indissociable, malgré le déchirement et les chemins séparés, de son époux-enfant auquel elle est unie totalement par l'accomplissement de la faute des fautes, dont ils sont les coupables innocents.

Georges Hoffmann, Sophocle - Œdipe Roi, Paris, PUF Études littéraires, 1990, p.103

c) Jacques Scherer, 1987

Même lorsqu'elle assume la situation sexuelle qui lui est imposée, Jocaste, par ses réactions comme par ses absences de réactions, manifeste qu'elle n'occupe, en tant que femme, qu'une place assez humble dans la société grecque contemporaine. Ses deux mariages font qu'elle appartient successivement à deux générations, celle de Laïos, puis celle d'Œdipe. C'est comme si elle avait, l'une après l'autre, deux vies. Dans la première, elle partage les problèmes de Laïos et accepte les mêmes solutions que lui : d'abord ne pas avoir d'enfant, puis, l'enfant venu, l'exposer. Elle n'a pas de volonté propre. Même passivité au début de sa relation avec Œdipe : elle accepte de l'épouser par raison d'État et lui donne quatre enfants.

Mais, le drame connu, elle est punie bien plus durement que lui : Œdipe, parricide et incestueux, n'est qu'aveuglé ; dans certaines versions il n'est pas exilé et reste à Thèbes ; Jocaste, qui n'est en rien parricide, est, pour le même inceste, punie de mort. Par ces jugements qu'ils portent sur eux-mêmes, les personnages montrent bien que la justice n'est pas la même pour les hommes et pour les femmes et ne laissent aucun doute sur le sexe dominant.

L'événement essentiel qui inaugure la deuxième vie de Jocaste est son mariage avec Œdipe. Ce mariage est surdéterminé, en ce qu'il se justifie par deux motivations. La première, la seule inscrite explicitement dans le mythe, est que la royauté est la récompense promise par Créon, régent ou roi depuis la mort de Laïos, au vainqueur du Sphinx. Le Sphinx avait dévoré de nombreux Thébains, dont Hémon, fils de Créon. Mais sur le plan politique, il faut ajouter que la source de la légitimité restait Jocaste ; Créon, qui ne pouvait épouser sa sœur, n'était qu'une solution d'attente ; un fils de roi disponible consoliderait la dynastie ; or, justement Œdipe passait pour le fils du roi de Corinthe et apportait avec lui l'alliance de Corinthe, bien utile contre l'impérialisme athénien. Le mariage était donc doublement inévitable.

Jacques Scherer, Dramaturgies d’Œdipe, Paris, PUF, coll. « écriture », 1987, p.46-47

 

Récapitulons les principaux traits de la Jocaste de Sophocle :

 

Une fonction politique

Après sa victoire sur le Sphinx, c’est par son mariage avec la reine Jocaste qu’Œdipe accède à la royauté, elle est reine, il devient turannos et ils partagent tous deux les « prérogatives royales ». Mais si « c’est la femme qu’on épouse qui confère la royauté » comme le fait remarquer Louis Gernet à propos du tyran Pisistrate(5), ce n’est pas pour autant la femme, même reine, qui gouverne la cité. Œdipe et Jocaste sont de rang égal, Créon le rappelle : « Ἄρχεις δ´ ἐκείνῃ ταὐτὰ γῆς ἴσον νέμων; » (vers 579) traduit par « Et tu commandes avec elle, ayant une part égale de puissance ? » par Charles Marie René Leconte de Lisle en 1877, mais qu’il vaut mieux traduire par « Tu règnes avec elle sur cette terre, à égalité de droit avec elle » comme le fait Marie-Rose Rougier en 1994(6), précisant qu’Œdipe a eu délégation du pouvoir et qu’il assure l’essentiel de la charge royale, mais que Jocaste, à travers son mari, conserve tous ses droits. De toute manière elle est la reine de l’oikos.

 

Une lecture anthropologique

Marie Delcourt dans Œdipe ou la légende du Conquérant (1944 réédité en 1981) montre que l’histoire d’Œdipe est le plus complet des mythes politiques, dont les éléments constitutifs remontent au passé lointain de la Grèce : chaque étape de son parcours retrace un moment dans l’accession au pouvoir qui était conquis et conservé grâce à des rites spécifiques, dont la signification s'est peu à peu perdue.

Ce que Marie Delcourt discerne à travers l’épisode du mariage avec Jocaste, c’est bien, à nouveau, un rite d’habilitation royale, de conquête du pouvoir. Mais la particularité de ce mythe est évidemment que la reine qu’il épouse est également sa mère. Or l’union avec la mère est le dernier des six thèmes(7).

Il faut comprendre cette combinaison – mariage avec la princesse et union avec la mère – comme une union symbolique avec la terre-mère. Les métaphores relatives à l'inceste entre Œdipe et Jocaste, notamment celle du champ labouré (vers 1211 à 1213), ou du sillon ensemencé (vers 1257 et vers 14014) rappellent cette origine primitive et lointaine du mythe.

Quant à la réplique de Jocaste : « Ne redoute pas l’hymen d’une mère : bien des mortels ont déjà dans leurs rêves partagé le lit maternel. Celui qui attache le moins d’importance à pareilles choses est aussi celui qui supporte le plus aisément la vie » (vers 980-982) (Mazon traduit par « partager le lit » le verbe ξυνηυνάσθησαν qui littéralement signifie « s’unir à », « avoir des relations sexuelles ») que Freud a prise comme illustration de sa thèse et qui sera tant citée par les psychanalystes, elle prend une tout autre explication si l’on se réfère à l’analyse des rêves que pratiquaient les Anciens. Ce rêve ne serait que l’annonce d’un avènement royal.

On a en effet d’autres exemples de ce rêve, où celui-ci est compris comme ayant une valeur métaphorique. Hérodote rapporte qu’Hippias, fils de Pisistrate, se réjouit d'un tel rêve, qui signifie qu'il va rentrer à Athènes, restaurer son pouvoir et y mourir vieux. Pour les Grecs, l'union avec la mère peut signifier la mort, la prise de possession du sol de la patrie, ou la conquête du pouvoir.

« Dans son Interprétation des Songes, Artémidore d'Ephèse (...) consacre un long chapitre au rêve de l'union avec la mère. […] Le rêve d'union avec la mère est favorable, particulièrement pour les artisans, car leur industrie est nommée leur mère, ainsi que pour les hommes politiques et ceux qui aspirent au pouvoir, car la mère représente la patrie. De même que celui qui obéit aux lois d'Aphrodite possède une partenaire docile et heureuse, de même celui qui, ainsi, s'unit à sa mère, sera respecté et aimé de ses sujets. […] » Marie Delcourt, op. cit., p. 193-197.

Jean-Pierre Vernant s’inscrit entièrement dans la lignée des analyses de Marie Delcourt et se réfère d’ailleurs explicitement à celle-ci pour contester à son tour l’interprétation psychanalytique de la réplique de Jocaste.

 

Helléniste contre psychanalyste

Ce présent document s’intéressant essentiellement à Jocaste, nous ne développerons pas cette querelle, mais comme ce point concerne tout de même Jocaste, épouse-mère, nous proposons cet extrait de l’article de Jean-Pierre Vernant « Œdipe » sans complexe où l’helléniste répond au psychanalyste Didier Anzieu :

Pourquoi Anzieu est-il ainsi dès le départ conduit à fausser le sens du drame en supposant, contre l'évidence du texte, qu'Œdipe sait bien que ses parents ne sont pas ceux qui passent pour tels ? Cette « méprise » n'est pas le fait du hasard. Elle est une absolue nécessité pour l'interprétation psychanalytique. En effet, si le drame repose sur l'ignorance d'Œdipe quant à sa véritable origine, s'il se croit réellement, comme il l'affirme à tant de reprises, le fils aimant et cher des souverains de Corinthe, il est clair que le héros d'Œdipe-Roi n'a pas le moindre complexe d'Œdipe. À sa naissance, Œdipe a été confié à un berger avec mission de le faire périr sur le Cithéron. Remis entre les mains de Mérope et de Polybe, qui n'ont pas d'enfant, il est élevé, traité, choyé par eux comme leur propre fils. Dans la vie affective d'Œdipe, le personnage maternel ne peut donc être que Mérope, et non cette Jocaste qu'il n'avait jamais vue avant son arrivée à Thèbes, qui n'est en rien pour lui une mère et qu'il épouse, non par inclination personnelle, mais parce qu'elle lui a été donnée sans qu'il la demande, comme ce pouvoir royal qu'il a gagné en devinant l'énigme du Sphinx, mais qu'il ne pouvait occuper qu'en partageant le lit de la reine en titre. « Un point est assuré, écrit Anzieu, c'est qu'Œdipe dans le lit maternel connaît le bonheur : il a retrouvé par la re-possession de la mère le premier bonheur perdu, lorsqu'il fut tôt séparé d'elle et exposé sur le Cithéron. » Si Œdipe a trouvé, à côté de Jocaste, le bonheur, c'est que psychologiquement cette couche n'est pas pour lui le lit maternel, ce λέκτρον μητρός dont il parle au vers 976 pour désigner la couche de Mérope ; quand elle le deviendra, ce sera pour Jocaste et pour lui le signe même de leur malheur. L'union conjugale, que les Thébains lui offrent avec leur reine, ne peut signifier pour Œdipe une repossession de la mère, car Jocaste est pour lui une étrangère, une xéné, puisqu'il se croit lui-même à Thèbes, selon la formule de Tirésias, un étranger domicilié, ξένος μέτοικος. Et la séparation d'avec la « mère » ne s'est pas produite pour lui à sa naissance, sur le Cithéron, mais le jour où il a dû quitter, en même temps que Corinthe, « le doux visage de ses parents ». Dira-t-on que Jocaste est un « substitut » de Mérope et qu'Œdipe vit ses relations conjugales avec la reine de Thèbes sur le mode d'une union avec sa mère ? Tout s'inscrit en faux contre cette interprétation. Si Sophocle l'avait voulu, il lui était facile de le suggérer. Il a au contraire effacé tout ce qui pouvait, avant la révélation finale, évoquer dans les rapports personnels entre le mari et la femme, les liens d'un fils à sa mère. Jocaste est restée longtemps sans enfant ; elle a eu Œdipe tard. Elle est donc bien plus vieille que son fils. Mais rien dans la tragédie ne laisse supposer cette différence d'âge entre ceux qui sont devenus épouse et époux. Si Sophocle a effacé ce trait, ce n'est pas seulement qu'il aurait paru étrange aux yeux des Grecs (la femme étant toujours beaucoup plus jeune que son mari) mais parce qu'il aurait suggéré, dans les rapports du couple, sinon une infériorité d'Œdipe, du moins, de la part de Jocaste, une attitude « maternelle » qui ne cadrait pas avec le caractère dominateur, autoritaire et tyrannique du héros ». Des relations du type œdipien, au sens moderne du terme, entre Œdipe et Jocaste auraient été directement contre l'intention tragique de la pièce, centrée sur le thème du pouvoir absolu d'Œdipe et de l’húbris qui nécessairement en découle.

« Œdipe » sans complexe, 1967 repris dans Mythe et tragédie en Grèce ancienne, 1989, Éditions la Découverte, p.95-96

 

Marie Delcourt refuse donc les théories freudiennes en affirmant « les tendances subconscientes ont pu contribuer à fixer un thème légendaire, non à le créer. » C’est en effet le sort réservé à ce couple Œdipe-Jocaste, le thème est fixé et on le retrouve donc dans de nombreuses œuvres modernes et Pasolini, nous l’avons rappelé, se revendique de cette interprétation psychanalytique.

« Quand je pense à un film, secrètement, j’espère qu’il sera beau, mais en fait je n’ai jamais eu la nécessité de faire un film qui soit seulement beau, j’ai besoin d’autres excitants : dans ce cas précis, l’excitant était le développement marxiste-freudien du thème d’Œdipe » déclare Pasolini à Jean-André Fieschi.(8)

 

 

II/ Le film de Pasolini (1967)


Le choix de l’actrice

Silvana Mangano : la mère du prologue, Suzanna Pasolini, et Jocaste, l’épouse-mère d’Œdipe (partie mythique)

« Avec Jocaste j’ai représenté ma propre mère, projetée dans le mythe ».(9) poursuit-il ; et en effet il a choisi Silvana Mangano, avec qui il vient de tourner le court métrage Terra vista della luna et dont il dit qu’autour d'elle il y a « le parfum de primevères de ma mère jeune. »(10)

 

Silvana Mangano en 1958

Susanna Colussi Pasolini

Dans Œdipe roi, Silvana Mangano sera donc la mère du prologue : « Quant au pré (…) il correspond plus exactement au pré où ma mère m’emmenait en promenade lorsque j’étais enfant. Les vêtements (la robe et le chapeau jaune de ma mère), je les ai fait reproduire d’après de vieilles photographies. »(11)

 

Elle sera aussi Jocaste, figure maternelle mythique. Avec la même actrice, l’identification est immédiate !

 
Un regard tartare
Il suo viso dolce e crudele dall’occhio tartarico / son visage doux et cruel aux yeux tartares

Magali Vogin

Dans le scénario, l’identification entre Susanna Pasolini (dans le prologue) et la reine Jocaste, est évidente à travers la comparaison de leurs descriptions physiques respectives. La mère du prologue est décrite ainsi : « Une femme belle comme une reine, aux yeux obliques et longs, tartares, et pleins d’une douceur cruelle »(12) ; tandis que Jocaste apparaît avec « son visage doux et cruel aux yeux tartares »(13). La prédominance du regard, commune aux deux descriptions, ainsi que la répétition de l’oxymore ‘doux / cruel’, et de l’adjectif ‘tartare’, qui accentue l’oxymore, en faisant résonner le mot ‘barbare’, confirment l’identification entre ces deux personnages. Si, dans le scénario, les deux descriptions semblent se rapporter à un seul et même personnage, dans le film l’identification entre la mère et Jocaste est immédiate car les deux rôles sont interprétés par la même actrice, Silvana Mangano. Le regard tartare de Jocaste est mis en valeur par l’absence de sourcils, et son silence, remarquable tout au long du film, domine comme pour permettre au spectateur de ne pas détourner le regard de sa présence physique.

Le visage de Jocaste apparaît donc comme une image cinématographique à haute valence iconique et symbolique : faisant écho à celui de la mère dans le prologue, son expression et ses caractéristiques reflètent ce que représente le monde antique pour Pasolini : la lumière et le silence émergent comme les caractéristiques principales de ce personnage féminin. Si l’on se réfère à la distinction opérée par Gombrich entre substitut iconique fonctionnel – à savoir le signe iconique, ce que Gombrich appelle la ‘mappa’ [mappemonde], l’image de la connaissance –, et substitut iconique symbolique – le symbole iconique, ou le ‘specchio’ [miroir], reflet des apparences –, la dimension symbolique prévaut dans le personnage de Jocaste. La nature de son image dans le film est essentiellement esthétique, bien que l’on ne puisse exclure une valeur fonctionnelle dans le symbole. On peut parler dans ce cas de ‘mythe condensé’, car il s’agit d’une image qui expose une histoire personnelle, intime, consolidée en une image exemplaire(14). Silvana Mangano représente, d’un point de vue iconographique, Jocaste, et d’un point de vue iconologique, la mère de Pasolini. Le symbole du regard de Jocaste, ‘image’ de l’image de Silvana Mangano, devient le signifiant d’une image-discours sur le mythe : ce regard émerge comme une icône cinématographique permettant la transformation du symbole en mythe. Il s’agit là d’une figure de style typiquement pasolinienne, qui s’inscrit à la perfection dans le ‘cinéma de poésie’.

Magali Vogin, « La fuite d’Œdipe de Corinthe à Thèbes », Cahiers d’études romanes [En ligne], 22 | 2010, mis en ligne le 06 juin 2012

 

Symétrie mère du prologue / Jocaste
Œdipe filmé en plongée / la mère en contreplongée


S’il ignore qu’il est coupable de parricide et d’inceste, Œdipe éprouve un amour filial pour Jocaste, car il reproduit les mêmes gestes que ceux de l’enfant avec sa mère dans le prologue. Lorsqu’il s’adresse aux prêtres devant le palais royal, il regarde à plusieurs reprises vers le haut, en direction de la fenêtre du palais derrière laquelle se trouve Jocaste. C’est encore vers le haut qu’il dirige son regard lorsque, dans le jardin, il appuie sa tête sur les genoux de Jocaste, qui lui raconte la prophétie faite jadis à Laïos. Le montage est explicite : Jocaste ne peut être que la mère d’Œdipe, car l’alternance des plans – Œdipe filmé en plongée / la mère en contreplongée – correspond au montage du prologue, lorsque le nouveau-né regarde intensément sa mère.

Magali Vogin, ibid.

 

La tétée


Autre séquence troublante : celle durant laquelle Silvana Mangano donne le sein à l’enfant dans le pré. Elle jette un regard à la caméra (à la manière de la Monika de Bergman ou des héros godardiens afin de jeter le trouble chez les spectateurs), d’abord empreint de joie et de sérénité (à l’image de sa relation avec son fils) et, soudain, ce même regard s’assombrit peu à peu comme si elle avait eu le pressentiment d’un drame à venir. Enfin la sérénité semble reprendre le dessus et elle porte de nouveau les yeux sur son enfant.

Kevin Nogues, Pasolini et l'alternative mystique in Il était une fois le cinéma


Musique : le thème de la mère

Le quatuor à cordes n°19 en ut majeur de Mozart que l’on entend au moment de la tétée va devenir « le thème de la mère », dans une version diégétique, interprété à la flûte par Tirésias, alors que les murs de Thèbes se distinguent au loin avec le mont Cithéron en arrière-plan, puis à nouveau dans sa version orchestrale (extradiégétique) pour accompagner les propos de Tirésias assénant la vérité à Œdipe, puis la première partie des confidences de Jocaste dans le jardin et pour finir, dans les dernières minutes de l’épilogue avec le poète aveugle, Œdipe-Pasolini, à son retour aux origines, avec le plan du début de la maison natale, la ferme puis le pré… « La vie finit où elle commence. »

 

 

Une présence énigmatique


Jocaste est quasiment omniprésente, depuis sa première apparition devant les murs de Thèbes : présente par un plan la montrant dans la chambre, écoutant les propos de Tirésias, de Créon, d’Œdipe, présente dans le regard d’Œdipe qui lève les yeux vers la fenêtre de la chambre comme pour se rassurer de sa présence, ou bien présente dans de véritables scènes comme celles dans la chambre nuptiale ou dans le jardin. Présente mais la plus grande partie du temps, elle ne parle pas, seuls son regard, son sourire énigmatique, sont une forme de langage non verbal. Elle ne parle en effet qu’à la 79ème minute du film soit un peu plus de 28 minutes après sa première apparition.

Elle n’est donc présente que dans sa relation personnelle à Œdipe. Dans la querelle entre Œdipe et Créon, Sophocle la faisait intervenir directement pour apaiser les deux hommes. Dans le film elle écoute les deux hommes depuis son lit.

C’est en quelque sorte par les oreilles de Jocaste que le spectateur entend la condamnation : « La mort ! » que lance Œdipe (voix off) contre Créon et c’est comme si Œdipe voyait en lui-même le visage de Jocaste, se calmait soudain et renonçait : « S'il en est ainsi, allez. Ce n'est pas pour lui, mais pour vous, que je le fais. Et de cette manière, c'est moi même que je condamne... »

Jocaste est reine de Thèbes, on la voit deux fois aux portes de la ville avec ce statut, la première fois pour accueillir le vainqueur du Sphinx, et la deuxième fois alors qu’elle s’apprête à aller prier les dieux et qu’elle voit le berger de Corinthe. Mais pendant la plus grande partie du film, elle est confinée dans un domaine féminin : la chambre, seule ou avec son époux, le jardin avec ses servantes avec qui elle joue.

Pas de pouvoir politique apparent. Il est vrai que pour Pasolini, elle est avant tout la Mère intemporelle.

 

Un personnage fantomatique

Son visage fardé de blanc, impassible, peut faire penser aux masques grecs mais il a surtout un aspect spectral qui fait d’elle un modèle atemporel de la mère. Elle n’est plus la mère d’Œdipe mais celle de Pasolini, et plus largement celle de chaque fils qui a désiré sa mère, elle est la Mère fantasmée, éternelle. Pasolini dit bien « une mère ne mue pas ».

Cahiers : Ce qui est très beau sur le personnage de Silvana Mangano (Jocaste), c’est l’absence totale de psychologie. Elle est plutôt une sorte de fantôme…

Pasolini : C’est exactement ce que j’ai voulu. Alors qu’Œdipe était pour moi, comme je vous l’ai déjà dit, un homme simple destiné à agir et non à comprendre, dont l’évolution vers sa vérité cachée est tout le drame, Jocaste est toute différente : elle est un pur mystère. Toutefois, je dois dire, tout bien pesé, qu’à mon sens le personnage de Jocaste est plus réussi que celui d’Œdipe. Avec Jocaste j’ai représenté ma propre mère, projetée dans le mythe, et une mère ne mue pas : comme une méduse, elle change, peut-être, mais elle n’évolue pas. D’où l’aspect fantomatique que vous signalez.(15)

 

Fantôme, rêve ou fantasme ? La partie mythique est selon Pasolini une partie « fantasmagorique », « hallucinatoire » et même si, en employant ces termes, il parle de la deuxième partie « totalement inventée » se laissant « guider par le pur plaisir de l’imagination », on peut penser que la troisième, où apparaît Jocaste, « qui n’est ni plus ni moins » que la tragédie de Sophocle, garde cette même volonté de traduire un rêve, une fantasmagorie voire un fantasme. Tout en incarnant la mère désirée, Jocaste dans son mystère est plus hiératique qu’érotique.

 

Des relations énigmatiques

Le scénario original prévoit cette ambiguïté dans une première manifestation de désir.


Œdipe, porté sur les épaules en triomphe, ne fait que l'entrevoir, en un clin d'oeil ; mais son regard s'arrête sur elle. Il y a une expression rapide, intime et indécente dans ce regard : le regard sur le sein blanc.

Mais soudain, l'action dissipe cet instant de contemplation impudique et ingénument avide. Œdipe est déposé devant la reine et Créon. Il leur rend hommage, à genoux et leur baisant la main. Maintenant, dans le regard qu'il échange avec la reine, il contrôle ses sentiments ; il la regarde avec l'innocence hypocrite du respect.(16)

 

Que pense-t-elle ? Que sait-elle ou entrevoit-elle ?

Plusieurs scènes la présentent en train d’écouter les différents personnages : le grand prêtre venu réclamer l’intercession d’Œdipe auprès des dieux, Créon apportant la réponse de l’oracle, puis Œdipe proclamant sa décision de venger la mort de Laïos, et enfin Tirésias révélant la vérité sur Œdipe, vérité que celui-ci ne peut entendre. Mais elle ? que comprend-elle ?

À chaque fois, le film présente Jocaste en gros plan, soucieuse ou souriante, mais que signifie ce sourire ? Le scénario original ne décrit pas ces plans et le scénario de l’Avant-scène (17) n’est peut-être qu’une interprétation.


Songeuse, elle écoute
le Grand prêtre

Soucieuse, elle guette
Créon.

Elle écoute la proclamation d’Œdipe, attentive, peut-être inquiète et enfin souriant, « orgueilleuse » selon l’Avant-scène.(18) Son attitude est plus complexe encore lors de l’entretien d’Œdipe avec Tirésias :

Tirésias(off). …qui a contaminé… (gros plan de Jocaste) …notre terre. Et si tu n’as pas bien compris, je te le répète : tu es l’assassin que tu cherches. Toi : et tu ne sais pas que tu as un rapport infâme…

Jocaste a rejeté la tête en arrière, portant la main à la bouche, sur les derniers mots, elle sourit orgueilleusement. Retour sur Tirésias, en plan rapproché.

Tirésias (off). Et que lui, lui seul, est le meurtrier de son père.
Chambre nuptiale – jour
Gros plan de Jocaste méprisante, écoutant les dernières paroles de Tirésias. Elle sourit et éclate d’un bref rire nerveux.

Mais vers qui se dirigent son mépris et son orgueil ?

En effet ce sourire, et tout ce que l’on peut supposer des pensées de Jocaste, n’est pas prévu dans le scénario. Et même, à la fin de la querelle avec Tirésias, c’est Œdipe qui est censé avoir un sourire ambigu, « timide et monstrueux, à peine esquissé », un sourire « mi-idiot, mi-rusé ; car il boit la liqueur enivrante de la vérité ».(19)

 

Une ambiguïté due au “discours indirect libre” caractéristique du cinéaste

Centre de symétrie et scène cruciale au sein du récit, ce passage [l’intervention du grand prêtre] est alors l’occasion pour le metteur en scène d’employer un de ses « champ/contrechamp à surprise » caractéristiques : sur la place devant le temple, le grand prêtre, interlocuteur direct, s’adresse à Œdipe, mais dans le champ/contrechamp classique sont intercalés des plans de Jocaste, près d’une fenêtre dans une tour, image d’autant plus parasite qu’il n’est pas certifié, malgré cette position propice, qu’elle assiste à la scène, son visage n’en trahit pas la perception, mais par l’ambiguïté de son expression ; il est aussi possible d’imaginer qu’elle n’ignore plus à cet instant l’identité d’Œdipe et devine la réalisation du présage. De même, Œdipe regarde parfois vers la tour sans qu’il soit informé, a priori, de la présence de Jocaste près de la fenêtre, sait-il même que ses regards – en écho au prologue, à l’appel du bébé vers le sein – cherchent sa propre mère ? Par cette technique subtile, Pasolini peut se permettre de le suggérer, il parvient à imbriquer l’intrigue et le montage pour impliquer, questionner le spectateur sans lui donner les clefs du problème.

Olivier Coulon, Ciné-club NORMALE SUP’, novembre 1997(20)

 

 

Analyse de scènes

 

Un amour et une tendresse réciproques : le dialogue d’Œdipe et Jocaste dans les jardins du palais

Un jardin, lieu de détente : là où Jocaste joue avec ses servantes, là où pour la première fois dans le film, elle prend la parole pour calmer l’angoisse d’Œdipe. Scène de confidences, qui reprend les dialogues de Sophocle mais située dans ce lieu illusoirement apaisant.

Plan général du jardin. Au milieu, Jocaste assise. On distingue Œdipe, couché à ses pieds. Gros plan d’Œdipe, de profil, couché sur ses genoux et son habit de laine blanche. Gros plan en contre-plongée (du point de vue d’Œdipe) de Jocaste, ses cheveux tressés, qui le regarde, soucieuse […](21)

Nous avons là une longue séquence, une « séquence par épisodes »(22) avec quatre moments de la journée qu’on ne repère que par la position des personnages, par les différences de lumière et les ombres qui s’allongent (matin, après-midi et crépuscule puis à nouveau le jour après une ellipse dont la durée est indéterminable) séparés par trois fondus au noir. La scène dans la chambre nuptiale fait partie de cette séquence par épisodes, malgré l’ellipse, puisque c’est la suite de la confidence d’Œdipe, qui, après l’angoisse sourde manifestée dans les trois premières scènes, se termine par une explosion. Nous y reviendrons dans la présentation des quatre scènes de chambre nuptiale.

La séquence s’organise avec l’alternance habituelle chez Pasolini, des plans champ/contre-champ sur Œdipe et Jocaste, quatorze au total traduisant leur intimité et une profonde tendresse, d’une façon plus forte qu’une scène d’amour.

 

Premier « épisode » : Œdipe est allongé, la tête sur les genoux de Jocaste avec cinq fois une vision en plongée/ contreplongée évoquant le regard d’un enfant vers sa mère. Le visage de celle-ci apparaît en premier plan comme dans un cadre.

« Œdipe parle maintenant par besoin de parler, presque pour demander de l’aide, et Jocaste répond à voix basse, comme il se doit dans les malheurs » et alors que Jocaste cherche à le rassurer en évoquant l’inanité des prophéties, la musique reprend sur le thème de la mère…

Jocaste - Tu dois savoir que Laïus avait fait prendre son enfant, notre fils, lui avait fait attacher les pieds, et l’avait fait jeter parmi les rochers d’une montagne inaccessible, où il est mort…

Plan rapproché d’Œdipe (comme précédemment), se mordant la main. Jocaste lui caresse la tête et continue de parler, off.

Jocaste (off). Voilà, tu peux juger toi-même de quelle manière les prophéties devinrent l’avenir !

Gros plan de Jocaste, comme précédemment.

Jocaste. Ne t’inquiète pas, Œdipe, crois-moi. Si Dieu veut montrer ses intentions, il les montre, sans ambiguïté, sans intermédiaire !

Œdipe (off). Si tu savais, au contraire…

Gros plan d’Œdipe, la tête sur les genoux de Jocaste, regardant vers elle. En amorce, la broche de Jocaste.

Œdipe. …l’épouvante que me donnent tes paroles…

Il se retourne et appuie la joue contre le genou de Jocaste. Fondu au noir.

La réaction d’Œdipe traduisant une angoisse sourde lorsque Jocaste fait référence aux pieds liés de son enfant, ne se trouve pas dans la tragédie de Sophocle.

 

Deuxième « épisode » : La lumière a changé, les ombres sont plus nettes… et les confidences reprennent avec le même procédé de champ/contrechamp (six fois) et avec la même expression sur le visage comme figé. Mais cette fois-ci ils se sont levés, ils sont debout, face à face. Jocaste poursuit le récit de la mort de Laïos : « La nouvelle de l’assassinat de Laïos nous est arrivée peu avant… » mais – pressentiment du danger que renferme la précision qu’elle va donner ? – elle hésite avant de dire « … peu avant que tu n’arrives ici à Thèbes. »

Les confidences se terminent sur cette réplique de Jocaste – ironie tragique – quand elle répond à la question d’Œdipe sur l’aspect qu’avait Laïos :

Jocaste (gros plan). Grand, avec une longue barbe. Pas très différent de toi.


Après un fondu au noir, la séquence reprend.

 

Troisième « épisode » : C’est le crépuscule, la lumière est affaiblie, comme une annonce tragique, ils marchent (face à la caméra) vers le palais, quatre champs/contrechamps qui se terminent par un gros plan sur les mains d’Œdipe enserrant celles de Jocaste. C’est comme un réflexe : de façon inconsciente, Œdipe prend la main de Jocaste au moment où il dit « non volendo » « sans le vouloir ». Le scénario précise qu’il prononce cette ultime parole, obscure, comme dans un songe, appuyant sur le « sans le vouloir ».

Cette marche les mène vers l’expression de la vérité qui éclatera dans leur dernière scène dans leur chambre nuptiale, où Œdipe remplace le « mon amour » des scènes précédentes par « Mère… ».

 

Quatre scènes dans la chambre nuptiale

Chacune de ces scènes répond aux autres par des similitudes, mais aussi avec une violence grandissante, violence du désir, violence de l’angoisse, violence de la transgression.

Quatre scènes dont les jeux d’ombre et de lumière renvoient indubitablement à une esthétique caravagesque : une lumière dramatique dont Pasolini attribue l'invention à ce peintre qu’il plaçait très haut et à qui il a consacré un essai, justement intitulé « La lumière du Caravage ». Des scènes aussi où le visage d’Œdipe avec ses expressions de défi peut également faire penser aux modèles qu’affectionnait particulièrement le peintre.

 

Scène 1 : La nuit de noces (0h51’ 22’’ le lit conjugal, puis de 0h51’51" à 0h53’12’’

Scénario initial :

Dans la paix de la chambre, dont la fenêtre donne vers les toits de Thèbes et la campagne et la lune, entrent les deux époux. D’abord Jocaste, encore vêtue des vêtements de la cérémonie, et derrière Œdipe, avec le manteau et la couronne de Roi.

Les deux entrent, et se regardent dans les yeux. Ils se sont épousés par la volonté des autres, mais derrière cette volonté, il y avait la leur, subite, et quasiment impudique.

Le regard qu’ils échangent le révèle : c’est un regard de complices. Leur amour est entièrement dans la chair, et l’âme en est entraînée.

Ils se déshabillent en se regardant. C’est la première fois que, petit à petit, ils découvrent l’un à l’autre leur nudité, c’est la première heure de l’intimité.

Dehors, le grand concert de l’été, assoupi, et la lune sévère.

Maintenant Œdipe est nu, dans son droit d’époux-Roi, et il regarde son épouse, qui a la tête découverte, les cheveux dénoués, les jambes nues, mais elle a encore la robe légère, tenue sur une épaule par une grosse boucle d’or, au fermoir long et aigu comme un aiguillon.

Elle est assise ainsi sur le bord du lit. Mais sa pudeur n’est pas le frémissement d’une vierge. Elle a déjà été mère.

Elle est mère. C’est peut-être une fausse pudeur, une coquetterie extrême et presque impudique ? Ou est-ce une invincible retenue féminine ? Un regard ironique, presque mauvais, est dans les yeux d’Œdipe, déjà prêt pour l’amour. Et c’est presque brusquement qu’il s’approche, et qu’il dénoue l’épingle piquante et grosse comme un aiguillon. La robe tombe à ses pieds.

Œdipe s’apprête à la saisir, toujours avec une violence expéditive et presque brutale, et à l'étendre sur le lit quand quelque chose l’arrête.

Il s’écarte un peu d’elle, et il la regarde, il contemple sa mère.

Une musique lointaine se lève dans la nuit, en se perdant vite ; c’est le motif mystérieux de la flûte de Tirésias, qui semble dessiner dans le dessein du destin – mais mystérieusement, au-delà – ... la mère.

Peu à peu, doucement, sans plus de violence, la brutale violence du maître, mais avec le tremblement de l’amant, Œdipe se rapproche de sa mère et s’allonge sur elle.(23)

La scène que l’on voit dans le film ne suit pas le scénario initial, qui va se trouver scindé en plusieurs plans que l’on retrouvera dans les autres scènes.

Après un premier plan sur le lit conjugal, dans une pièce obscure, juste éclairée par la flamme d’un brasero, nous ne verrons du couple que le visage de Jocaste et Œdipe à mi-corps, torse nu. Ce sont surtout les regards qui donnent sens à cette première nuit.



A contrario du scénario, la scène est empreinte de douceur et de tendresse, même si le regard d’Œdipe est un regard de défi, mais un défi à qui, à quoi ? à moins que ce ne soit un regard interrogateur. Jocaste se regarde dans un miroir et Œdipe la regarde se regarder et se dénouer les cheveux… Ce n’est que lentement qu’Œdipe s’approche d’elle, lui caresse la joue et l’attire vers lui. « Mon amour » juste soufflé par Œdipe. Seul un plan de deux secondes montre le lit et un dos qui s’abaisse. Cut !

La scène est donc très pudique, voire chaste, avec tout de même un zeste d’ambiguïté due à Œdipe plus qu’à Jocaste. À moins de penser que la pudeur de Jocaste est une fausse pudeur !

L’aspect choquant d’un inceste ne se trouve donc pas dans la scène, mais dans ce que le spectateur sait et dans le choc du plan suivant : un cadavre de pestiféré, couvert de plaies. La relation de cause à effet, inceste/peste, est immédiate, même si dans l’histoire mythique, la peste ne frappe Thèbes que des années plus tard.

 

Scène 2 : de 1h00’34’’ à 1h01’10’’

Cette deuxième scène est brève (34’’) et semble être une illustration de l’eros/thanatos, réaction à la venue du grand prêtre et à la proclamation solennelle d’Œdipe, qui jette un regard en direction de la chambre. Sans transition, la deuxième scène commence comme la première, avec le même plan large sur le lit, mais la suite est beaucoup plus sensuelle. Alors que Jocaste était assise, se regardant dans un miroir, ici elle est déjà allongée sur le lit. Gros plan sur son visage, le haut de sa robe bleue et la broche. Elle soupire, elle attend. Contrechamp : plan rapproché d’Œdipe, en tunique noire, qui s’approche lentement du lit (plan américain), et contemple le visage de Jocaste, à nouveau en gros plan. Œdipe se penche sur elle, qui avec sensualité lève les bras, il s'étend à côté d'elle, l'embrasse, doucement, puis plus violemment. Elle le serre dans ses bras. Il se relève à demi. Gros plan de la broche, les mains d'Œdipe essayant de la dégrafer. « Mon amour ». Cut.

Le cadrage est bien différent de la première scène, dans laquelle le lit était présenté frontalement. Le pied du lit, avec son coffre sculpté et ses colonnes, faisait obstacle, comme une clôture, alors que dans cette deuxième scène, la transgression est marquée par un plan en oblique qui permet de faire apparaître le corps des deux amants. Les colonnes permettent toutefois d’encadrer Œdipe dans son avancée vers son épouse-mère.

De la même façon que la première scène, elle est immédiatement suivie par les images de la peste, cette fois-ci avec les funérailles, mais l’impression de relation de cause à effet reste la même. Et le dernier plan de la broche est une image prémonitoire que le spectateur ne peut manquer de comprendre.


Scène 3 : 1h11’29’’ à 1h13’39’’ / 1h14’17’’ à 1h15’33’’

Cette troisième scène, qui fait suite aux accusations de Tirésias, est marquée par le désir et la transgression et même par une certaine violence.

Œdipe garde encore en lui la fureur qu’il a manifestée envers le devin, il se recompose un visage mais le scénario souligne qu’il marche comme un automate, et que si l’ivresse de la révélation est tombée, il garde ancrée en lui la « chose révélée : révélée mais non acceptée, non crue, repoussée »(24). Même si les paroles de Tirésias étaient folles, le mot « mère » a bien été prononcé et Œdipe ne peut pas ne pas voir sa femme avec des yeux différents.

Guidé par les rires, il va jusqu’au jardin, regarde longuement Jocaste et va la chercher ; on retrouve nettement la même scène du prologue, la mère jouant et riant avec ses servantes dans le pré.

La scène qui suit est composée de trois moments successifs, les deux premiers montant en violence et le troisième plus apaisé.

Leur passage dans les couloirs est le premier moment de transgression. Œdipe plaque brusquement Jocaste contre un mur, l’embrasse passionnément. Cette ardeur est tout à fait semblable à celle du père envers son épouse dans le prologue.

Il l’entraîne un peu brutalement, passe un deuxième seuil, l’embrasse à nouveau de plus en plus passionnément, comme s’il luttait contre une idée dérangeante et en même temps excitante. Cette « fureur », le scénario la décrivait « col gusto della violazione, certo, con l'ebbrezza féroce di compiere un atto che dégrada, e che pure è il più bello e il più necessario del mondo »(25), un acte qui dégrade mais qui est aussi le plus beau et le plus nécessaire du monde.

Jocaste semble inquiète ; Œdipe se retourne et l’entraîne face la caméra, comme s’il se retournait vers son passé, vers les scènes du prologue.

Plus ils avancent, plus les couloirs s’assombrissent, signe de la transgression qui n’est peut-être plus involontaire mais qui reste inconsciente, car leur refus de savoir n’est pas encore dépassé, le scénario est explicite : « S'il peut ne pas vouloir savoir, il ne peut certes pas ne pas avoir appris ». Ils passent un rideau et juste devant celui de leur chambre, Jocaste arrête Œdipe et dans un dernier rais de lumière, elle l’embrasse, tendrement. La peur a disparu, Œdipe la regarde longuement.

Avant de lever le rideau pour entrer dans la chambre, Œdipe jette un regard de défi vers la caméra, semblant souligner le voyeurisme du spectateur.

Le rythme ralentit, ils vont vers le lit, Œdipe assied Jocaste sur le lit, elle s’allonge d’elle-même : même cadrage que dans la scène précédente, le lit est vu de côté, avec les colonnes qui séparent les deux personnages, le même gros plan sur le visage de Jocaste et de la broche : ces plans se font écho comme dans un rêve où les mêmes images reviennent, ou comme un leitmotiv. La principale différence intervient dans le plan suivant : le lit est vu de face, le couple uni entre deux colonnes. Cette frontalité n’est-elle pas le signe d’une affirmation de ce qu’ils ont enfoui en eux et qu’ils transgressent ? Mais brusquement Jocaste repousse Œdipe, qui dans le prolongement de ce geste lui enlève la robe et la dépose sur le rebord du lit, comme un écran entre le couple et le spectateur.

L’écran est vite levé, puisque quelques plans plus tard, nous retrouvons le couple dans le lit nuptial, toujours frontalement et les quelque trente secondes montrant le corps d’Œdipe en mouvement, les bras de Jocaste enlaçant son dos, sont parfaitement explicites.

Alors que dans la première scène d’union conjugale, seul Œdipe était torse nu, dans cette scène, la nudité de Jocaste est suggérée par quelques plans : ses jambes et ses épaules. Le visage de Jocaste après l’amour est là encore en gros plan mais les cheveux sont dénoués, les épaules sont nues et le regard est différent. Son visage est à moitié dans l’ombre, à moitié dans la lumière, comme la part de savoir et de conscience de la transgression. Elle suit de ce regard un peu absent Œdipe qui revêt sa tunique, et hormis un ou deux plans, la fin de la scène est vue par les yeux de Jocaste. Œdipe a quelques derniers gestes de tendresse, avec ce même regard profond mais perdu, et sort pour rejoindre Créon.

1ère et 2ème scènes
3eme scène

 

Scène 4 :

Chambre nuptiale - jour

Ouverture en fondu. Plan américain : sur le lit, Jocaste, renversée et tenue contre le lit par Œdipe, sur elle, à demi-soulevé, qui la secoue en criant.

Œdipe. Mon père est Polybe, roi de Corinthe... et ma mère est Mérope... Un jour, un garçon que j'avais offensé m'a traité d'enfant trouvé, m'a traité d'enfant supposé de mon père..., je n'ai pas pu me taire, et j'ai interrogé mes parents... Ils se sont mis en colère contre qui m'avait insulté ainsi. Et je sentis qu'ils disaient la vérité...

Jocaste essaie de se redresser ; il la repousse sur le lit. Gros plan en plongée de Jocaste : la tête d'Œdipe en amorce, la cache en partie. Il la secoue.

Œdipe, Mais une pensée était restée en moi... quelque chose dont je ne réussissais pas à me libérer... (gros plan sur lui). Alors, je décidai d'aller au sanctuaire d'Apollon... mais le Dieu.., non seulement n'a pas répondu à mes demandes, mais il m'a révélé d'autres choses épouvantables. Il m'a dit que mon destin était de faire l'amour avec ma mère, et que je ferais avec elle des enfants monstrueux... Il me dit aussi qu'il était dans mon destin d'assassiner mon père... Après de telles prophéties, qui pouvait encore avoir le courage de retourner chez les miens, chez moi, à Corinthe ?

Jocaste essaie de se débattre pour la faire taire. Gros plan d'elle (comme précédemment).

Jocaste. Je ne veux pas entendre,... je ne veux pas entendre !

Œdipe. Mais moi. Je suis contraint de parler !

Elle met les deux mains sur sa figure, pleurant.

Jocaste. Que tu ne saches jamais qui tu es !

Œdipe (gros plan). Alors, je suis allé à l'aventure,... dans la direction opposée à celle de Corinthe,... et à un carrefour, j'ai rencontré un homme, sur un carrosse, avec une escorte de quatre gardes et d'un serviteur...

Jocaste. Tais-toi !

Œdipe. Une dispute a surgi... J'ai tué les gardes, et cet homme qui m'avait insulté,... qui m'avait insulté avec son orgueil, avec sa volonté de me dominer, avec son autorité... Alors, s'il y avait quelque affinité entre cet homme et Laïus... je...

Il regarde la broche de Jocaste, la dégrafe. Gros plan de Jocaste (comme précédemment), le regardant, étonnée. II enlève la broche, prend Jocaste aux épaules et l'embrasse avec violence. Gros plan des deux, sur le lit, en plongée. Il relève la tête, la regarde.

Œdipe. Mère...

Puis il l'embrasse dans le cou avec violence. Plan rapproché de Jocaste affolée, la tête d'Œdipe sur elle. Enfin, elle l'enlace de son bras, sa broche sur le lit, à côté d'elle; travelling avant sur elle : elle ferme les yeux, puis les ouvre. Contreplongée : le plafond vu par Jocaste ; c'est un plafond en roseaux coloriés, avec une grosse poutre qui le soutient.

La scène commence par un plan américain, Jocaste et Œdipe sur le lit : le lit est désormais en gros plan, dans une orientation différente des scènes précédentes : cette fois-ci il est placé horizontalement par rapport à la caméra, les deux époux allongés en travers du lit, Jocaste sur le dos et Œdipe, la tête tournée vers la caméra.

Suivra une série de champs/contrechamps, toujours en gros plan, Œdipe hurlant et Jocaste se débattant et refusant d’en entendre plus.

Cette scène, terrible, reprend le texte de Sophocle, hormis toutefois les derniers vers, Œdipe reste en suspens sur la phrase : « Et s'il s'avère qu'il y a un lien quelconque entre cet homme et Laïos, alors… » La scène telle qu’elle est dans le film n’était pas prévue dans le scénario, qui suivait plus fidèlement le texte de Sophocle et situait les confidences de Jocaste et d’Œdipe dans la chambre, sans violence particulière. Il gardait encore un dernier espoir dans le témoignage du berger.

L’originalité ici tient évidemment dans la posture d’Œdipe et de Jocaste, et dans la façon dont celui-ci hurle son histoire. Pasolini rend de façon expressive le refus de savoir de Jocaste, beaucoup plus ambigu dans la pièce de Sophocle. Le cri final d’Œdipe « Mère… » ne laisse plus de doute. Machinalement Œdipe dégrafe la broche, dont l’épingle est « longue comme un aiguillon », et Jocaste regarde le plafond avec sa grosse poutre : le dénouement est clairement suggéré !

Ce que refuse Jocaste, ce n’est donc peut-être pas la vérité en elle-même, vérité qu’elle soupçonnait depuis déjà longtemps, mais le récit d’Œdipe par Œdipe : entendre la vérité de la bouche de son fils.

 

La vérité du couple est révélée par eux-mêmes, révélation qui s’est faite peu à peu et que l’on pourrait retrouver dans la position des lits et des corps dans ces quatre scènes.

Un cadrage signifiant

L’évolution de la position des lits et des corps suit en effet une trajectoire de dévoilement progressif, mais on peut se demander dans quelle mesure ils se sont reconnus dès le début. Toutefois la position des corps et le cadrage du lit laissent de plus en plus de place à cette relation amoureuse, au désir et par là-même à la transgression.

Scène 1

Le lit est présenté frontalement mais de loin, et au centre de la chambre, au centre de l’image.

Seul le jeu des regards donne sens à cette première nuit. Champs/contrechamps sur le visage de Jocaste en gros plan et sur Œdipe en plan rapproché

Scène 2
Même plan pour ouvrir la scène
Point de vue différent : le lit est cadré de biais,
Jocaste en travers du lit.



Suggestion du déshabillage.
La broche, objet signifiant.
Scène 3
Même cadrage
avec un léger zoom
Cadrage frontal. Le couple est toujours en travers du lit.
Cadrage frontal. Les corps s’unissent
Répétition du plan
de la scène 2
Jocaste après l’amour.
Scène 4
Le lit est en travers de l’image. L’interdit est signifié.



Le “châtiment” est évoqué
Suicide
Plan demi-ensemble avec le lit légèrement penché vers la gauche..

Le corps de Jocaste est au centre de la pièce. La fenêtre est nettement visible : la lumière est faite.

 

 

La scène du suicide

Le traitement de cette scène est évidemment différent dans le film et dans la tragédie de Sophocle. Chez Sophocle, le spectateur ne voit pas (du moins directement) le corps de Jocaste mais entend ses dernières paroles (par le truchement du messager) alors que dans le film de Pasolini, le spectateur voit le corps pendu de Jocaste mais ignore quelles furent ses dernières paroles. Seul son regard angoissé de la scène précédente suggérait l’horreur ressentie.

La tragédie antique ne montre pas le spectacle d’une mort féminine, la mort des femmes n'est jamais vue directement mais toujours entendue.

Chez Sophocle donc, le spectateur ne voit pas le corps de Jocaste, pas même sur une ekkykléma, une machine qui permettait de montrer ce qui s'était passé à l'intérieur, meurtre ou suicide, qui faisait l'objet d'un récit rapporté par un messager. Chez Sophocle, seul le pouvoir suggestif des mots de ce récit, rapporté au présent, traduit la violence de cet acte désespéré : la scène est vécue dans sa dimension sonore, d’abord par les paroles de Jocaste, l’invocation à Laïos « déjà mort depuis tant d’années » et à ses enfants, la déploration de sa destinée puis par les cris terribles d’Œdipe découvrant le corps de Jocaste. Œdipe force les portes de la chambre, « alors nous voyons sa femme pendue, étranglée par une corde tressée » poursuit le messager. Le balancement du corps que l’on peut lire dans diverses traductions est bien la preuve que le récit par sa puissance crée les images.

La force du récit tient à cette triple dimension de point de vue : Œdipe voit le corps, le messager voit Œdipe et le corps de Jocaste et le spectateur voit par les yeux du messager. Pour la première fois, même si c’est par le truchement du récit, le spectateur « voit » la chambre, lieu de leur intimité. Nulle part ailleurs, dans la pièce de Sophocle, il n’y a de récit introduisant le spectateur dans cette chambre.

Christabel Grare :

La scène de la mort de Jocaste est traitée avec sobriété : elle n'est d'ailleurs pas décrite mais simplement suggérée. C'est dans la solitude et à l'abri des regards indiscrets qu'elle accomplit son geste désespéré : la porte ne s'ouvrira que plus tard, sur ce qui n'est plus qu'un corps sans vie. Seules parviennent ses dernières paroles qui signifient déjà sa mort symbolique : l'invocation à Laïos, son défunt mari, montre qu'elle n'appartient plus à l'univers des vivants mais à l'autre monde. Dans la lamentation qui accompagne sa dernière apparition sur scène, Œdipe évoquera à son tour cette rencontre avec ses parents (vers 1371 à 1374) dans les Enfers. Jocaste n'a plus d'avenir, ni même de présent : elle n'a d'existence que passée (vers 1246). Elle ne possède plus aucune raison d'être, même dans ses fonctions de mère, puisqu'elle n'a engendré que pour donner la mort, contradiction illustrée par la violente antithèse du vers 1246 (dans le texte grec) et pour brouiller les structures de la famille, ignominie que soulignent les reprises des mots et le chiasme du vers 1250. Elle a également perdu son statut d'épouse aux yeux d'Œdipe (vers 1256) : elle n'est plus que le lieu impersonnel d'une fécondité dévoyée et interdite, comme le montre la métaphore du champ. Il ne lui reste qu'à disparaître : son suicide fait l'objet d'une ellipse narrative (vers 1251). Compagne du héros, elle s'efface discrètement et glisse seule dans la mort. Mais la scène de la découverte de son corps occupe une position centrale au cœur du récit, et souligne le rôle capital qu'elle a involontairement joué dans la destinée d'Œdipe. Incarnation de la fatalité, elle a été à l'origine du bonheur et du malheur de celui qui a été son fils-époux. Elle s'inflige la seule punition qui soit à la mesure de ses crimes involontaires. Figure emblématique de la vie et de la mort, elle a orienté le destin de toute sa famille.

Étude menée par Mme Christabel Grare, IA-IPR de Lettres, Académie d’Aix-Marseille

 

Dans le film de Pasolini

Une ultime scène nous montre Jocaste dans son univers de paix et de joie : le jardin où elle court et rit avec ses servantes. C’est la même scène que celle qui a suivi les accusations de Tirésias. Le jeu avait été interrompu par Œdipe venu la chercher. Cette fois-ci, Jocaste se penche, se courbe et comme s’il avait une vision terrifiante, elle relève les yeux, angoissée, horrifiée. Elle regarde vers la caméra, vers le spectateur… Fondu au noir.

 

Œdipe revient à Thèbes, se dirige vers la chambre et c’est par ses yeux que nous découvrons la longue robe bleue, Jocaste est pendue au plafond à la grosse poutre, que nous avions déjà vue lors de la scène précédente. Nous retrouvons pour la dernière fois le même cadrage, c’est la conclusion des trois scènes précédentes, eros et thanatos se sont retrouvés.

Demi-ensemble de la chambre. Jocaste, pendue à la poutre, entre le lit et la fenêtre, en robe bleue.

Hurlement d'Œdipe. Plan américain en contreplongée du corps pendu. Comme un animal blessé, Œdipe se jette sur son corps, s'agrippant à elle, comme, dans une tentative extrême de la sauver. Cette vision l'a arraché à son rêve, et avec la violence des gestes, lui rend la violence de la douleur. Mais en s'accrochant à ce corps sans vie, il n'obtient qu'une chose ; arracher les vêtements de Jocaste. Et celle-ci, sa mère, lui apparaît encore une fois nue(26).

Le hurlement d'Œdipe se prolonge sur un long panoramique sur les murailles. Gros plan d'Œdipe qui regarde vers elle. Contreplongée de Jocaste pendue (comme précédemment). Plan rapproché d'Œdipe la regardant ; au premier plan, les jambes de Jocaste. Silencieux, il baisse les yeux. Insert des mains d'Œdipe, tenant la robe bleue arrachée à Jocaste avec la broche.

Il prend la broche. On entend un cri. Plan rapproché d'Œdipe, de dos, hurlant. Au fond, le bas du corps de Jocaste. Il porte les mains à ses yeux, avance à genoux en titubant, en s'accrochant au lit.

 

Dans la tragédie de Sophocle comme dans le film de Pasolini, c'est dans la chambre, pièce qui a servi de cadre à leur bonheur mais aussi à leur « faute », qu'ils se séparent et se donnent la mort, mort réelle pour Jocaste, mort symbolique pour Œdipe. C'est donc là, dans cette pièce, qu'ils agissent en toute connaissance de cause, qu’ils se libèrent de leurs crimes et se rendent maîtres de leur destin. Et le geste d’Œdipe dénudant sa mère est l’image du dévoilement, la vérité passant par le dévoilement.

 

Les raisons de ce suicide ?

Assurément, elles sont différentes dans la tragédie de Sophocle et dans le film de Pasolini.

Nicole Loraux s’est intéressée à la mort des épouses dans les tragédies antiques et en est arrivée à la conclusion que s’il « arrive qu’elles soient tuées, comme Clytemnestre, comme Mégara, bien plus nombreuses sont, du côté des épouses, celles qui recourent au suicide comme la seule issue dans un moment extrême »(27), mort tragique « que choisissent sous le poids de la contrainte ceux sur qui tombe « la douleur excessive d’une infortune sans issue »(28) »

La façon la plus répandue pour les femmes de se suicider était la pendaison… « Or il se trouve qu’une modalité de cette mort en soi déjà dévaluée est plus que les autres marquée d’infamie et plus que les autres imputée à un déshonneur sans recours : j’ai nommé la pendaison, mort hideuse ou, à plus proprement parler, mort « sans forme » (askhémôn), souillure maximale que l’on ne s’inflige que sous le coup de la honte. »(29)

Dans la tragédie de Sophocle, ce serait donc sous le coup de la honte que Jocaste met fin à ses jours. Mais la honte ne signifie pas pour autant qu’elle se punit de ses crimes. Ce n’est pas un châtiment qu’elle s’inflige, mais elle est acculée par la volonté de disparaître. Ce n’est pas une belle mort, c’est la mort d’une épouse, de Laïos qu’elle invoque en premier mais aussi d’Œdipe qu’elle n’aurait pas dû épouser. Une mort que décrit David Bouvier quand il présente l’ouvrage de Nicole Loraux :

Il y a donc des façons féminines de recevoir la mort. D'abord et surtout la pendaison des épouses, et l'on ne s'étonnera pas que cet acte si peu glorieux soit par excellence un geste féminin. Instrument du trépas héroïque, le glaive appartient aux hommes ; en revanche, parée de voiles, de bandeaux et de ceintures, assignée au travail du tissage et serrant « les nœuds d'innombrables lacets », l'épouse semble vouée, par sa condition et son état, à choisir pour sa mort, plutôt que quelque glaive, l'un de ses rubans qui ressemblent si bien à une corde. Libre de se donner la mort, l'épouse se trouve prise au piège de sa condition féminine : étranglée par la corde, elle est plus que jamais cette créature silencieuse qui, au lieu de périr comme un homme, meurt pour son époux. Mort féminine et marquée d'infamie, le suicide par pendaison est le contraire même d'une belle mort ; au glaive des hommes s'oppose définitivement la corde utilisée par les femmes.

Bouvier David : Nicole Loraux. Façons tragiques de tuer une femme. In : Revue de l'histoire des religions, tome 205, n° 2, 1988, pp. 206-208.

 

Dans le film de Pasolini, il est encore moins possible d’affirmer que Jocaste se punit de ses crimes, ce qui introduirait une notion de faute et de châtiment ; il apparaît plutôt qu’elle ne peut plus vivre avec la vérité révélée. Si l’on pense qu’elle savait déjà et gardait cette vérité enfouie en elle, inconsciemment refoulée, c’est moins l’acte lui-même que la révélation qui lui fait horreur. Son refus de savoir était plus exactement un refus de révéler. Raymond Durgnat va jusqu’à dire que Jocaste se donne la mort parce qu’elle a perdu l’homme aimé, avec lequel elle ne pourra plus vivre leur vie de couple. C’est sûrement aller un peu loin dans l’interprétation et accorder une passion à celle qui justement est restée énigmatique tout au long du film. Mais ce suicide est un acte de désespoir et non pas un châtiment.

Nous aurions pu présenter aussi d’autres interprétations, plus profondément psychanalytique, christique avec inversion de la déposition de croix, pietà inversée, parler de « poétique de la mimésis » mais la littérature critique sur le mythe d’Œdipe est telle qu’on ne peut que s’arrêter à un moment donné…

 

Et pour conclure, laissons le dernier mot à Pier Paolo Pasolini avec ces quelques vers extraits de « Supplique à ma mère » (Supplica a la mia madre) :

Comment dire avec des mots de fils
ce qui dans mon cœur me ressemble si peu.

Tu es la seule au monde à savoir, de mon cœur,
ce qui a toujours été, avant tout autre amour.

Aussi dois-je te dire ce qu’il m’est horrible de savoir :
c’est au cœur de ta grâce que naît mon angoisse.

Tu es irremplaçable. Aussi est-elle condamnée
à la solitude la vie que tu m’as donnée.

Et je ne veux pas être seul. J’ai une faim infinie
d’amour, d’amour de corps sans âme.

Car l’âme est en toi, c’est toi, mais toi
tu es ma mère et ton amour est mon esclavage :

J’ai passé mon enfance asservi au sentiment
suprême, irrémédiable, de ce gage immense.

C’était l’unique façon de sentir la vie,
l’unique teinte, l’unique forme : maintenant c’est fini.

Nous survivons : et c'est la confusion
d'une vie qui renaît hors de la raison.

Je t'en supplie, ah je t'en supplie, ne veuille pas mourir :
Je suis ici seul, avec toi, dans un futur avril.

Poésie en forme de rose (Poesia in forma di rosa, 1964)(30)



(1) Dans son introduction à Œdipe Roi dans l’édition des œuvres d’Eschyle et de Sophocle, collection La Pléiade, Gallimard.

(2) Entretien avec Jean Narboni, Cahiers du Cinéma n°192, juillet-août 1967.

(3) Karl Reinhardt, Sophocle, p.172.

(4) Traduction de Paul Mazon. C’est la traduction que nous utilisons le plus souvent dans cette étude.

(5) Cité par Claude Mossé, La Femme dans la Grèce antique, Éditions Complexe, 1991, p.48.

(6) Classiques Hachette.

(7) Les cinq premiers thèmes étant : l'enfant exposé, le meurtre du père, la victoire sur la Sphinge, l'énigme, le mariage avec la princesse.

(8) Entretien avec Pier Paolo Pasolini par Jean-André Fieschi, Cahiers du Cinéma numéro 195 de novembre 1967, p.13.

(9) Ibid. p.14.

(10) Cité par Nico Naldini, Pier Paolo Pasolini, traduit par René de Ceccatty, Gallimard 1991.

(11) Ibid. p.16.

(12) Edipo Re, in Il Vangelo secondo Matteo, Garzanti, ed. digitale, 2014, p. 354. « Una donna bella come una regina, dagli occhi obliqui e lunghi, tartarici, e pieni di una dolcezza crudele. ».

(13) Ibid., p. 400. « Il suo viso dolce e crudele dall’occhio tartarico ».

(14) Il cinema in profondità di campo, a cura di Roberto De Gaetano, Roma, Bulzoni, 2003, p. 82.

(15) Cahiers du Cinéma numéro 195 de novembre 1967, p.14.

(16) Edipo Re, in Il Vangelo secondo Matteo, op.cit. p.323.

(17) Pasolini, Œdipe Roi, l’Avant-scène numéro 97, Novembre 1969.

(18) Ibid, p.24.

(19) Edipo Re, in Il Vangelo secondo Matteo, op.cit. p.335.

(21) Pasolini, Œdipe Roi, l’Avant-scène, op. cit. p.28.

(22) « Définition : la séquence aligne un certain nombre de brèves scénettes, séparées le plus souvent les unes des autres par des effets optiques (fondus-enchaînés, etc.), et qui se succèdent par ordre chronologique ; aucune de ces évocations n’est traitée avec toute l’ampleur syntagmatique qu’elle aurait pu comporter ; c’est leur ensemble seul, et non chacune d’elles, qui est pris en compte par le film, commutable avec une séquence ordinaire, et qui constitue donc un segment autonome. ». Essais sur la signification au cinéma, paris, Klincksieck, 1968, p132.

(23) Edipo Re, in Il Vangelo secondo Matteo, op.cit. p.326. Le début de la traduction (jusqu'à « lune sévère » vient de l’Avant-scène p.22, la suite est une traduction libre…

(24)« è rimasta solo la cosa rivelata : rivelata, ma non accettata, non creduta, respinta. » Ibid. p.336.

(25) Ibid. p.337.

(26) Description du scénario original.

(27) Nicole Loraux, « Épouses tragiques, épouses mortes (La mort des femmes dans la tragédie grecque) » 1984, in La Femme et la Mort, GRIEF, Université de Toulouse-Le-Mirail p. 31à 57.

(28) Ce qui, pour Platon, est une circonstance atténuante.

(29) Ibid. Propos repris dans Façons tragiques de tuer une femme, Paris, Hachette 1985, p.34.

(30) Traduction de Bernard Simeone.


© Marie-Françoise Leudet - Décembre 2015