La course-poursuite de Zazie et Pédro-Surplus : le film dans le film
Plans 234 à 333 (1)
Parlant de Zazie dans le métro, Louis Malle
déclare :« C'était une œuvre
brillante, un inventaire de toutes les techniques
littéraires, avec aussi, bien sûr, de nombreux
pastiches. C'était comme de jouer avec la
littérature et je m'étais dit que ce serait
intéressant d’essayer d'en faire autant avec le
langage cinématographique. […] Une des
premières œuvres de Queneau était
intitulée Exercices de style... voilà ce
que c'était pour moi, un exercice de style pour
approfondir ma connaissance de ce mode d'expression. »
(2)
La séquence de course-poursuite est l'un des exemples les
plus marquants des différents emprunts et citations que
fait Louis Malle au cinéma burlesque et
aux cartoons américains, sans oublier
les références aux arts du
cirque. Mais au-delà de ces
références, il apparaît clairement que le
cinéaste a fait œuvre originale et que ces emprunts
sont des hommages à des réalisateurs précis
et plus généralement au pouvoir du cinéma
de créer un univers onirique. Chaque épisode est
traité comme un sketch construit par l’imaginaire
de Zazie, que le leitmotiv de celle-ci en gros plan, riant aux
éclats – signe de sa victoire sur son poursuivant
– sépare du suivant ; chaque sketch est un pastiche
ou un condensé de pastiches, faisant de Zazie un
réalisateur utilisant toutes les ressources du langage
cinématographique.
Références filmiques
Louis Malle utilise plusieurs genres cinématographiques pour faire œuvre personnelle. Cette séquence de course-poursuite est un motif récurrent du cinéma burlesque comme des dessins animés (Tex Avery n’hésite d’ailleurs pas à rappeler sa dette envers le vieux cinéma burlesque) et Louis Malle va donc en faire une sorte de synthèse, avec citation explicite de City Lights (Les Lumières de la ville) de Chaplin dès le début de la séquence, utilisation et pastiche des gags et situations propres à ces deux genres, des mimiques, démarches ou postures du corps le plus souvent empruntées aux cartoons. Cette séquence est un véritable festival de toutes ces références filmiques, auquel il faut ajouter, nous l’avons dit, des emprunts au cirque.
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Citations
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Chaplin, City Lights (Les Lumières
de la ville), 1931
Zazie dans sa fuite bouscule une grande bourgeoise dont le chauffeur tient une statue de Vénus de Milo (symbole de l'art) avec ses bras reconstitués (première dérision). Zazie s'empare d'un de ses bras et continue sa course en passant à travers la Rolls Royce, symbole évident de luxe, puis Pédro-Surplus provoque la chute de la statue et la brise, il passe à son tour à travers la Rolls Royce.
Cette séquence rappelle deux séquences du film de Chaplin :
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La séquence initiale où, quand on
lève le voile découvrant le groupe
de statues aux postures hiératiques que le
maire vient inaugurer, on voit un vagabond dormir
paisiblement. Les postures que va prendre le
vagabond sur les statues sont une
dérision et de l’art et du salut
militaire, de la même façon
que la destruction de cette Vénus de Milo
est une raillerie des valeurs sacrées de
l’art.
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Le passage à travers la Rolls Royce
rappelle quant à lui la 3ème
séquence du même film (6m. 50s.),
quand le héros traverse lui aussi une
Rolls Royce pour échapper au policier.
Zazie a ce même geste de
défi à l’ordre
social.
Dans cette même séquence, Zazie verse un verre d'eau sur Pédro-Surplus, qui recrache cette eau comme le ferait un clown. Chaplin est ici à nouveau convoqué avec The Great Dictator (1940) : Hynkel prononce un discours en un sabir burlesque, et par deux fois prend une carafe d’eau, se verse de l’eau la première fois dans le pantalon pour se rafraîchir et la deuxième fois dans le cou, et recrache l’eau en un long jet tout en se tenant l’oreille.
À ces citations, on peut sûrement ajouter des reprises, en forme d’hommage, de scènes ou bien mythiques ou bien inscrivant l’inventivité de Zazie dans l’histoire du cinéma. -
La séquence initiale où, quand on
lève le voile découvrant le groupe
de statues aux postures hiératiques que le
maire vient inaugurer, on voit un vagabond dormir
paisiblement. Les postures que va prendre le
vagabond sur les statues sont une
dérision et de l’art et du salut
militaire, de la même façon
que la destruction de cette Vénus de Milo
est une raillerie des valeurs sacrées de
l’art.
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Orson Welles, The Lady from Shanghaï
(La Dame de Shanghaï), 1947
Le ton est bien sûr différent, puisque la Dame de Shanghaï est un grand classique du film noir. Mais Louis Malle cite à deux reprises ce reflet dans les miroirs (nous avons le même jeu de miroirs dans l’escalier chez Gabriel, plan 134). Pourquoi cette référence ? D’une part la référence à Orson Welles peut être un clin d’œil à la modernité de celui-ci, qui n’hésita pas à bouleverser la conception narrative du cinéma classique hollywoodien. D’autre part ce jeu de miroirs fait immédiatement penser à un univers baroque, fait d'apparences, de reflets, de trompe-l'œil, et peut – avec d’autres éléments qui convergent vers cette hypothèse – être une métonymie du cinéma. On peut aussi reconnaître Alice (de Lewis Carrol) dans la Zazie surgissant de derrière le miroir… autre référence ! -
Buster Keaton, The Cameraman,
1928
Dans ce même passage Vivienne, se place le double arrêt devant l’appareil photo. L’appareil photo immobilise, alors que le cinéma est défini par le mouvement. Et c’est la réflexion menée par Buster Keaton dans son dernier film The Cameraman en 1928 :
Shannon, le personnage incarné par Buster Keaton est photographe de la vieille école, et il tente de pénétrer dans le monde des cameramen. « Si ses premiers essais sont chaotiques, il découvre néanmoins certaines exploitations possibles de l’image, encore mal maîtrisée, comme la surimpression, le split screen ou le jeu sur la vitesse de lecture. » (3). Il finit par savoir exploiter les propriétés de la caméra… « Il se déplace, change d’angle de prise de vue, alterne gros plans et plans d’ensemble, filme au plus près de l’événement, et fait même l’expérience, grâce à l’effondrement d’un échafaudage, d’une sorte de travelling accéléré » (4) Le film de Keaton est une métaphore du cinéma et le fait que, dans les plans suivant de très près ceux des miroirs, Zazie joue dans le mouvement de sa course avec ce vieil appareil photo accrédite l’hypothèse d’une séquence-hommage au cinéma, mais aussi une parodie – car n’oublions pas que Louis Malle joue avec les codes. -
Hommage à Georges
Méliès
Magicien de formation et directeur du théâtre de magie Robert Houdin, « Méliès transposa dans le cinéma son expérience, il est resté célèbre comme l'inventeur des effets spéciaux au cinéma […] Machinerie théâtrale, pyrotechnie, effets d'optique, arrêts de caméra, fondus enchaînés, surimpressions, prestidigitation, effets de montage et effets de couleurs sur pellicule, tout semble avoir été conçu et utilisé par ce virtuose de la technique. » (5). Il n’est donc pas surprenant que Louis Malle lui ait rendu un hommage particulier ! « Toute l'œuvre de Méliès brille d'une fantaisie dynamique, d'une imagination incoercible, d'une irrésistible jubilation. Sa cosmogonie est un mélange explosif et unique de fantasmagorie, de diableries, de trompe-l'œil, d'illusions, de flammes, de fumées, de vapeurs soigneusement coloriées au pinceau. » (6)
Le moment où Zazie joue avec ses propres images et se dédouble fait irrésistiblement penser aux films de Méliès :
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Dans Le portrait
mystérieux (1899), il
accomplit le rêve de tout magicien : se
dédoubler. Un illusionniste fait
apparaître son double dans un cadre et
dialogue avec lui avant de le faire
disparaître.
-
Dans L’homme-orchestre
(1900), il se multiplie sur scène
et sept Méliès apparaissent sur la
même image.
Un peu plus loin dans le film de Louis Malle, au-dessus de la loge de la concierge d’un vieil immeuble, un nouveau tour de magie trouble le malheureux poursuivant : non plus un dédoublement de Zazie mais une démultiplication… en cinq exemplaires de la fillette, quatre mannequins et la “vraie” Zazie. Le procédé est différent, mais l’effet visuel est le même.
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Dans Le portrait
mystérieux (1899), il
accomplit le rêve de tout magicien : se
dédoubler. Un illusionniste fait
apparaître son double dans un cadre et
dialogue avec lui avant de le faire
disparaître.
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Chaplin, City Lights (Les Lumières
de la ville), 1931
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Une esthétique de dessin
animé
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Des personnages évoquant les
cartoons
Le scénario de course-poursuite évoque irrésistiblement ceux de Tex Avery ou de Chuck Jones, en particulier les personnages qui ne cessent de poursuivre sans succès un autre, en apparence plus faible. Le poursuivant féroce est victime de ses propres ruses, qui se retournent contre lui, ou de celles nées de l’imagination pleine de fantaisie de la proie qui ne se laissera pas prendre ; on pense aux duos fameux de Tom et Jerry, Titi et Grosminet, Bugs Bunny et Elmer Fudd ou Bip Bip et Vil Coyote. Tous les personnages poursuivis prennent cette lutte contre les poursuivants comme un jeu amusant, telle est Zazie poursuivie par Pédro.
Philippe Colin, l’assistant à la mise en scène de Louis Malle pour Zazie dans le métro, témoigne : « […] Je m’occupais beaucoup de dessins animés. « Tex Avery » était mon diplôme de fin d’études à l’IDHEC. Louis m’avait demandé de faire un relevé de gags de Tex Avery dans Tom et Jerry, qu’on a beaucoup utilisé. » (7).
Le monde de Tex Avery ou de Chuck Jones est un monde insensé, où les limites du possible sont anéanties, qui pulvérise le bon sens comme le monde que recrée Zazie…
Les mimiques et la gestuelle de Pédro semblent venir tout droit du personnage de Chuck Jones, Vil Coyote courant après Bip Bip. Dans d’autres séquences, Pédro ressemble aussi à Coyote satisfait de lui-même :
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Les caractéristiques des
cartoons
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Le rythme effréné
des actions et de la musique.
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Le Mickey-mousing : le moindre
événement à l’image
est illustré par de la musique ou des
bruitages, et la partition musicale vient
ponctuer chaque mouvement de l'action, soulignant
les effets comiques : le bruit de la casserole
que Zazie abat sur la tête de Pédro,
le choc du gant de boxe, etc.
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Durée et fluidité des
plans :
Tex Avery a poussé assez loin une réflexion sur le mécanisme de la perception visuelle et de la reconstruction du mouvement par le cerveau. « J’ai découvert, disait Tex Avery, que l’œil peut enregistrer une action en six images, cinq images. À vingt-quatre images par seconde, il faut donc en gros un cinquième de seconde pour enregistrer une action, de l’écran en passant par l’œil, jusqu’au cerveau. »
C’est le nombre de plans qui va produire – ou non – un effet de continuité, principe du dessin animé ; et même si l'œil ne capte pas chacune des images d'un tel mouvement, plus il y a d'images presque semblables, plus le mouvement paraît fluide et continu. Dans cette séquence, les deux explosions suivent ce principe, elles sont composées de plans de durée plus courte pour chacun d'eux – 12 images pour une seconde dans la première explosion, plus de vingt plans différents dans la deuxième –, mais leur continuité va produire l'effet d'explosion. Nous retrouvons une fois encore une esthétique du trompe-l’œil.
Dans d’autres séquences, Louis Malle, suivant toujours en cela Tex Avery, joue sur la capacité de perception et de décodage de l’œil ; mais cette séquence de course-poursuite fonctionne de façon fluide, même si à première vision, certains gags peuvent échapper (comme celui où, alors que Pédro a réussi à éteindre le bâton de dynamite, celui-ci éclate tout de même).
La liberté et l'inventivité de cette série de gags font qu'on se laisse porter, même sans tout percevoir.
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Le rythme effréné
des actions et de la musique.
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Des personnages évoquant les
cartoons
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Des gags et des situations burlesques
La course-poursuite est le motif récurrent du burlesque, et les gags qui se succèdent sans répit dans cette séquence sont avec leurs accessoires une somme des gags habituels de ces films burlesques et sont traités, comme nous l’avons vu, à la façon des dessins animés. Au-delà du repérage des différents gags, il faudra aussi en voir la fonction subversive, en nous rappelant qu’un gag « est un dérèglement, un désordre, une opposition à l’ordre. » (9)
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La bicyclette peu adaptée à la
taille du personnage ou à la
situation
Accessoire appartenant tout autant à la tradition burlesque qu’à l’univers du cirque, où les cycles de toute forme et de toute taille sont toujours à l’honneur.
Buster Keaton - The General
(Le Mécano de la General) - 1925
Le mécano poursuivant sa locomotive
volée par des espions nordistesL’illustre clown Alberto Colombaioni
monté sur son monocycle, son frère Carlo à côté.
Vittorio Caprioli connaissait évidemment
les frères Colombaioni qui ont travaillé avec Fellini. -
La poubelle-cachette
Dans les films burlesques, la poubelle est un des objets privilégiés, qu’elle serve de cachette ou qu’elle reçoive quelqu’un qui tombe dedans malencontreusement.
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Buster Keaton, Cops,
1922
Poursuivi par une horde de policiers, il se cache d’abord dans une poubelle, ensuite dans une malle…
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Laurel et Hardy dans The Battle of
the Century (La Bataille du siècle),
film de Clyde Bruckman, 1927
Louis Malle ajoute à cet accessoire un autre tour d’illusionnisme propre à la fois au cirque – on peut penser au grand magicien du début du siècle Harry Houdini (qui travailla avec Buster Keaton) – et au cartoon (où l’on trouve plus de lapins blancs ou roses… que de chats noirs),
Tex Avery - Magical Maestro - 1952
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Buster Keaton, Cops,
1922
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Le bâton de dynamite
Tout épisode de cartoon contient son bâton de dynamite qui malgré tous les efforts de celui qui se retrouve à le porter malencontreusement, le plus souvent suite à la malice du héros, finira par exploser !
Tex Avery - Doggone tired (Une nuit de chien) - 1949
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Le lancer de bombe
Les exemples sont nombreux, en voici un dans le film déjà cité de Buster Keaton, Cops (1922) :
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La poêle à frire
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Le gant de boxe
Chez Buster Keaton, l’agent de police à la circulation reçoit le gant de boxe astucieusement placé sur un bras articulé ; chez Louis Malle, c’est Trouscaillon, autre genre de policier, qui est menacé du gant de boxe tendu par Zazie.
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Le téléphone
à qui le chien finit par tordre le cou…ou qui explose…
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Le pistolet
Le pistolet tenu par le plus petit, menaçant le plus costaud…
Tex Avery - Droopy
William Hanna et Joseph Barbera - Tom et Jerry
Et Zazie dont le pistolet projette une poudre noire sur Trouscaillon noirci de la tête au pied, comme le ténor de Magical Maestro de Tex Avery (1952) était recouvert de l’encre projetée par un spectateur furieux :
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Les patins à roulettes
Coyote victime de sa propre ruse, ou le chien de chasse piégé par sa proie inventive (Tex Avery - Doggone tired - 1947) :
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La bicyclette peu adaptée à la
taille du personnage ou à la
situation
Il apparaît clairement que le ressort de tous ces gags est le détournement de la fonction ordinaire de ces objets quotidiens, mais aussi des lieux, lorsque la galerie marchande devient espace de marelle.
Quelques pistes d'interprétation
Hommages, pastiches, parodie, cette séquence est un exemple de la façon dont Louis Malle a cherché à rendre l’inventivité de Raymond Queneau par les moyens propres au cinéma. Fidèle ou non au roman, il a donné à ce qui dans le roman ne comporte que ces quelques lignes :
Brusquement, elle se lève, s'empare du paquet et se carapate. Elle se jette dans la foule, se glisse entre les gens et les éventaires, file droit devant elle en zigzag, puis vire sec tantôt à droite, tantôt à gauche, elle court puis elle marche, se hâte puis ralentit, reprend le petit trot, fait des tours et des détours.
Elle allait commencer à rire du bonhomme et de la tête qu'il devait faire lorsqu'elle comprit qu'elle se félicitait trop tôt. Quelqu'un marchait à côté d'elle. Pas besoin de lever les yeux pour savoir que c'était le type, cependant elle les leva, on sait jamais, c'en était peut-être un autre, mais non c'était bien le même, il n'avait pas l'air de trouver qu'il se soit passé quoi que ce soit d'anormal, il marchait comme ça, tout tranquillement.
une séquence qui dure 5 minutes (27m 31s à 32m 31s jusqu’au moment où Zazie récupère les bloudjinnzes). « Le roman devient prétexte à une exploration des formes cinématographiques, le contraire d'une démystification, et le résultat, avoué par Louis Malle, est “un inventaire du langage cinématographique" (10) et (11).
Que signifie un tel inventaire et quelle interprétation peut-on donner à cette séquence ?
- Zazie ou la métaphore du cinéma
Document extrait d'un des bonus du DVD |
Cette séquence, nous l’avons dit, est une
accumulation de gags qui semblent tout droit sortis de
l’imaginaire de Zazie. En regard du gros plan de Zazie
riant aux éclats, leitmotiv de la poursuite, le script
précise :« Il suggère que tout ce que
contient cette séquence provient de l’imagination
dévergondée de Zazie. On peut dire que dans une
fraction de seconde, nous passons dans la conscience de
Zazie. » Par cette série de sketches hommages
ou pastiches des films pris comme références, elle
est tout à la fois le réalisateur de son propre
film et la métonymie du cinéma burlesque qui met
en images la provocation et la dérision dont elle fait
preuve.
À ces films pris comme références, Louis Malle ajoute ses propres inventions, ses essais et ses trouvailles : le rythme alternant dans le même plan accéléré et ralenti, le jeu des champs/contrechamps se succédant sans répit, la course qui part dans un sens pour se retrouver aussitôt en sens inverse. Philippe Colin précise : « […] Louis voulait deux choses : il voulait qu’il y ait une espèce de côté onirique parce que c’est complètement imaginaire, donc tourner dans tous les endroits possibles de Paris, aussi bien les Puces, que les passages couverts, que la passerelle de Saint-Cloud, que mille endroits différents comme ça, sans raccord, c’était comme un décor. » (13)
Tout ceci est un jeu avec le cinéma et un jeu qui fait de Zazie la détentrice du pouvoir, assouvissant en rêve son fantasme de toute-puissance.
- Zazie, facteur de désordre
Comme dans la tradition du film burlesque, l’enfant
– donc Zazie – est un facteur de désordre, il
tourne en dérision le monde des adultes, remettant en
cause leur monde prétendument moral, bouleversant
l’ordre fondé sur le faux-semblant, un monde vain.
Cette course-poursuite (comme la première avec Turandot)
en est la représentation, Zazie transforme l’espace
en terrain de jeux, réduit l’adulte à son
pouvoir : c’est elle qui mène le jeu ! C’est
son visage en très gros plan, riant aux éclats,
qui marque les étapes du jeu et de la même
façon, c’est son pull orange qui est le fil
conducteur du regard du spectateur.
Le désordre engendré par Zazie est un des motifs
principaux du film : comment s’affrontent l’ordre et
le chaos ?
En outre, nous l’avons vu par les choix des films-références, c’est aussi le moyen pour Louis Malle de faire une satire sociale et d’utiliser la logique de l’absurde ou du nonsense dans sa finalité subversive, la fonction première du burlesque étant de perturber l’ordre des choses.
- Un labyrinthe ou un espace jeu
Même si cela ne tient plus guère du pastiche, il nous semble important de noter qu’une autre constante de cette séquence se trouve dans les déplacements des deux personnages : restant dans la logique du jeu, Zazie – avec Pédro dans son sillage – emprunte rarement une ligne droite mais joue avec l’espace, en une sorte de ronde ou de chorégraphie et de zigzags. On pourrait sûrement interpréter ce déplacement comme celui que ferait Zazie dans un labyrinthe, d’autant que la séquence entière se déroule dans une vingtaine de lieux différents.
© Marie-Françoise Leudet et Agnès Vinas
(1) Le découpage en plans de cette séquence est
celui opéré par Agnès Vinas, de même
que les photogrammes du film de Louis Malle.
(2) Philip French, Conversations avec Louis Malle,
Denoël, 1993, p.42
(3) Critique de Lucile Hochdoerffer sur critikat.com
(4) Ibid.
(5) Présentation de l’exposition
« Méliès, magicien du cinéma »
à La Cinémathèque Française en avril
2008
(6) Ibid.
(7) Entretien présenté dans les bonus du DVD,
retranscrit par Marie Basuyaux et Suzanne de Lacotte pour
Zérodeconduite.net, Juillet 2012
(8) J. Adamson, Tex Avery, King of cartoons,
Popular Library, New York, 1975. Traduction française :
Tex Avery, la folie du cartoon, in
Fantasmagorie nouvelle série n°1
(9) Jean-Philippe Tessé, Le Burlesque, Cahiers
du cinéma, janvier 2007
(10) Jeune cinéma, n° 184, novembre 1987,
p. 41
(11) Françoise Chenet, « la caméra
n’est pas un stylo » in Communication publiée
dans les actes du colloque de Thionville 1994, Pleurire avec
Queneau, in Temps mêlés - Documents
Queneau
(13) Note 43 de l’Avant-Scène n°104,
p.27
(14)Témoignage de Philippe Colin, op. cit.